Qart-Hadašt, la ville nouvelle des phéniciens, est au cœur d'une tourmente immobilière Inscrit au patrimoine de l'humanité de l'Unesco, le parc archéologique de Carthage est intouchable; en principe du moins. Sur ordre du président Ben Ali, des parcelles avaient été déclassées et mises à disposition d'un projet immobilier dont le promoteur était son beau frère, Belhassen Trabelsi. Une affaire connue de tous, celle dite de Bir Ftouha. Après la chute de l'ancien régime en 2011, les riverains de Carthage et les amoureux du site ont souvent constaté des dépassements, mais faute de Plan de Protection de Mise en Valeur (PPMV), difficile de se faire entendre auprès des autorités de tutelle, en l'occurrence de la municipalité et de l'Institut National du Patrimoine (INP) sous autorité du ministère des Affaires Culturelles. Mais il était entendu que le site de Carthage, comme tout patrimoine, devait être protégé de la prédation notamment immobilière. Certains cependant semblent l'ignorer. Al Karama Holding, société qui gère les biens confisqués par l'Etat, par le biais de "Gammarth Immobilère", propose au plus offrant deux terrains non déclassés qui avaient été mis au nom d'Imed Trabelsi, neveu de Leïla Ben Ali. Jusque là rien que de bien normal ; c'est la procédure pour les biens dits spoliés. Le hic est que ces terrains, de près de 20 hectares au total, n'ont pas changé de vocation. Situés près des citernes d'El Maalga, au cœur du parc archéologique de Carthage, ils sont inconstructibles et relèvent in fine du patrimoine. N'empêche, une pancarte publicitaire aux abords des citernes annonce leur mise en vente. Pourtant le Code du patrimoine interdit avec affichage publicitaire à moins de 30 mètres de l'un des sites. Ce n'est pas le plus important ; « Gammarth immobilière » entretient le flou et incite les éventuels acquéreurs à « s'assurer le cas échéant de leurs vocations et de leurs situations auprès des autorités locales et des services techniques compétents ». Mais nul ne leur dit qu'ils ne pourront rien faire de ces deux lots. A moins qu'ils ne soient repris par l'Etat. Ainsi l'Etat, qui a récupéré des biens lui appartenant, les met en vente sachant que la zone n'est pas constructible. Et même si elle l'était ou le devenait, des fouilles préventives obligatoires pour délivrer une autorisation de bâtir, mettraient à jour vraisemblablement des vestiges et bloqueraient tout chantier. Selon l'intérêt du résultat des fouilles, l'INP pourrait offrir de racheter les lots. Ainsi l'Etat se porterait de nouveau acquéreur de biens qui lui appartiennent de fait. La situation est aussi absurde que scandaleuse ; au mieux elle dénote d'un manque d'expertise et de dysfonctionnements dans le circuit de vente des biens confisqués, au pire, elle laisse entendre que les mauvaises pratiques perdurent surtout quand l'affaire peut-être juteuse. Vu la rareté des terrains, le prix au m2 à Carthage est en moyenne de 4000 dinars, l'un des plus chers de Tunisie. L'unique alternative serait une intervention rapide du ministère des Domaines de l'Etat ; les offres des acquéreurs doivent parvenir le 30 janvier à « Gammarth Immobilière ».