M. Ahmed Mestiri, après avoir gardé un mutisme total pendant les vingt dernières années de l'ère Ben Ali, refait subitement surface et croit découvrir dans l'aubaine offerte par la révolution l'occasion propice pour revenir aux avant-postes de la scène politique nationale. Il a d'abord essayé de se positionner, dès les premiers jours consécutifs au 14 janvier : accompagné de Mustapha Filali et de ... Ahmed Ben Salah, il s'est déplacé, dès la première semaine, au Palais du Gouvernement à la Kasbah pour proposer au Président intérimaire, M. Foued Mbazaa et au Premier ministre, M. Mohamed Ghannouchi, la constitution d'une Troïka, baptisée Haut Comité de la Révolution (sic), à qui MM. Mbazaa et Ghannouchi devaient remettre les rênes du pays. Mal sevrés de pouvoir, les trois initiateurs se sont disputés, le jour même, sur celui à qui devait revenir l'honneur de diriger la Troïka. Episode qui en dit long sur les appétits et les vrais mobiles des uns et des autres et notamment ceux, bien connus et maintes fois dénoncés par Bourguiba, d'Ahmed Mestiri. N'avait-il pas demandé à l'ancien Président, qui s'apprêtait à se rendre aux Etats-Unis pour des soins urgents, de le nommer Président par intérim, bien que rien ne l'y prédisposait comme ministre, en présence d'un Premier ministre en exercice et bien portant ? Estimant ensuite être le seul en mesure de diriger le pays, M. Mestiri n'a pas digéré la nomination de son vieux compagnon, M. Béji Caïd Essebsi comme Premier ministre. Il en a gardé une profonde amertume. Le récent communiqué de presse de M. Ahmed Mestiri, encouragé par certains membres de son entourage, est une pièce d'anthologie dans l'art de la mauvaise foi et de la critique irresponsable. D'après notre ancien ministre de la Justice, maitre d'œuvre des tribunaux populaires, des simulacres de procès contre d'anciens responsables de l'époque beylicale ou encore de « yousséfistes », « l'état du pays se dégrade de jour en jour sur tous les plans. Le sort de la révolution est aléatoire. La contre-révolution, de l'intérieur et de l'extérieur, se manifeste maintenant ouvertement ». En somme, tout va mal, au moment où le pays avance vers les premières élections démocratiques de son histoire. Pour M. Mestiri, le tort du Gouvernement de M. Caïd Essebsi est de gouverner et de vouloir trouver des solutions aux problèmes inextricables hérités de l'ère Ben Ali. Pour M. Mestiri, le Gouvernement actuel ne doit pas « légiférer », ne doit pas « gouverner le pays », ne doit pas « prendre en son nom des engagements financiers extérieurs à long terme », ne doit pas « nommer des ministres et des haut fonctionnaires, des gouverneurs, des magistrats, des généraux de l'armée, des ambassadeurs, des officiers supérieurs de la garde nationale et de la police », ne doit pas « disposer des finances publiques, exercer son autorité sur l'armée, la police et les médias audiovisuels publics, et ordonner des poursuites judiciaires ». En un mot, le Gouvernement dans la conception « mestirienne » devrait installer un fauteuil à la place de la Kasbah, se contenter d'admirer le paysage de la ville à partir de ce mont et regarder les gens flâner ou vaquer à leurs occupations. L'administration doit s'arrêter, la justice se mettre en vacances, l'armée prendre un congé sans solde, la police livrer le pays en pâture aux pilleurs, malfrats et autres terroristes. Drôle de conception pour une personnalité qui a exercé le pouvoir des années durant. M. Mestiri s'érige aujourd'hui en porte-parole autoproclamé de la révolution, lui qui a octroyé à l'occasion des élections présidentielles et législatives anticipées de 1989, un blanc-seing à Zine El Abidine Ben Ali en se désistant à son profit et en appelant le peuple à voter pour « ce grand sauveur de la Tunisie ». Depuis ce grand acte de bravoure, et lorsque Ben Ali est apparu sous son vrai jour, M. Mestiri n'a pas osé s'opposer à lui. Il s'est terré laissant son parti le MDS entre les mains des Moaada, Boulehya et autres supporters de Ben Ali. En se rappelant au bon souvenir des Tunisiens, M. Mestiri aurait pu nous faire profiter de sa « sagesse ». Il aurait pu fustiger les actes de violence, les attaques et les déprédations contre les postes de police, les hôpitaux, les sièges des services publics, les sit-in anarchiques, les actes de sabotage du gazoduc algéro-tuniso-italien, la mise en doute de la neutralité de l'armée, les innombrables déclarations irresponsables qui ont failli jeter le pays dans le chaos. Il aurait pu lancer un appel solennel à l'unité et à la réconciliation nationale, mais il n'a pas trouvé mieux à faire, pour se signaler à l'attention de son peuple éprouvé qu'une déclaration intempestive. M. Ahmed Mestiri, la forme, le contenu aussi bien que le timing de votre sortie, constituent l'illustration on ne peut plus éloquente qu'ils ne peuvent être que l'œuvre d'une personne « libre de tout engagement ». Etait-il besoin de le souligner encore ?