Le texte élaboré par un comité d'experts présidé par Iyadh Ben Achour définit l'Etat comme «civil», instaure l'égalité homme-femme et prévoit l'élection du président de la République au suffrage universel. Ce comité composé d'une vingtaine de juristes de haut vol a continué à travailler loin des feux de la rampe médiatique, sous la férule du constitutionnaliste Iyadh Ben Achour pour préparer le «canevas» de la Constitution, que les 217 membres élus de l'Assemblée nationale Constituante sont censés rédiger dans le délai maximal d'un an. Ce projet de Constitution comprenant 91 articles répartis sur huit chapitres sera prochainement soumis comme base de discussions aux représentants du peuple au sein de l'assemblée. Intitulé «Déclaration des droits et des libertés fondamentales », le premier chapitre (18 articles) de ce texte protège le droit à la vie et abolit la peine capitale. «Le droit sacré à la vie est protégé par la loi. La peine de mort est abolie », prévoit son premier article. Les autres articles du premier chapitre garantissent les libertés fondamentales, notamment celles de conscience, de culte, d'expression, d'association. Les libertés académiques, et création d'organisations civiles, politiques et syndicales sont également élevées au rang de droits constitutionnels. La torture est, quant à elle, présentée comme étant un «crime contre l'humanité» qui ne s'éteint pas par prescription, alors qu' «aucun ordre supérieur, quel qu'il soit, ne peut constituer une circonstance atténuante» pour les auteurs des actes de torture. Egalité homme-femme Le texte met, par ailleurs, en avant le droit citoyen de « lutter contre l'oppression et l'injustice par tous les moyens pacifiques» et insiste sur l'égalité homme-femme, remettant ainsi en cause l'inégalité dans l'héritage qui est toujours inscrite dans le Code de Statut Personnel (CSP). Le deuxième chapitre qui s'intitule «principes fondamentaux» (10 articles) s'ouvre par un article qui définit la Tunisie comme un Etat «libre, indépendant et souverain, sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son régime la République ». Il s'agit grosso-modo d'une reconduction du premier article de l'ancienne Constitution suspendue après la fuite de Ben Ali, à une seule différence près: l'épithète «civil» est introduit entre les mots «Etat» et «libre». Cet article semble trancher ainsi la question sensible de l'identité qui a été au cœur de la récente campagne électorale. Sur le plan politique, l'interdiction des partis «ayant une idéologie à base raciale, linguistique, régionale ou religieuse» est maintenue, ce qui constitue un barrage constitutionnel à des partis réclamant l'instauration de la Charia ou du Califat islamique. Le deuxième chapitre stipule également le respect des droits de l'opposition et charge l'Etat de veiller sur le respect de la séparation effective entre l'action politique et la sphère religieuse. Autre verrou contre l'éventuel retour d'une dictature mafieuse: la déclaration obligatoire des revenus et des biens des responsables politiques, des hauts gradés militaires et dirigeants des entreprises publiques. «Toute indemnité, tout revenu, tout salaire d'un responsable politique à tous les niveaux devront être rendus publics», précise le projet de Constitution. Régime politique mixte L'autre chapitre relatif à l'organisation des pouvoirs prévoit l'adoption des lois par la Chambre des députés à la majorité absolue (50% des voix +1voix). La candidature à la présidence de la république nécessite, quant à elle, le parrainage par 10.000 citoyens au moins et le Chef de l'Etat est interdit de cumuler deux fonctions ou à appartenir à un parti politique. Dans le cadre d'un régime mixte, le président de la République est élu au suffrage universel. Il dispose du droit de refuser la promulgation des lois et de la possibilité de les remettre à la Chambre des députés pour une deuxième lecture. Dans ce cas l'adoption de la loi se fait par la majorité qualifiée des deux tiers. Outre la représentation de l'Etat à l'étranger, le président de la République désigne les hauts fonctionnaires civils et militaires de l'Etat et les représentants de la diplomatie tunisienne sur proposition du chef du gouvernement. Il bénéficie, d'autre part, d'une immunité judiciaire qui expire à la fin de son mandant et peut être ainsi traduit devant la justice pour les crimes qu'il aurait commis durant son règne. La motion de censure à l'encontre du gouvernement peut être présentée par 25% des membres du parlement au moins, mais son adoption nécessite une majorité de deux tiers. S'agissant du pouvoir judiciaire, le projet de Constitution institue le principe de l'inamovibilité du juge et prévoit la mise en place d'un Conseil supérieur de la magistrature élu. Et last but not least, le texte élaboré par les juristes, confie l'organisation des élections présidentielles, parlementaires et municipales et des référendums à une Instance indépendante. Jugé par certains observateurs comme étant le plus avancé dans le monde arabe, ce projet de Constitution devrait faire l'objet de débats enflammés au sein de l'Assemblée Constituante, surtout que certains articles, dont ceux évoquant implicitement l'égalité dans l'héritage ou explicitement l'abolition de la peine de mort, sont contradictoires avec le programme du parti islamiste Ennahdha qui domine l'assemblée avec 89 élus.