Par Olfa JAIBI * Si la nouvelle version de l'art 3 du projet de loi sur l'organisation des pouvoirs politiques portant sur l'adoption de la nouvelle Constitution semble favorablement accueillie par la majorité des composantes de la société civile et notamment par les juristes tunisiens, son analyse à la lumière du contexte politico-social actuel et des rapports de force au sein de l'Assemblée constituante devraient nous conduire à modérer tout optimisme. Selon ledit article, le projet de la nouvelle Constitution tunisienne sera soumis à l'approbation de l'Assemblée, article par article, à la majorité absolue des élus (50%+1 voix) dans une première étape. Il sera par la suite soumis au vote, dans sa globalité, afin d'être adopté par l'Assemblée à la majorité des 2/3. Dans le cas où la majorité requise n'est pas atteinte, il sera de nouveau soumis au vote, dans un délai maximum d'un mois, en vue d'être adopté avec la même majorité. Et dans le cas où cette majorité n'est toujours pas atteinte, le projet sera soumis au référendum populaire afin d'être adopté à la majorité des votants. Certes, ce texte est beaucoup plus acceptable que la version initiale qui permettait l'adoption de la Constitution à la majorité absolue des élus (50%+1voix), sur deuxième lecture si la majorité des 2/3 n'était pas atteinte. Mais sur un plan pratique, la portée des modifications apportées au texte initial reste très limitée. En effet, l'adoption article par article de la Constitution à la majorité absolue devrait conduire à une Constitution d'inspiration essentiellement « nahdhaouie », avec tout au plus une légère touche des deux autres alliés (CPR et Ettakatol). Car il est clair qu'Ennahdha n'aura aucun problème à faire passer ses textes, même en cas de dislocation du trio, n'ayant besoin que de 20 voix supplémentaires pour atteindre les 50%+1 requis. 20 voix qu'elle pourra aisément récolter auprès des «électrons libres» de la Constituante ou parmi la branche conservatrice du CPR (ou d'ailleurs). De sorte que le véritable blocage ne devrait survenir qu'à la fin du parcours, lorsqu'il s'agira de voter sur la Constitution dans sa globalité à la majorité des 2/3. Car si Ennahdha ne devrait avoir aucun problème à récolter les 7 voix manquantes pour atteindre les 2/3, si elle a le soutien du CPR-Ettakattol, ses chances seraient pratiquement nulles en cas de défection de l'un des alliés. Ce qui nous ramènera inéluctablement au fameux référendum. Un référendum populaire sur une Constitution élaborée essentiellement par Ennahdha -parti au pouvoir- qui n'aura été à aucun moment obligée de tergiverser avec ses contradicteurs pour modérer ses projets, puisqu'il n'aura trouvé aucune difficulté à recueillir les voix nécessaires pour faire passer ses nouveaux choix de société. J'entends déjà, à ce niveau, les voix qui s'élèvent pour accuser cet article de brosser un tableau trop sombre de la réalité et d'exposer une vision on ne peut plus pessimiste. D'aucuns diront que cette analyse semble oublier que dans ce cas-là, la décision finale revient au peuple et que les Tunisiens de la révolution ne cautionneront pas une Constitution qui ne sera pas à la hauteur de leurs aspirations de liberté, de justice, d'égalité sociale et de démocratie réelle. Sauf qu'il n'est nullement ici question d'oubli. Si le référendum est l'outil démocratique par excellence, il peut, souvent, se révéler une arme à double tranchant. Je souhaite d'ores et déjà « bonne chance » à ceux qui se sentent le courage de mener une campagne en faveur du « NON » au projet de Constitution soumis au référendum. Allez convaincre des citoyens opprimés depuis 50 ans, qui sortent à peine (ou du moins essaient et espèrent sortir) d'une dictature de 50 ans qui s'est évertuée à éradiquer toute forme de culture politique et citoyenne, de lire une Constitution de près d'une centaine d'articles écrits dans un jargon juridique, par définition élitiste, de les aider à comprendre les termes utilisés, le véritable sens des concepts, et le sens caché des mots et des tournures et leur faire saisir les dangers d'un tel texte sur la démocratie et les droits et libertés de chacun... Et quand bien même ces citoyens téméraires auraient réussi une telle mission (impossible), et seraient acquis pour le «NON», je vous souhaite bien du courage pour trouver les mots justes pour les convaincre que le «NON» est la meilleure décision qui soit, même si elle plonge le pays dans une crise sans précédent, dont on ignore la portée. Car, que ferions-nous si la Constitution n'était pas adoptée ? On renverrait l'Assemblée constituante au travail ? Pour combien de temps encore ? Ou alors on ferait réélire une nouvelle Assemblée, la première ayant échoué dans sa mission essentielle ? Qui sera habilité à gouverner le pays dans ce cas ? Et pour combien de temps ? Nul ne le sait. Rien n'est prévu. Ni dans le texte adopté samedi dernier, ni ailleurs. Et tout a été fait pour qu'il en soit ainsi. Le seul espoir qui subsiste est que cet article soit modifié. Pour cela, la société civile doit en être consciente et exercer une pression sans relâchement jusqu'à obtenir gain de cause. Car si la loi sur l'organisation provisoire des pouvoirs ne prévoit pas expressément la possibilité de modification de ses dispositions, le principe des parallélismes des formes devrait conduire à reconnaître aux élus la faculté de modifier ce texte, par la même majorité à laquelle il a été adopté (soit la majorité absolue des 50+1). Rien n'empêche que ce texte ne soit modifié en faveur d'une adoption de la Constitution, article par article, à la majorité des 2/3 de sorte que la formation la plus forte se trouve obligée de dialoguer avec les autres, de modérer ses ardeurs et ses points de vue afin de réussir à faire passer des textes plus consensuels appelés à recueillir l'acquiescement de la plus grande tranche de la population. Et pourquoi pas prévoir une solution dans le cas où la Constitution ne passe pas au référendum, de sorte que le vote citoyen soit un vote éclairé et non un vote sous contrainte ? Un consensus par définition exigé, s'agissant du texte fondamental du pays, s'agissant de la Constitution de tous les Tunisiens, la Constitution de la deuxième République, la Constitution de la révolution.