Par Foued ALLANI Ils (elles) sont venus ce jour-là (le 14 janvier 2011), au milieu de la houleuse manifestation, scander avec leurs concitoyens, «dégage!… dégage!» devant le ministère de l'Intérieur. Et vers 14h00, ils (elles) sont rentrés chez eux satisfaits pour déjeuner et pour suivre la suite des évènements, confortablement assis devant leur poste de télévision. Après 18h00 du même jour, ils vous diront et répéteront fièrement à qui voudrait les entendre qu'ils ont décisivement participé à la Révolution. Pourquoi toute cette histoire? Eh bien parce qu'il existe un détail très important qu'ils (elles) ont oublié de vous révéler. Le voici : en rentrant, ils (elles) ont trouvé tout en ordre chez eux (chez elles) grâce aux soins d'une jeune fille ou d'une jeune et parfois une vieille femme que les conditions socioéconomiques ont poussée à offrir ses efforts du matin au soir comme «bonne» à tout faire, contre un salaire de misère. Ils (elles) doivent se détromper. Et avec vigueur et insistance. Point de révolution, en effet, tant qu'il reste une seule tunisienne se trouvant obligée de jouer les «bonnes» car fuyant la misère qui sévit dans sa région natale et de devenir ainsi un simple nom dans le carnet d'adresses d'un quelconque «courtier» non déclaré, spécialisé dans ce genre de placement humiliant, puis sur le mandat que percevra, au début de chaque mois, un père qui n'arrive pas à nourrir ses autres enfants en attendant que d'autres parmi ses cœurs la rejoignement petit à petit dans sa nouvelle condition d'esclave des temps modernes. Certains ont donc profité à divers degrés de cette misère aux dépens d'une large frange de la population obligée de vivre la précarité, l'humiliation et l'enfermement, taillable et corvéable à merci comme elle est pour ne pas mourir de faim. Tout au long de cette Révolution de la «dignité», on continue hélas d'oublier ces centaines de milliers de filles et de femmes à la dignité bafouée, exploitées, sans couverture sociale, sans aucun avenir. Une pratique à interdire formellement pour une formule plus digne imposant l'appellation «aide-ménagère» avec contrat et couverture sociale et horaires déterminés à l'avance. Pratique qui devra rapidement disparaître grâce à l'éradication de la pauvreté et de la précarité qui s'ensuit. On profite de leur souffrance Nous ne pouvons donc pas parler d'une révolution tant que des citoyens profitent du besoin, et que d'autres en souffrent, pour les exploiter. Lutter contre les causes de ces besoins mais aussi sanctionner ceux qui en profitent. Les familles plus ou moins aisées auront toujours besoin des services d'aides-ménagères et, pour certaines d'entre elles de jardinier, de gardien ou même de chauffeur ou de cuisinier. Que cela se fasse dans le cadre légal et avec toutes les garanties pour le travailleur. Nous ne cesserons jamais de le répéter, la femme tunisienne, malgré tous les droits qu'elle a acquis, reste opprimée et exploitée. Car elle doit lutter doublement. En travaillant puis en s'occupant de son foyer. Pour réussir, chez nous et comme un peu partout dans le monde, la femme doit travailler deux fois plus que l'homme avec deux fois plus d'application et de sérieux. Elle doit aussi et surtout veiller sur la bonne marche de son foyer sans parfois et même souvent quelqu'un pour l'aider, car elle est sévèrement attendue au tournant sur ce registre bien précis. Dans leur travail, les Tunisiennes sont le plus souvent obligées de lutter pour s'imposer en dépit des méthodes de concurrence déloyale que certaines de leurs semblables utilisent pour réaliser leurs objectifs. Méthodes qui se basent sur la faiblesse qu'éprouvent certains responsables face au charme de ces concurrentes brillant dans l'art d'exploiter ces défauts. Là, l'opinion publique se doit d'ouvrir un vrai débat sur ce type d'exploitation croisée qui a débouché chez nous sur un véritable commerce. Il est arrivé que même l'université n'a pas été épargnée par ce fléau et des thèses de doctorat ont été, et cela nous a été rapporté par des enseignants intègres de renom, rédigées pour les «beaux yeux» de telle ou telle doctorante. Une simple petite parenthèse dans le roman fleuve du harcèlement sexuel qui sévit chez nous dans le monde du travail et qui profite de multiples blocages favorisant l'impunité pour se propager et devenir de plus en plus sournois et destructeur. Horriblement exploitée et humiliée Nous ne pouvons pas conclure sans soulever le problème très épineux de la prostitution, appelée à tort «le plus vieux métier du monde». Une activité avilissante pour les deux parties et pour la société dans son ensemble. Sous d'autres cieux on parle de «travailleurs du sexe». Une imposture qui aggrave cette dégradante situation. Pas besoin de faire un dessin pour convaincre de la nature profondément inhumaine et nauséabonde de ce secteur où la femme est horriblement exploitée et humiliée parfois dans le cadre d'une «institution» réglementée par l'Etat qui, de surcroît, perçoit des impôts générés par cet innommable «commerce». Pour nous il n'existe pas de prostituées, mais plutôt d'hommes sans foi ni loi qui poussent à ce que des femmes se voient obligées de se donner contre de l'argent. Il n'y a pas de prostituées mais il y a des proxénètes et des «clients». Ce sont ces deux criminels qui créent ce genre d'échange malsain. Il y aussi les pères, frères et autres membres masculins de la famille qui préfèrent s'attabler au café au lieu de chercher un travail fût-il pénible, puis réclamer du matin au soir à leurs filles ou sœurs de l'argent sans se soucier de l'origine de celui-ci. Il y a aussi l'Etat et la société qui ne luttent pas suffisamment contre la pauvreté, mère de tous les vices, et la précarité et qui ferment les yeux sur cette pratique que l'Etat feint de réprimander quand elle est taxée de «clandestine» (un problème de patente!). Voilà grosso modo décrites, ici (voir La Presse - Sup. Economie du 21 mars 2012 : douce moitié, amère réalité), les principales inégalités dont souffre la femme tunisienne, fruits d'un modèle de développement bourré de dysfonctionnement et d'aberrance.