Un regain de protectionnisme expliqué par la notion d'intérêt économique national. Or, dans le cadre d'une économie mondiale ouverte et libérale, et en respect des engagements au sein des instances internationales tel que l'OMC, adopter une attitude protectionniste est devenu contre nature et même contre productif. C'est l'attitude même qu'envisage adopter la France pour faire face aux délocalisations des centres d'appels. En effet, face à « la fuite » de plusieurs centres d'appels et notamment Teleperformance, le gouvernement français envisage une batterie de mesures qui favoriserait les centres d'appels qui choisissent le site français et pénaliserait ceux qui choisissent de délocaliser. Une attitude qui peut nuire à nos intérêts nationaux, d'où la nécessité de s'opposer et de dénoncer. L'affaire qui dérange : Le déclenchement de « l'affaire » des centres d'appels, était suite à l'annonce faite par l'un des plus importants opérateurs mondiaux, Teleperformance de la fermeture de 8 sites en France et la suppression de quelques 830 postes, soit une réduction d'effectif de 15% sur les 7400 qu'emploie le groupe en France. Une décision expliquée par l'opérateur par «un ralentissement de la demande de ses marchés clés » et par «la perte de contrats commerciaux significatifs pendant l'année 2009». L'exploitation des sites en France a fait perdre au groupe près de 36 millions d'euros selon des chiffres publiés. Face à cette situation, qui n'a rien d'anormal dans un environnement de recherche perpétuelle de compétitivité, le gouvernement français, par le biais de son Ministre de l'emploi, Laurent Wauquiez, a fait remarqué son inquiétude face à cette vague de délocalisation et entend prendre des mesures pour arrêter « l'hémorragie ». Le plan français se base sur 4 axes : - la surtaxation des appels provenant de centres à l'étranger. - favoriser financièrement les entreprises ne délocalisant pas, par exemple via des allégements de charges ou des aides à l'embauche. - rendre obligatoire un code de bonne conduite pour les entreprises publiques, dont le centre d'appels devrait obligatoirement être implanté en France, - publier une liste des entreprises recourant à des centres d'appels à l'étranger, Le Ministre envisage même la tenue des assises des centres d'appels à la rentrée gouvernementale. Il demande aux entreprises plus de transparence sur les lieux ou sont implantés les centres d'appels avec lesquels ils opèrent. Cette attitude protectionniste française est compréhensible puisque les centres d'appels emploient près de 250.000 personnes en France, et que la crise a fait monter le niveau de chômage, qui frôle avec les 10%. Mais on ne peut doit pas chercher des solutions aux problèmes en créant d'autres.
Faire diversion : Le gouvernement français a eu toujours cette envie de prendre des mesures énergiques contre les délocalisations. Il a même par moment envisagé des taxes sur les entreprises qui délocalisent et des primes pour celles qui reviennent au pays. Ce fut le cas dans l'industrie automobile, ou Renault, par exemple, a délocalisé une grande partie de son activité en Hongrie, ou au Maroc. Les tentatives françaises étaient toujours vouées à l'échec vu le double veto, venant du monde des affaires et de la commission européenne qui s'oppose aux mesures de ce genre. Il semble que le plan français est une diversion pour calmer les syndicats contre les différents plans sociaux, ainsi que la réforme de la retraite qui va être discutée prochainement. Une réforme refusée par les partenaires sociaux, qui menacent de sortir dans la rue à la rentrée gouvernementale. La théorie de la diversion est d'autant plus plausible, si on sait qu'il est étrange de voir de tels plans annoncés par un gouvernement de droite, qui prône la compétitivité, la concurrence et les lois du marché. Le gouvernement français veut semer la poudre aux yeux, alors que les affaires et les scandales ne cessent de poursuivre les membres du gouvernement Fillon, allant de Rama Yade à Eric Woerth.
Les intérêts de la Tunisie en jeu : Notre pays a fait de l'offshoring et de l'exportation des services un créneau important de sa politique de développement. Le secteur des centres d'appels connaît un boom important depuis des années, que ce soit en terme de chiffres d'affaires ou d'emploi. L'Etat s'est même investi énormément en préparant l'infrastructure nécessaire, prévoyant les formations adéquates, et légiférant dans le but d'inciter à l'investissement dans le secteur. La Tunisie compte actuellement 200 centres d'appels employant plus de 20000 personnes, le Maroc de sa part compte 30.000 personnes dans le secteur. Teleperformance est le premier opérateur en Tunisie avec plus de 4000 postes d'emploi. Il est le 1er employeur privé du gouvernorat de Tunis sur ces 4 sites de production. L'opérateur dispense de 69 000 heures de cours de français par an, 225 000 heures de formation initiale et 184 000 heures de formation continue, selon les chiffres publiés par l'opérateur sur son site. Teleperformance n'a pas cessé d'étendre son activité sur le sol tunisien grâce à un bon environnement des affaires, une main d'œuvre qualifiée, et un niveau de rentabilité important. Il a récemment ouvert son nouveau siège du côté de l'Avenue Kheireddine Pacha à Tunis, et sa nouvelle académie consacrée à la formation des nouveaux recrutés. De telles mesures de la part du gouvernement français nuiraient certainement à un secteur stratégique de l'économie tunisienne et réduiraient considérablement sa compétitivité, et peuvent causer des pertes d'emplois et des relocalisations sur le moyen terme. Le plan du gouvernement français doit être placé dans son contexte politico économique, et dans le cadre des relations privilégiées entre la Tunisie et la France. En effet, la France est aujourd'hui le principal investisseur étranger en Tunisie, et son principal partenaire commercial. Une telle attitude de la part du gouvernement français, qui ne vise pas principalement la Tunisie, peut nuire aux relations économiques développées entre les deux pays. Ce qui appelle à la nécessité d'une révision catégorique de cette position. La Chambre Syndicale tunisienne des centres d'appels et de la Relation Client de Tunisie, a même haussé le ton récemment en affichant clairement son refus du projet de plan français. Dans une déclaration récente, le président de la chambre syndicale a fait savoir que " les mesures envisagées par le Secrétaire d'Etat à l'Emploi français, en particulier celles relatives à la mise en place de taxation des appels ou la création d'une black liste de prestataires off-shore, nous paraissent totalement dépassées, inadaptées et sans lien avec les réalités économiques actuelles. D'ailleurs, elles ne recevraient sans doute pas l'aval de la Commission Européenne, car elles sont ouvertement protectionnistes, discriminatoires vis-à-vis de la libre concurrence et contraires aux accords commerciaux internationaux……..Le Secrétaire d'Etat se trompe de cible, les activités prioritairement mises en œuvre à l'étranger se caractérisent par une structure de coût dans laquelle la part des ressources humaines est la plus importante, elles s'externalisent donc logiquement vers des pays où ces coûts sont relativement plus bas. Il en est de même depuis de nombreuses années dans l'industrie du textile ainsi que pour d'autres activités de services, IT, back-office, comptabilité,…".
Les chances d'aboutissement du plan français : Le plan du gouvernement français concernant les centres d'appels a peu de chances d'aboutir, vu qu'il n'est pas compatible avec la logique économique. Il existe aussi peu de chances que la commission européenne accepte de telles mesures anticoncurrentielles. Ces mesures, dans le cas de leur approbation, peuvent aussi faire face à une opposition tunisienne farouche, conjuguée avec une position marocaine qui l'est de même intensité. D'où la nécessité de coordonner les efforts, essentiellement diplomatiques, pour plier le gouvernement français sur son plan. Le poids, sans cesse grandissant des centres d'appels dans l'économie tunisienne, impose de donner au sujet l'importance qu'il requiert, et de s'opposer par tous les moyens diplomatiques, pour faire renoncer le gouvernement français à la prise de telles mesures, même si rien d'officiel n'a été pris jusqu'à présent. On n'est pas prêt à payer les pots cassés des autres. Nous avons aussi nos intérêts économiques à préserver.