«Il ne faut plus qu'ils nous gouvernent, sinon ce sera comme avant»; «Le dictateur est parti mais pas la dictature», tant qu'il y aura le RCD, on va continuer à faire tomber les gouvernements, ils ont tué nos opposants, ils ont pillé nos richesses»; «Le RCD a organisé le pouvoir autoritaire en Tunisie, il n'a jamais changé, il ne changera jamais». Les manifestants qui ont scandé ces slogans rappellent finalement que la moyenne d'âge en Tunisie est de 35 ans, alors que celle du RCD est de 60, et que ce parti n'est plus opérationnel dans sa mouvance actuelle, comme le laissent entendre des avocats et autres acteurs de la société civile dont le rôle dans le soulèvement populaire est d'une portée considérable. «Il faut que le RCD meure de lui-même», notent nos interlocuteurs. L'opinion publique estime que le gouvernement de transition ne doit pas rester un théâtre d'ombres. Or la politique est aussi de l'ordre du symbolique et, sur ce plan, c'est catastrophique. Il faut au plus vite tourner la page sur tout ce qui peut rappeler le pouvoir des «béni oui oui». Il faut d'urgence un signal fort comme, par exemple, la dissolution du RCD. Voici quelques témoignages : Fethi Belaiba : «Le RCD est à la croisée des chemins» «Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) est à la croisée des chemins. Il évoque, aujourd'hui, pour la majorité des Tunisiens, une pieuvre tentaculaire, coupable de bien des maux et de catastrophes, l'instrument qui a permis à Ben Ali et à son équipe de maintenir le pays sous le joug de la dictature pendant 23 ans. Comme dans toutes les dictatures que l'histoire a connues, il se confondait avec l'Etat. Quel sort pourrait lui être réservé après la révolution du 14 janvier? Des réponses juridiques existent. D'après l'article 8 de la Constitution, "les partis politiques contribuent à l'encadrement des citoyens en vue d'organiser leur participation à la vie politique. Ils doivent être organisés sur des bases démocratiques. Les partis politiques doivent respecter la souveraineté du peuple, les valeurs de la République, les droits de l'Homme et les principes relatifs au statut personnel. Ils s'engagent à bannir toute forme de violence, de fanatisme, de racisme et toute forme de discrimination". Dès lors que le parti politique n'a pas respecté ces exigences, le ministre de l'Intérieur peut, en cas d'extrême urgence, et en vue d'éviter que l'ordre public ne soit troublé, prononcer par décision motivée la fermeture provisoire des locaux appartenant ou servant au parti politique en cause et suspendre toute activité de ce parti et toute réunion ou attroupement de ses membres. Une telle décision ne peut dépasser un mois, délai pendant lequel le ministre de l'Intérieur doit saisir le Tribunal de première instance de Tunis. Cette saisine est possible notamment lorsque le parti est accusé d'avoir enfreint les principes de l'article 8 de la Constitution, et également s'il porte atteinte, par son activité, à la sécurité nationale, à l'ordre public, aux droits ou aux libertés des citoyens. La loi dispose que la comparution du représentant du parti incriminé devant le tribunal doit se faire dans les 10 jours de la citation. Une seule audience est tenue et le tribunal doit statuer dans les 20 jours suivants. Accusé d'avoir mis à l'écart tous les opposants au pouvoir en place, et d'avoir gravement bafoué les droits et les libertés individuelles en étouffant la population et en la soumettant au joug de la dictature pendant 23 ans, le RCD est aujourd'hui passible de dissolution. Faut-il cependant oublier que le RCD, né sous cette appellation le 27 février 1988, est le successeur du Parti socialiste destourien fondé le 19 octobre 1964, lui-même successeur du Néo-Destour, fondé le 2 mars 1934 par Habib Bourguiba ? Faut-il négliger cette parenté historique et le dissoudre pour éliminer le symbole qu'il a représenté pendant 23 ans de dictature exercée par Ben Ali et les siens ? Peut-on seulement, au nom de cette parenté, se contenter d'imposer une révision de son statut et le déposséder de tout son patrimoine, qui doit revenir à l'Etat ? Il appartient aujourd'hui à la nation souveraine de répondre à ces questions». Chedly Zribi : «Auto-dissolution» «Le Bureau politique du RCD doit décider l'auto-dissolution de l'appareil. Cette décision administrative est le seul moyen pour couper l'herbe sous les pieds des opportunistes de tous bords. Je ne vois pas une autre solution pour remettre le pays en marche. Sinon, cette révolution n'aura aucun effet. L'enjeu est beaucoup plus important que le parti en question. Il faut que Le RCD implose et se constitue sous une autre forme pour pouvoir participer à la vie politique. Quant au rôle de l'Ugtt dans ces circonstances, il est sans doute important mais je vois que la Centrale syndicale glisse trop vers le champ politique. L'Ugtt n'a pas à imposer un diktat politique. Elle ne peut pas participer au gouvernement. Enfin, j'en appelle à l'autorité compétente pour informer l'opinion publique sur les délateurs et ceux qui ont été corrompus par le pouvoir». Mohamed Hadfi : «Une charte d'honneur» «Il faut faire attention : le danger d'un dérapage n'est pas exclu. Nous avons eu écho de quelques agissements suspects à l'encontre de certains de nos magistrats qui ont été menacés par des représentants d'un courant idéologique qui cherche à récupérer le mouvement populaire. Le RCD cristallise toute l'opposition contre lui. Il n'est plus opérant. Dans l'état où il est et compte tenu de son rôle actif dans la répression, il ne peut faire avancer le processus démocratique. Il doit changer en profondeur. Devenir un autre parti avec un vrai projet politique. Personnellement, je dis que les politiques doivent prendre les choses en main et tranquilliser le citoyen en présentant un projet digne de ses attentes. Dans ce contexte, l'Ugtt peut jouer un rôle important. La centrale syndicale est une structure bien organisée et on en a eu la preuve ces dernières semaines. Comme le souci reste la reprise normale de la vie publique, il faut que les différentes tendances se mettent d'accord sur une charte d'honneur afin de sortir de l'impasse».