Il y a quelques jours, dans le cadre de la campagne « Ostorni » (dans la même tonalité que la campagne tunisienne « aataqni ») , le prédicateur bahreïni Hassen Husseini n'a pas trouvé mieux qu'un bordel, à Sousse, pour prêcher la bonne parole et inciter les prostituées à emprunter le droit chemin. Louable initiative ? Peut-être sur la forme beaucoup plus que sur le fond. Plutôt une opération de communication pour montrer que le Cheikh en question n'a pas de scrupules à faire contre pied aux convenances en franchissant les réduits soit disant souillés et en attaquant le vice là où il prend racine et se nourrit. S'évertuer à sauver les âmes en faisant une offensive de charme à coups de versets et de hadiths dans un haut lieu de la déchéance humaine, de la misère morale et de la traite élève le paradoxe à son comble. Aucune civilisation n'est parvenue à tordre le cou au plus vieux métier du monde. La prostitution a supplanté l'ordre moral, l'idéologie ambiante, le système économique, le cadre juridictionnel et le modèle de société. Qu'elle soit légale et réglementée ou farouchement prohibée, clandestine ou manifeste, permanente ou occasionnelle, volontaire ou forcée, la prostitution est le fruit de multiples et diverses raisons d'ordre économique, social et même existentiel. Malgré tout, elle conserve son fonds de commerce et sa base de clientèle. Quand elle réglementée, l'Etat en tire de substantielles ressources fiscales, compte tenu de son faramineux chiffre d'affaires notamment ces derniers temps. En effet, avec la mondialisation, le commerce sexuel a repris de plus belle, structurant désormais les réseaux du crime organisé, du trafic des êtres humains et de l'esclavage des femmes. Par conséquent, vouloir abolir la prostitution par le diktat de la loi ou de la morale a prouvé ses limites. Donc, à défaut de l'éradiquer, il serait mieux indiqué de la réglementer pour mieux la confiner et la contrôler d'un point de vue aussi bien social qu'hygiénique. En Tunisie, la prostitution, plutôt tolérée, est réglementée dans les endroits encadrés par l'Etat. Cependant, des pans entiers de la prostitution continuent d'échapper au pouvoir public et engagent la vigilance et la traque de la force spécialisée de police (brigade des mœurs). Ceci pour dire que l'exercice mené par le prédicateur bahreïni, au-delà de ses bonnes intentions, est voué à l'échec dans la mesure où le problème est ailleurs et qu'il ne s'agit point d'une question de foi, loin s'en faut. L'histoire enseigne que toutes les religions s'en étaient cassé les dents sinon la prostitution aurait été bannie depuis belle lurette. C'est comme si on gavait d'aspirine un malade atteint de cancer. Les causes étant, pour l'essentiel, socioéconomiques, un traitement hors de ce cadre ne résout en aucun cas le problème, bien au contraire, l'interdit ayant toujours suscité l'engouement. Et quand bien même l'approche serait socioéconomique (offre de nouvel emploi, conversion professionnelle, financement de petits projets, aide à l'embauche, réintégration sociale,...), il n'est pas garanti que le commerce sexuel accuse une nette décroissance ou perde de son attrait, l'aspect mercantile et « gain facile » agit souvent comme puissant appât. Il serait quand même absurde d'occulter un paradoxe de taille : Le prédicateur Hassen Hussein, originaire du Bahreïn, pays baptisé « bordel du Golfe« , aurait du lancer sa campagne chez lui avant de fouler d'autres terres, notamment tunisiennes. Au Bahreïn, là où la prostitution à grande échelle et le tourisme sexuel font ravage et où les boissons alcoolisées, de toutes les marques, coulent à flot. Il aurait mieux fait de porter sa bonne parole au milieu du pont reliant l'Arabie Saoudite au Bahreïn, plus connu sous le pseudonyme « Johny Walker Bridge ». Il aurait fait meilleure œuvre s'il avait arpenté les ruelles de Manama où filles de joie, de différentes nationalités, vendent leur chair et leur charme dans les lupanars, de toutes les catégories, accessibles à toutes les bourses. Au lieu de focaliser son discours sur les péripatéticiennes, professionnelles du sexe dont la pratique est aussi vieille que le monde, le prédicateur Hassen Hussein aurait été plus utile pour son peuple s'il avait soutenu leur soulèvement pour la liberté et la dignité et contre le despotisme de la dynastie des Al-Khalifa au pouvoir depuis trois siècles et contribué, à desserrer l'étau, faute de le rompre, de ce tristement célèbre « Bouclier de la Péninsule » (bras armé du Conseil de coopération du Golfe, une sorte de corps militaire commun mis en place en 1984 qui jusqu'ici n'a jamais été sollicité), déployé à Manama pour mater des manifestations déclenchées sur fond de clivages confessionnels. Il aurait beaucoup mieux servi son pays et la cause de l'Islam en haranguant la foule à la place de la Perle, située au cœur de la capitale bahreïnie, que dans un bordel à Sousse. On pourrait rétorquer « nul n'est prophète en son pays » et qu'il n'y a pas un seul lieu pour faire le bien. Ce à quoi, il sied d'assener « charité bien ordonnée commence par soi-même« . D'autant plus que la vidéo diffusée de sa descente au bordel de Sousse est de nature à donner une image négative de la Tunisie et de la femme tunisienne, outre de suggérer, à contre mesure, que le tourisme sexuel en Tunisie est une réalité quotidienne et un commerce florissant. Voilà une manière de racoler sur les trottoirs glissants de l'indécence et de prostituer le verbe et la parole à mauvais escient. En conclusion, et pour paraphraser la grande actrice française Arletty, « fermer les maisons closes, ce n'est pas un projet, c'est un pléonasme« .