« L'homme raisonnable s'adapte lui-même au monde ; l'homme déraisonnable continue à essayer d'adapter le monde à lui-même. Donc, tout progrès dépend de l'homme déraisonnable ». Bernard Shaw, L'Homme et le Surhomme Il est courant d'entendre des gens louer l'habileté et le sens de la stratégie du mouvement Ennahdha et en tirer la conclusion, toute logique en somme, qu'il serait, à moyen ou à long terme, invincible. Ce mouvement s'identifiant, comme toutes les formations totalitaires, à son président, ces commentateurs de fortune passent allègrement du général au particulier et s'ingénient à souligner le génie « politique » de Rached Gannouchi, ses qualités de leader et de meneur d'hommes. Et de fil en aiguille, ce dernier est rehaussé au rang des héros civilisateurs et des hommes exceptionnels qui ont révolutionné le cours de l'histoire. Les thuriféraires du mouvement islamiste oublient cependant de nous préciser la nature de l'apport de R. Gannouchi et les services que, grâce à ses lumières présumées, il aurait rendus à la Tunisie et aux Tunisiens. Ils oublient de nous préciser en quoi ce « sheikh » autoproclamé est différent des bataillons d'hallucinés, qui se plaisent à se dire prédicateurs ou réformateurs, et dont l'unique mérite est non seulement d'exploiter un patrimoine qui ne leur appartient pas en propre, mais de se permettre le luxe, pour servir leur gloire, de le pervertir. Les admirateurs de R. Gannouchi perdent de vue que ce dernier, qui tient beaucoup à son titre de « sheikh », n'est pas un homme politique et que, par conséquent, son action ne pourrait être, en aucune manière, appréciée en termes politiques. Quel serait le mérite de R. Gannouchi ? Le fait de lui reconnaître un quelconque mérite, revient à admettre qu'il ait pu réinventer l'Islam dont il prétend être le chantre. Or, et cela tombe sous le sens, l'Islam n'est pas l'œuvre de R. Gannouchi et des ambitieux de son genre. Il n'y a pas le moindre doute que l'Islam n'a besoin de personne pour exister et prospérer parce qu'il vit dans les consciences de ses adeptes, mais également dans la multitude d'expressions que ces derniers lui ont données au cours de son histoire. Ce que R. Gannouchi, et tous les idéologues qui vivent aux crochets de l'Islam, oublient, c'est que ce dernier s'identifient à tous les musulmans, sans exception. Cela revient à dire que l'islamisme, dans ses différentes manifestations, est une véritable mise à mort de l'Islam puisqu'il l'empêche d'évoluer en cherchant à l'emprisonner dans un moule qui, tôt ou tard, finit par l'étouffer. C'est ainsi que, sous l'effet de l'islamisme, l'Islam a été assimilé, par ses détracteurs occidentaux, au terrorisme. Il est un fait que les religions doivent leurs vies à leurs croyants et non à leurs clergés. Ces derniers, comme tous les corps parasites, sacrifient tout pour survivre, y compris ce qui est, pour eux, de l'ordre de la raison d'être. Le christianisme doit sa « renaissance » actuelle aux mouvements sociaux qui, ayant neutralisé la cupidité des ecclésiastiques, ont réussi à séparer l'Eglise de l'Etat. Pour préserver son essence spirituelle, l'Islam devrait, à son tour, être débarrassé de toutes les excroissances idéologiques qui, sous prétexte qu'il serait « une religion et un Etat », s'en servent outrageusement pour assouvir leur désir effréné de domination. R. Gannouchi fait partie de cette race d'ambitieux sans scrupules qui, ayant deviné les vertus mobilisatrices de la religion, en usent sans retenue pour édifier, prétendent-ils, un éden terrestre sans lequel les hommes n'auraient pas la moindre chance d'accéder à l'éden céleste. Par opposition au politicien, homme du profane par excellence s'inscrivant dans le relatif et le trivial, R. Gannouchi, qui se dit être l'homme du sacré, se situe, lui, dans l'absolu et prêche, pour cela, une vérité occulte irréfutable. La supercherie est à ce point ingénieuse qu'elle donne, à son concepteur, la possibilité extraordinaire de se faire prophète ou, mieux encore, Dieu le Père ! Le résultat est que, aux yeux de ses adeptes, R. Gannouchi est, au sens propre du terme, un homme providentiel, celui qui, selon l'expression consacrée, n'aurait pas son « semblable au monde » ! Le « mérite » de cet homme est donc d'avoir réussi à exploiter la crédulité de ses concitoyens et, pour certains d'entre eux tout au moins, leur soif de gloire. La tâche est si aisée que le mouvement, actuellement le plus « populaire », que R. Gannouchi a réussi à mettre sur pied en un temps record, bénéficie d'une infrastructure matérielle qui a été réalisée, pour son compte, aux frais du contribuable. On a tendance à oublier l'exploitation éhontée que ces prétendus partis politiques font des mosquées. Ennahdha dispose, sans avoir déboursé un sou, d'environ cinq mille cellules dans lesquelles il lui est possible de tenir cinq réunions quotidiennes et un meeting hebdomadaire. C'est là le secret de la « puissance » herculéenne de ce « superparti », présidé par un véritable « superman » ! Dès lors, l'on comprend parfaitement que les « militants » d'Ennahdha, R. Gannouchi en tête, soient hostiles à l'idée d'interdire toute action « politique » au sein des mosquées. L'islamisme, tel un poisson hors de l'eau, péricliterait rapidement s'il devait être dégagé de ce qu'il considère, à juste titre d'ailleurs, comme son élément naturel. Sans la mosquée, l'islamisme n'aurait plus l'envergure, idéologique et politique, qu'il a acquis au cours des décennies précédentes. Sans la mosquée, l'islamisme n'aurait plus la latitude de profiter de la misère spirituelle de ses militants pour se servir d'eux, sur des fronts de fortune, comme chair à canon ou comme prostituées des temples ! Voilà pourquoi il est impératif que ceux et celles qui continuent de croire que le mouvement Ennahdha est un superparti politique, que son président est un hyperpoliticien, réalisent enfin qu'il est impossible, pour un mouvement qui ne ressemble même pas à un parti politique normalement constitué, de devenir un superparti. Ce mouvement, dont l'objectif proclamé est de gérer l'immobilisme et l'inertie, est une formation qui n'a rien à proposer qui puisse être utile à l'Histoire, à l'Homme et, par voie de conséquence, à la Vie. Un pseudo-parti, qui a choisi de s'investir dans la gestion de la mort, ne pourrait, en aucune manière, être l'artisan du progrès et, encore moins, de la démocratie. Le jour où le mouvement Ennahdha se déciderait enfin à trancher le cordon ombilical qui le tient prisonnier de la mosquée et du ciel, il pourrait prétendre alors pouvoir s'occuper des affaires de la terre. Ce jour-là, il devrait se procurer le budget nécessaire pour remplacer les cinq mille cellules qu'il aurait irrémédiablement perdus en acceptant de s'installer dans le monde profane et ressembler, enfin, à tous ces partis politiques qu'il prétend avoir écrasés par son « hypergénie » céleste !