« Parler, c'est suspect. Quand on parle de sa vie, longue ou courte, brève et tragique ou d'une durée défiant l'entendement, on impose à son public une continuité, et cette continuité est un mensonge ».Anne Rice, Le Don du loup Adam Fethi ne croyait pas si bien dire. Il a réalisé en effet un coup de maître en parlant, dans son magnifique morceau de bravoure, du « voleur de Carthage ». La référence à Ali Baba et les quarante voleurs est si bien évidente qu'il aurait été plus juste, et certainement plus à propos de parler de la caverne de Carthage ! Les Tunisiens ignorent, pour leur malheur, ce qui se trame dans cette citadelle depuis qu'elle a été investie par son dernier locataire et son armée de conseillers, ou de sorciers. Et ce n'est qu'à la faveur de cette monumentale bourde, mieux connue sous le nom de Livre noir, qu'ils ont eu enfin la chance de découvrir le pot aux roses ! Le génie d'Adam Fethi est donc d'avoir judicieusement évoqué l'illustre brigand des Mille et une nuits et sa bande composée de quarante âmes, des moins sensibles, retranchés tous dans une caverne dont la porte est actionnée par une formule cabalistique d'eux seuls connue. Mais, contrairement aux bandits des grands chemins de la fiction shéhérazadéenne, ceux de la caverne de Carthage ont eu, eux-mêmes, la maladresse de livrer, à la curiosité publique, les trésors fabuleux de leur inexpugnable repaire. L'Ivre noir est l'équivalent du « Sésame ouvre-toi » dont s'est servi le chanceux Ali Baba pour commettre le plus grand cambriolage de l'histoire ! C'est donc au niveau du dénouement que le deux récits divergent. Et c'est cela qui explique le ton triomphal d'Adam Fethi et de tous ceux qui, avant lui, ont pris leurs plumes pour dénoncer l'infamie du voleur, tant adulé par sa génitrice Shéhérazade. A l'image d'Ali Baba le justicier se substitue ainsi celle d'Ali Baba le casseur. Les trésors de Carthage, contrairement à ceux dont grouillent la caverne des brigands mythiques, ne sont pas le produit de rapines, mais le fruit de l'histoire de la Tunisie. Et il ne revient à personne, surtout pas à quelqu'un qui s'est introduit par effraction dans la citadelle symbolique de Carthage d'en juger. Dans ce cas précis, il est judicieux de parler de vol parce que l'Ali Baba du jour, promu président, a mis la main sur un bien qui appartient à la nation. Ayant trahi ainsi sa vocation de justicier qui, au nom d'une société laborieuse, à laquelle réfère sa condition de bûcheron, apporte la preuve que bien mal acquis ne profite jamais, ou profite à d'autres qu'à ses amasseurs, le voleur de Carthage n'a pas réussi, lui qui n'a pas su être président, à se faire passer pour le cambrioleur sympathique Arsène Lupin dont les tours ont été immortalisés par Maurice Leblanc. Condamné à être ce qu'il est, c'est-à-dire un raté, et rien que cela, le casseur de Carthage n'a pas su rivaliser avec la figure shéhérazadéenne de la virtuosité féminine, incarnée par l'illustre Dalila la-Rouée. N'est pas voleur qui veut. Voilà la conclusion qui s'impose au terme de cet exposé, à laquelle il faudrait peut-être ajouter qu'il n'est pas donné au premier venu de s'établir dans la condition prestigieuse d'un casseur-justicier, surtout quand il n'a pas la perspicacité nécessaire pour profiter de la clé que la providence a mise entre ses mains. C'est ainsi que le « Sésame ouvre-toi », qui a ouvert la voie de la fortune et du prestige au sémillant bûcheron du conte de fées shéhérazadéen, s'est transformé, dans le cas de l'indigne voleur de Carthage, en « Enfer ouvre-toi » ! Et c'est de cette façon que le locataire de Carthage s'est lui-même condamné à jouer le rôle ingrat de Kacem, l'opulent et cupide frère d'Ali Baba ! Mais l'ingéniosité du grand poète tunisien Adam Fethi va bien au-delà de cette lecture, somme toute classique, du conte shéhérazadéen. Son mérite est d'avoir démontré, de manière fort subtile, que rien ne réussit à un raté, pas même le mal. C'est en raison de cette fatalité que Le Livre noir, censé être l'incarnation par excellence du chef-d'œuvre machiavélique, s'est révélé être un piège pour son infortuné géniteur et pour tous ceux qui, sur son ordre, ont pris part à sa conception. Or, le propre de ce genre de piège est de pousser celui qui y est tombé à se démener inutilement pour s'en sortir et, ce faisant, de s'y embourber encore plus profondément. De là le lot de mensonges dont le voleur de Carthage et ses complices ont bombardé les Tunisiens pour excuser une si lamentable bourde ! Mais là encore, le raté, qui n'a pas su être président, s'est révélé être un fieffé menteur. Bien loin de le disculper, ses mensonges, cousus de fil blanc, ne font que l'enfoncer davantage, et c'est ainsi qu'il s'est retrouvé dans la situation du serpent qui se mord la queue. Chaque jour, il se vérifie un peu plus qu'il y a des vols que les peuples ne pardonnent jamais, surtout quand les casseurs maladroits cèdent à la folie de s'attaquer à leur histoire pour l'exploiter grossièrement dans l'élaboration de leurs propres épopées ! Une autre figure vient ainsi s'ajouter au panthéon où siègent Néron, Goebbels et son Führer, et d'autres tristes figures de la mégalomanie qui a ruiné tant de têtes qui se croyaient si bien faites et qui, à l'épreuve, ne se sont même pas révélées bien pleines ! Leurs titres grandiloquents de docteurs (dont ils se servent pour se mesurer vainement à Hippocrate et Hérodote) n'auraient servi qu'à les discréditer aux yeux d'un peuple qui a si mal récompensé la félonie et la corruption de leurs prédécesseurs directs, ceux-là mêmes dont ils prétendent dénoncer les abus dans leur détestable Livre noir !