Tordons le cou d'abord à une confusion sur laquelle même l'élite tunisienne, du moins une bonne frange, trébuche malheureusement. La diplomatie n'est en aucun cas la politique extérieure. La diplomatie n'est qu'un instrument, parmi d'autres, au service de la politique extérieure. Cette dernière s'inscrit dans une vision stratégique et multiforme alors que la diplomatie en est le maitre d'œuvre et la cheville ouvrière. Il est quand même curieux, voire inacceptable que certains hommes politiques tunisiens continuent, consciemment ou inconsciemment, de nourrir l'amalgame, sans en distinguer la ligne de démarcation et sans saisir le mode de conception et de fonctionnement des deux volets. Ceci dit, la diplomatie tunisienne est depuis quelque temps plus ou moins phagocytée, confisquée et appropriée, en partie, par les ténors de la classe politique. Le débat bat encore son plein quant à la pertinence, le droit et l'utilité qu'un chef de parti empiète sur les attributions du chef de l'Etat et de son ministre des affaires étrangères, les seuls habilités en vertu de la Constitution à avoir voix au chapitre de la politique extérieure et de la diplomatie. En résumé, trois tendances se dégagent pour approcher la diplomatie et en définir les principaux acteurs :
* Certains admettent sinon plaident le chevauchement au nom de l'intérêt national, au service des causes tunisiennes, arguant que la diplomatie classique est historiquement dépassé dans la mesure où la globalisation économique, l'innovation technologique, l'émergence d'une société civile internationale plus structurée et plus puissante et la culture ont transformé la donne diplomatique. D'autres acteurs et d'autres lignes de contact et de dialogue ont modifié l'environnement mondial, et par ricochet, le mode de fonctionnement et d'intervention de la diplomatie. D'autres modèles sont désormais possibles comme la diplomatie parlementaire, la diplomatie économique ou la diplomatie populaire. Donc, d'autres perspectives et de nouveaux outils d'action sont à la portée non seulement des diplomates.
* D'autres opposent un tout autre argumentaire selon lequel les hommes politiques, quels qu'en soient l'envergure, le bien-fondé et l'apport, n'ont pas à s'immiscer dans les fonctions régaliennes de l'Etat et à s'ingérer de quelque sorte que ce soit dans le périmètre exclusif de la politique extérieur. La crédibilité et le prestige de l'Etat en dépendent. Dans la communauté internationale, le respect d'un Etat est tributaire de la maitrise de sa diplomatie.
* Entre ces deux courants de pensées, un autre camp, la majorité par hypothèse, tenant le bâton au milieu, se distingue par sa posture consensuelle et, à ce titre, n'en rejette guère, sur le principe, l'idée de soutenir et de valoriser l'action diplomatique officielle pour peu que deux conditions soient pleinement et entièrement remplies :
* Le chef de l'Etat et/ou le ministre des affaires étrangères en soient informées au préalable, avisées sur les dessous des sujets à débattre et édifiés plus tard sur les résultats de la démarche diplomatique solitaire effectuée.
* Celle-ci est censée se conformer à la politique extérieure nationale et se placer comme intervention d'appoint, dans son étroite lignée, sans s'en écarter et sans double emploi ni rivalité manifeste. Un seul discours même avec différentes voix. Il ne s'agit donc pas de diplomatie parallèle mais de diplomatie intégrée.
Aussi, convient-il de souligner que Rached Ghannouchi a été le premier à parler de diplomatie populaire pour justifier son déploiement sur la scène diplomatique, régionale en particulier. D'autres lui ont emboité le pas, avec divers succès ou divers camouflets. Hafedh Caid Essebsi, fils biologique et accessoirement gourou de Nida Tounes, n'a-t-il pas rencontré successivement, en un mois, Ignacio Ibanez, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères d'Espagne, à Madrid, en juillet 2015, et Tayyip Recep Erdogan, Premier ministre de la Turquie, à Ankara, en août 2015. Le dernier en date, Mohsen Marzouk, secrétaire général du Mouvement Projet pour la Tunisie (MPT). Sa toute récente rencontre avec le général des forces terrestres libyennes, à Benghazi, Khalifa Haftar, au sujet du bourbier libyen, a défrayé la chronique et installé la controverse, au moins sur quatre aspects :
* A-t-il ou non coordonné sa visite avec la présidence de la république ? La guerre des communiqués entre les deux parties, entre affirmations et démentis, ajoute une couche de plomb à un sujet déjà pesant. En effet, la présidence de la république, dans son communiqué, un tantinet ambigu, a précisé que rien n'a été coordonné (ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas été informée à l'avance). Auquel le MPT a répondu d'une manière plutôt virulente, par voie de presse, jugeant le communiqué présidentiel ridicule et risible, confirmant que le chef d'Etat en personne en a été saisi. Allez savoir !?
* Le timing est-il fortuit ? A moins que le hasard ait mis son grain de sel ou que le rendez-vous ait été fixé bien à l'avance, ce qui ne semble pas être le cas parait-il ! La visite de Mohsen Marzouk, qui intervient presque simultanément avec la concrétisation de l'initiative présidentielle tripartite devant contribuer à la résolution de la crise libyenneet l'adoption de la "Déclaration de Tunis" pour le règlement politique global sur la Libye, laisse la porte ouverte à toutes sortes d'interprétations et d'analyses. Aux dernières nouvelles, à confirmer, Béji Caid Essebsi en serait agacé et offusqué, estimant que son ex- fils spirituel a marché sur ses platebandes.
* Mohsen Marzouk n'a-t-il pas pris en exemple Rached Ghannouchi et marché sur ses pas ?! L'objectif ne serait-il pas de faire un coup et de lancer un message aux partenaires étrangers, notamment le bloc occidental, et de donner l'impression ou l'illusion que son parti , le petit poucet, joue dans la cour des grands et se hisse au même rang que Nida Tounes et Ennahdha.
* Mohsen Marzouk n'a-t-il pas fait part, quand il était encore un leader à Nida Tounes, de sa réticence sinon de son opposition à la diplomatie populaire ? Pourquoi la volte-face aujourd'hui ? Manque de conséquence ou pur opportunisme politique ?!il
Pour en finir, une dernière question à poser, et non des moindres, pourquoi la présidence de la république s'est fendu d'un communiqué officiel suite à la visite de Mohsen Marzouk à Benghazi et n'en a pas fait de même quand Rached Ghannouchi , drapé de sa tunique de diplomatie populaire, se répand dans les capitales de la région ou quand son fiston a visité Madrid et Ankara pour s'entretenir avec les hautes personnalités susmentionnées ?! La réponse est d'une insolente simplicité : Rached Ghannouchi est son complice au pouvoir alors que Hafedh Caid Essebsi est son héritier à Nida Tounes !!
Les initiatives sont de la même trempe, mais il y a de toute évidence deux poids, deux mesures ! Réaction à géométrie variable et à multiple et inégale vitesse !!