Par Fethi EL MEKKI* Un proverbe de l'Antiquité perse disait «Plus vous laissez à vos héritiers, moins ils vous regrettent». Il ne fait aucun doute qu'après son départ, la si providentielle et si lumineuse Troïka, ayant mis involontairement toute la Tunisie en apesanteur, sera amèrement regrettée, les larmes versées ne seront pas celles de crocodile...et les pleureuses ne vont pas chômer... Depuis le formidable 14 janvier 2011, jour où paraît-il, le Tunisien a retrouvé sa dignité et sa liberté, notre quotient intellectuel a atteint un niveau himalayen, jamais atteint auparavant... Ça vole haut, très haut même ; on navigue en plein nirvana et on ne s'ennuie jamais. Les grandes pointures intellectuelles à l'esprit vif et brillant, innombrables, si fines et si habiles à manier la parole, ayant eu le karma de se trouver au bon moment au bon endroit, sont apparues brutalement on ne sait d'où et font fureur et honneur au génie tunisien... Candides candidats Depuis l'inoubliable 14 janvier, le méli-mélo est dramatique, le pays a été envahi de révolutionnaires qui se sont invectivés, se sont coupé la parole, se sont crachés dessus... sous prétexte qu'ils parlent souvent vrai dans un monde où on parle toujours faux. Ils ne connaissent rien, mais ils disent tout, ils parlent sans arrêt, mais ils ne disent rien, ils n'écoutent personne, mais ils entendent, on a rarement vu autant de talent au service d'idées aussi fausses... Pour le formidable 23 octobre, on a assisté interloqués, au défilé de milliers de personnes qui prétendent faire de la politique, mais qui n'ont rien à voir avec elle. Ça bredouille, ça jacasse, ça glapit, ça feule, ça caille avec des voix d'outre-tombe; les galimatias ont été magnifiques et la confusion sublime. Le but a été a priori atteint, car l'audience a été nulle... La politique avec ces surdoués, avance et recule comme une balançoire, le plus grave c'est qu'ils ont pris leur rôle au sérieux...Ce fut comme convenu, une volée de bois vert... Depuis l'exceptionnel 14 janvier 2011, même le train siffle et pleure pour exprimer son indignation, devant tant de grâce, de finesse, de raffinement et d'élégance dans la vivacité d'esprit à tel point que pour les vertueux, les bien pensants, les cohérents et les sages les apoplexies sont quotidiennes, mais ils arrivent, dieu merci, à s'en sortir.... On est chez les mariolles, c'est poétique, brillant et affreusement tunisien, donc odieux et exquis... Pitoyable étable Depuis le fastueux 14 janvier 2011, on nous prend pour des ânes. Après le 7 novembre 1987, on a eu droit à la sempiternelle «el ahd el jadid, sanaâ ethaghiir el moubarak, sanat echabab…» et tout le reste... répétés des millions de fois par jour... Jusqu'à la crise convulsive... Depuis le 14 janvier, c'est le même refrain, le même fond musical, les mêmes voix et les mêmes si sympathiques têtes… Mais avec «thaourit el houria oual karama, thaourat echabab, el rabii el arabi...» et tutti quanti... Jusqu'au prochain hallali... dans une belle ambiance de perfidie... Depuis le si béni 14 janvier, des étrangers à la voix de lion, à la tête de rat et au comportement de roquet, déferlent sur le pays des Cafres, la Tunisie, pour nous apprendre à boire, à manger, à faire la prière et à mutiler nos fillettes pour en faire des frigides pour minotaures érotomanes... Nos indécents visiteurs, au comportement de reîtres racés, vermillant à la recherche de vers de terre, chouchoutés par un gouvernement endormi les yeux grand ouverts, spécialisé dans la grande distribution des kleenex et surtout préoccupé par l'industrie du vide et le brandissement de sabres en bois, sont obsédés par l'idée de donner à picorer des insanités, au petit peuple agité de gallinacés et fan de Robinson Crusoë qui a aboyé de bonheur, en se retrouvant sans décalage horaire, sans passeport et surtout sans visa, quelques siècles en arrière... Nos sexologues devraient d'ailleurs faire un petit tour du côté des méninges de ceux qui ont eu le génie de les inviter...Parions qu'ils vont concourir la tête haute pour le prix Nobel de la gaudriole et des commentaires graveleux... Albert Camus disait : la bêtise insiste toujours... Au marché des dupes Depuis le si délicieux 14 janvier, les étranges personnages, aux propos outranciers, aux yeux de fureteurs, aux regards soupçonneux et virtuoses en situations loufoques prolifèrent consciencieusement. Experts en opportunisme politique et en dialogues incultes, acteurs hors pair et camouflés sous une élégante courtoisie, ils se bousculent et font la queue devant les tribunes et les sièges des médias pour nous abreuver de leur prétention, de leur fureur de vivre et de leur rage d'en découdre avec la Terre entière... Le temps est aux jocrisses et aux faiseurs, il ne nous reste plus qu'à nous extasier, dans une ambiance délétère où les immondices envahissent régulièrement nos rues, narguent nos narines et menacent la santé de nos enfants. Même les commentateurs dont la profession est de commenter ces diatribes n'en peuvent plus de commenter les allers et retours du «bêtisier» post-révolutionnaire... Le répertoire est très large. Du mythomane au Spiderman du 13-14 janvier et aux héros de pacotille. Le verbiage est cocasse, les commentaires acides, les sarcasmes monumentaux, les bévues colossales et le constat est triste à faire fuir le jour… On entend de tout et on voit de tout, il y a la prouesse du pseudo-animateur qui nous a exhibé le vrai-faux fils de Zaba, il y a le bain de boue quotidien de Facebook, perchoir à perroquets cultivés et cracheurs professionnels à l'oisiveté débordante, il y a le douteux, sinistre et déluré, qui se prend au sérieux et milite à ce que la drogue douce soit légalisée, il y a celui qui demande à ce que les «jawari» soient légalisées, alors qu'il a, a priori du mal même à gérer sa propre épouse, il y a celle qui jure fredonner l'hymne national à la maison dès le saut du lit, il y a ceux qui insultent les ministres pour un oui ou un non, il y a ceux qui insultent et tabassent leurs professeurs, il y a ceux qui veulent couper les mains des sit-inners et des grévistes, il y a les moralistes qui doivent savoir que quand ils pointent un index accusateur sur quelqu'un, leurs autres doigts les désignent eux, il y a ceux dont l'esprit a toutes les dimensions : la profondeur, l'étendue et le néant, il y a ceux qui s'ils ont des dents, il leur manque des tripes pour ne pas agresser la gent féminine et s'évaporer dans la nature, il y a les cyber-imbéciles qui ont fait scandale au cours d'une conférence de presse au palais présidentiel de Carthage, au cours d'un bref moment de poussée hormonale et il y a ceux qui n'ont pas lu un livre depuis leur si tendre enfance... Jean Cocteau disait : la bêtise consterne et ne donne guère l'envie de rire...Ici en Tunisie, on en rit jusqu'à gerber… Conscience-fiction Les fausses notes, les scènes curieuses, les anecdotes et les bourdes s'enchaînent sans hâte à tel point que l'on se demande si ce n'est pas du théâtre soigneusement répété et fignolé à l'école de la déchéance humaine où on enseigne aux futurs ex-ministres comment acquérir une réputation de gaffeur professionnel... Là aussi les flops et les pantalonnades sont monumentaux et on a l'embarras du choix… Il y a les sept macaques qui ont gravi le bananier de l'avenue Bourguiba et qui dans un moment d'orgasme intellectuel ont planté leur torchon noir, il y a ceux qui dans les manifestations espèrent libérer la Palestine à force d' hululer «mort aux juifs», il y a les élégants élus qui menacent les autres élus et leur demandent de sortir s'expliquer dans le parking du palais du Bardo, il y a les petits voleurs-faux-martyrs auto-condamnés au martyre à perpétuité, il y a celui qui a appelé au meurtre du dernier des Mohicans, M. Caïd Essebssi, et qui est presque excusé par son ministre, il y a le salafiste, fils de ministre, qui joue à la petite frappe et au mâle qui fait mal devant la faculté avec, qui plus est, une professeure d'université, il y a le ministre maladroit récidiviste, rigolard, impénitent, impudent et futur démissionnaire au rythme où en sont les choses, il y a le ministre qui essaye de nous expliquer que la démocratie est une forme de complot continu et par conséquent que trop de démocratie tue la démocratie. Il y aussi notre gendre-ministre gentleman, apôtre de la politique politicienne et chantre de l'excellence, puisqu'il est issu du meilleur gouvernement de l'histoire de notre pauvre pays et qui nous jure que l'étendue de nos côtes est équivalente à celles du Qatar et que l'opposition ne représente que 0.00 % de la population, mais est capable quand même d'entraver la bonne marche du développement… Il y a ceux qui croient fermement que les événements les plus sombres ont aussi des aspects positifs… Bon dieu, ne dit-on pas parfois que le silence est d'or… Les amateurs de charniers Pour le nouveau parti au pouvoir, les défaites morales et politiques se suivent d'une manière bien synchronisée. Ça a commencé par les médias qui ont hurlé de rire lorsqu'on, on a voulu les phagocyter, ensuite ce fut au tour des pathétiques troupes de petits truands à la barbichette naissante, sous forme de milice qui n'ont pour culture générale que les mots haram et kouffar, qui s'évaporent dans la nature, après chaque passage à tabac des artistes et des intellectuels et qui se sont acharnés jeudi dernier, avec bravoure, sur des tombes dans un cimetière.... Ensuite ce fut au tour des syndicats qui ont résisté et hurlé au viol, enfin c'est au tour de cette charia qu'on a tenté pernicieusement d'immiscer dans les articles de la nouvelle Constitution, là aussi ça n'a pas marché... Est-ce que nos découvreurs de talents ont oublié qu'ils sont en Tunisie et que les Tunisiens n'adhèreront jamais à ces jongleries et à ces tours de farces et attrapes ?...Ne voient-ils pas que le Tunisien ne supporte plus ce drame permanent qu'il vit, rythmé comme un film d'horreur, qui a eu soyons honnêtes quand même, l'intelligence de nous faire rire et pleurer en même temps et qui constitue un modèle politique inégalé et inégalable ?...Ne dit-on pas que dans la bêtise, on s'arrête rarement en chemin... ? Alpinistes en sous-sol Depuis quelques mois, le chagrin est chronique et les haut–le-corps alternent avec les haut-le-cœur, devant cette médiocrité épanouie et triomphante absolument partout... On assiste médusés à une classe politique, artiste de la passe arrière, virtuose en zigzags phraséologiques, qui n'amuse plus la galerie et s'écoute parler, le tout sur un fond d'écran occupé par les Mozart de la bêtise, qui ajoutent l'inexactitude au mensonge et à la grossièreté… Ces messieurs ont oublié qu'on n'a jamais vu un tigre changer de rayures et ne se rendent pas compte que les Tunisiens ne supportent plus l'habillage de façade, les vols de vautours sur la liberté et la dignité de notre pays, refusent de vivre dans une ménagerie où tout le monde a les doigts pleins de confiture et refusent aussi que leurs rêves s'écrasent sur les pare-brise de la si triste réalité... Chers messieurs, sachez aussi que les mensonges en politique ne vieillissent pas. Ils pourrissent tout de suite. On sait que la bêtise et la vulgarité sont aussi vieilles que l'intelligence et la finesse, le plus étonnant c'est qu'elles aient pu durer et triompher aussi longtemps.... * (Pneumo-allergologue)