« Symbole de l'être mais aussi de la Révélation qui est la médiatrice pour élever l'homme par la connaissance à un niveau d'être supérieur. L'Un est aussi le centre mystique, d'où rayonne l'esprit, comme un soleil ». Jean Chevalier & Alain Cheerbrant, Dictionnaire des symboles Un ajouté à Deux font, incontestablement, selon l'instituteur qui m'a appris les rudiments du calcul, Trois. C'est là, ajoute-t-il, une règle arithmétique incontestable. Il faut que le soleil se lève à l'ouest, reprend mon instituteur, soucieux du bien-être intellectuel de ses « chers enfants », pour que Un ajouté à Deux fasse autre chose que le trois convenu. Soit dit en passant, mon instituteur ne cache pas son aversion pour le nombre trois qu'il accuse ouvertement d'être le support de l'irrationalité. La trinité (chrétienne, cela va sans dire, qu'il ne se donne pas la peine de nous expliquer) n'est-elle pas, comme son nom l'indique, la grotesque mystification du Un ? Puis, se rendant compte qu'il s'est écarté de l'essentiel, il nous demande d'oublier tout cela et ajoute, grave et sentencieux : « Il ne faut jamais oublier que, dans tous les cas de figure, Un ajouté à Deux font bien Trois ». A l'époque, la troïka, qui devait malmener le pays et le précipiter dans l'abîme, n'était pas encore née ! Comment se fait-il donc que, dans le contexte politique tunisien de l'après-révolution, Un ajouté à Deux, ou éventuellement à trois, n'ont fait qu'Un ?! Demandez à n'importe quel tunisien de répondre à la question suivante : Ennahdha ajoutée au CPR et à Ettakattol – éventuellement à El-jommouri – font combien ? Surprise, au lieu de la Troïka attendue (ou du quartet), la personne interviewée vous sert, sans la moindre hésitation, la réponse suivante, qu'il prend d'ailleurs la peine de qualifier de tout à fait logique : Ennahdha cher monsieur ! Inutile de vouloir le raisonner ou de lui demander de justifier sa réponse, il n'en démordra pas. « Tous les chemins mènent à Ennahdha », il n'y a pas d'autre réponse possible que celle-là. C'est à prendre ou à laisser. Mon instituteur, qui m'a appris, en plus de l'arithmétique, les rudiments de l'arithmopolitique (c'est-à-dire l'arithmétique appliquée à la politique, politicienne surtout), était un visionnaire. Il nous disait en guise de commentaire, après nous avoir lu à trois reprises la fameuse fable de L'agneau et du loup de feu Jean de La Fontaine, qu'il n'est pas de l'intérêt de la fourmi de se mettre en ménage avec l'éléphant. Si, par chance, elle ne se fait pas, sciemment ou par inadvertance, écraser par son allié le pachyderme, elle risque fort d'être inféodée et de perdre ainsi son âme. Cela prouve, si besoin est, de conclure le sage qui a illuminé mon enfance, que le Petit ne deviendra pas grand au contact d'un Grand ! Cela prouve également que le Grand ne fera jamais l'effort de ménager ses larbins, surtout quand ces derniers sont des parfaits cabotins ! Un silence conséquent ponctue cette précieuse sentence, à la suite de quoi le maître, le visage radieux et l'œil étincelant, ajoute non sans emphase : « La grandeur et la petitesse ne sont pas affaire de physique ! Un nain, confiant dans ses moyens, peut parfaitement mettre à terre un géant. Tout est affaire de stratégie ». Pour cela, il faut être un excellent joueur et disposer de véritables atouts. La laïcité est ce dont Ennahdha a besoin pour être présentable à un monde extérieur qui s'accommode mal des panacées moyenâgeuses. Si les nains, qui se sont associés au géant nahdhaoui, avaient bien négocié leur part du gâteau, ils auraient fini par obtenir gain de cause. Ils auraient réussi le miracle qu'aucun thaumaturge, avant eux, n'a réussi : faire d'une confrérie religieuse rétrograde un parti politique d'obédience laïque. La morale de l'histoire, nous prévient le maître, le doigt braqué sur nos petites faces sidérées, est la suivante : « Un éléphant ajouté à une fourmi, ou à mille, font Un éléphant. Et rien de plus, surtout dans le cas où la fourmi, indépendamment de sa couleur politique, s'obstine à jouer son rôle minable de fourmi. L'astuce aurait été de convaincre l'éléphant qu'il est moins éléphantesque qu'il ne le croit et que, par conséquent, tout éléphant qu'il est, il ne pourrait se passer du concours de la fourmi. Retenez bien cela. Vous en aurez un jour besoin ». Soucieux de mettre les points sur les I, mon précepteur de génie, revient à la charge en martelant son bureau branlant de son poing, criant qu'on ne peut additionner que les choses de même nature. Une pomme ajoutée à deux pommes font bien trois pommes, de même pour les bananes, les carottes et les œufs pourris qu'on pourrait jeter à la gueule d'un pachyderme suffisant jusqu'à l'arrogance. Le maître observe un moment de silence et, nous narguant de son regard intelligent, il ajoute souriant : « Attention, il ne faut pas manger les trois pommes en même temps. N'oubliez pas les enfants que la gourmandise est une maladie mortelle ». L'adulte grisonnant m'a appris ainsi à me méfier des baguettes magiques, des baumes revigorants, des féeriques panacées et, d'entre toutes les illusions pernicieuses, des apprentis thaumaturges qui font passer leurs sordides magouilles pour des miracles ! Voilà pourquoi, me dis-je aujourd'hui, cinquante ans après la mort du génie anonyme qui m'a initié aux humanités, que l'Emirat islamique ou le Califat, ajouté à la République, les deux ajoutés au Libéralisme socialisant, ne donnent rien du tout ou accouchent, comme c'est le cas pour la Tunisie postrévolutionnaire, d'un monstre hideux, dont la paternité aux deux éléments premiers de cette association contre-nature, baptisée frauduleusement Troïka, est trop flagrante. Un monstre où la sainte Sharia ferait bon ménage avec la Charte universelle des droits de l'homme et la Laïcité. A cette synthèse dissonante, il faudrait ajouter un certain nombre d'autres ingrédients, stipulant – ô sublime trouvaille ! – la complémentarité de l'homme et de la femme dans la Cité idéale où, pour dissuader les sit-inneurs, un bataillon de bourreaux bien entraînés par les grands maîtres d'Arabie, s'emploieraient à découper en morceaux les plus coriaces d'entre eux ! Mon maître d'antan nous disait, pour nous mettre en garde contre les faux calculs et les rêves démesurés, que l'essentiel n'est pas dans le résultat, mais dans la démarche. Le petit homme que j'étais à l'époque avait du mal à saisir la portée de ce propos, ô combien édifiant ! Aujourd'hui, au spectacle désolant du désastre commis par la sainte Troïka au pouvoir, je me dis, non sans amertume, que mon instituteur est le plus grand visionnaire de tous les temps, ne serait-ce que parce qu'il a réalisé, lui dont les moyens intellectuels étaient fort limités, que le bon sens est loin d'être la chose la mieux partagée entre les hommes. C'est cette perversion congénitale qui explique que, dans la Tunisie postrévolutionnaire, Tartuffe ajouté à Hippocrate ou à Cicérone (ou à n'importe quel autre sophiste) font… Font combien à votre avis ? Rien de bien conséquent, répondront les Tunisiens excédés par les extravagances du monstre qui a mis leur nation en ruine. Elyès Fakhfakh, le ministre des finances, une figure de proue de l'alliance contre-nature qui a été à l'origine de ce désastre, se donne aujourd'hui la peine de répondre à cette question : « Si nous ne faisons rien, dit-il en substance, la prochaine révolution est pour bientôt ». Une révolution, soit doit en passant, qui lui ferait perdre son portefeuille ministériel et ferait perdre à son Ettakattol sa qualité de co-gouvernant. Monsieur le ministre est à la recherche de solutions miracles, mais pas pour sauver la Tunisie et son peuple, mais pour sauver la sainte troïka dont il se fait, pour la circonstance, son porte-parole attitré. La solution consisterait, selon cet humaniste soucieux du bien-être de ses administrés, dans « la taxation des entreprises et des propriétaires de véhicules d'une puissance fiscale comprise entre quatre et treize chevaux » ! Pour que les véhicules troïkiennes continuent de rouler, aux frais du contribuable, il est impératif en effet que la classe moyenne, férue de voitures de luxe d'une puissance fiscale de quatre chevaux, se défassent de leur égoïsme et participe plus activement à l'effort d'édification de la théocratie démocratique que nous promet l'éléphant Ennahdha. Le ministre des finances, qui est plus versé dans le calcul que feu mon instituteur, croit avoir bien mené son affaire. Il aurait oublié seulement un détail, et de taille. Monsieur Elyès Fakhfakh devrait se rappeler que nos ancêtres, qui étaient des gens sages et pondérés, nous ont légué de bien beaux proverbes, dont celui-là : Illi yehsib wahdou yofdhollou !