Selon nos informations, certaines banques de la place réfléchiraient, actuellement, sur les moyens de se doter de nouvelles structures de gouvernance. La tendance la plus privilégiée et la plus débattue consisterait à se doter de véritables conseils d'administration à la place des faux PDG qui, au regard des dérapages qu'a connus le pays, 23 ans durant, sous le joug d'une mafia politico-financière (présidence-gouvernement-parti au pouvoir (RCD)-banques-patronat) ne sont plus, hélas, les mieux indiqués pour assurer aux établissements de crédit rentabilité et pérennité. Dans les pays développés, le conseil d'administration est retenu, de fait et de juré, comme l'organe principal qui contrôle la structure financière de la société (sécurité et rentabilité des investissements) et veille aux intérêts des parties concernées (équipe dirigeante, actionnaires, salariés, fournisseurs). Pour mener cette lourde tâche avec transparence et en toute indépendance. Il est le plus souvent soutenu par des auditeurs internes et externes. Mieux, les procès verbaux de ces conseils sont publiés sur le Net et sont ainsi à la portée du grand public. En Tunisie, les réunions des conseils d'administration sont une simple formalité exigée par la loi. Elles ne font qu'entériner des stratégies douteuses arrêtées par les PDG sans foi ni loi et finissent le plus souvent par des cérémonies, dîners ou déjeuners au cours desquels les membres des conseils se voient remettre des cadeaux royaux. Quant aux procès verbaux de ces conseils d'administration, ils sont tenus top secret. Les plus grands gagnants dans cette affaire, ce sont évidemment les puissants PDG de banques et leurs protecteurs politiques, au premier rang desquels figure la Banque centrale de Tunisie (BCT). Les grands perdants sont les contribuables et l'économie du pays. Effectivement, les PDG de banques et leurs sbires les chefs d'agences ont toujours fait la pluie et le beau temps, forts en cela d'une législation qui leur donne pleins pouvoirs et qui les prémunit, en plus, contre toute velléité de sanction. A notre connaissance, aucun PDG de banque n'a fait l'objet de sérieuses poursuites. Un élément d'histoire est édifiant à ce sujet. En 1991, la Banque tuniso-qatarie d'investissement (BTQI) s'était retrouvée en situation de faillite après avoir subi de très fortes pertes (plus de 30 millions de dollars) dans des transactions en devises, la BCT était aussitôt intervenue pour la soutenir, en mettant à contribution l'ensemble de la profession: les autres banques avaient dû inscrire le coût de leur participation et à ce plan de sauvetage dans la rubrique "perte sur opération de change". C'est pour dire qu'avec l'ère des PDG, l'alliance, voire la complicité entre le pouvoir et les banques était totale. Lors d'entretiens avec des banquiers tunisiens, la chercheuse française Béatrice Hibou raconte dans son livre "La force de l'obéissance" que ces derniers lui ont souvent répété: «nous devons être "bien" avec le pouvoir car tous les jours nous sommes en contact avec lui, pour avoir des agréments, des autorisations, ouvrir des agences, mettre en place de nouveaux produits, développer des relations avec l'étranger et tout simplement pour développer nos activités». Le résultat, tous les Tunisiens le connaissent bien après la révolution du 14 janvier. Le secteur bancaire, qui ne contribue qu'au faible taux de 3% au PIB (contre 13% pour l'agriculture), a pourtant bénéficié de toutes les réformes et surtout de toutes incitations fiscales et financières possibles, et ce en dépit de sa contre-performance structurelle qu'illustrent de manière éloquente la mauvaise qualité du service et le poids des créances douteuses (24% des engagements jusqu'au début des années 2000). Conséquence: les Tunisiens ne croient plus à leur système bancaire. Ils sont particulièrement scandalisés par cette passivité assassine avec laquelle les PDG et leurs chefs d'agences ont accordé des crédits faramineux à des clans mafieux des Ben Ali-Trabelsi-Sakher El Materi-Chiboub-et autres mafiosi. Ces mafieux achetaient des entreprises publiques avec l'argent de banques publiques en présentant comme garantie des déclarations sur l'honneur. Mehdi Ben Gaied, fiancé de Halima, fille cadette de Ben Ali, avait acheté la STAFIM (concessionnaire de la marque automobile Peugeot) en présentant comme garantie la valeur des actions de la société en Bourse. Comble du cynisme, ces mêmes PDG et chefs d'agences s'acharnaient, parallèlement, à faire subir aux universitaires, jeunes médecins, journalistes, fonctionnaires, militants de droits de l'homme et autres salariés les pires tracasseries pour des débits ne dépassant guère, parfois, les 50 dinars, bien 50 dinars. Beaucoup de voyageurs tunisiens ont passé le jour de l'an en prison parce qu'en se présentant à l'aéroport ils découvrent qu'ils font l'objet d'un jugement par contumace en raison de l'émission d'un chèque bancaire sans provision de vingt dinars. Et pourtant, en dépit de ces pratiques scandaleuses, ces mêmes PDG de banques et leurs hommes de main, les chefs d'agences, sont toujours là. Rien n'a pratiquement changé: Ils continuent à fermer les yeux sur les gros débits et à harceler les petits débiteurs. Loin de moi tout esprit de vengeance, j'estime que s'il existe bien des personnes qui méritent "dégage", c'est bien cette caste-là. Donc haro sur ces serviteurs de la kleptocratie institutionnalisée et vivement pour ces gouvernances new look, en l'occurrence les conseils d'administration. Ces derniers, pour peu qu'on leur réunisse des conditions de travail appropriées, ont pour vertu d'amener nos banques pas seulement à faire du profit, mais aussi à dégager de la valeur et à contribuer à la création de la richesse nationale.