Le financement des partis politiques est un sujet ayant souvent donné lieu à plusieurs dépassements et scandales dans la plupart des pays démocratiques. La loi sur les partis politiques, adoptée récemment, s'inscrit dans ce cadre et contient plusieurs dispositions relatives au financement. Au-delà de toute controverse politique, et sans vouloir être exhaustif, je me propose de donner une lecture critique de certaines des dispositions de cette loi sous l'angle de vue technique d'un professionnel du chiffre. Sur le plan de la structure, les dispositions financières de la loi ont concerné trois volets, à savoir: des règles relatives aux sources de financement, des règles de préparation et de publication des états financiers et les mécanismes de contrôle de l'application des différentes règles. Cette configuration est celle communément utilisée dans la plupart des systèmes de contrôle des financements des partis politiques. Règles sur les sources de financement La loi a fixé plusieurs limites quant aux montants des contributions des membres des partis (un maximum de 1.200 DT par an) ou des dons des personnes physiques (dans la limite de 60.000 DT par an). Cette limitation vise à assurer une certaine équité dans l'accès des partis au financement mais c'est avec la pratique que nous allons juger si ces plafonds sont adaptés ou non au contexte tunisien. D'aucuns diront que cette règle pourra facilement être contournée en ayant recours à des prête-noms. Le risque est bien réel, c'est pour cela qu'il faut rappeler que chaque personne qui se déclare en tant que donateur devra être capable de justifier de ressources suffisantes lui permettant de faire ce don: ceci implique donc la divulgation de la liste des donateurs à l'organisme chargé de faire ce contrôle. Actuellement, cette liste ne fait pas partie des documents publics publiables et les organes chargés du contrôle (commissaires aux comptes, Cour des comptes, tribunal) n'ont pas accès aux ressources financières des personnes. Il faut donc prévoir un mécanisme, sans doute mettant à contribution le ministère des Finances, pouvant vérifier, même a posteriori, l'adéquation entre les ressources financières de la personne et le montant de ses dons. Dans ce registre, il a été prévu que les dons des personnes physiques soient déductibles de l'assiette imposable (actuellement seules les personnes disposant d'une comptabilité réelle peuvent déduire les dons selon certaines restrictions). Cette disposition pourrait être lue comme une mesure incitative, et elle l'est assurément, mais elle peut également être un moyen, quoiqu'insuffisant, permettant à l'administration fiscale de vérifier l'origine des dons. Par ailleurs, la loi a choisi d'interdire les contributions et dons de toutes les entités étrangères, les montants d'origine inconnue et ceux des personnes morales. L'interdiction des dons des personnes morales est celle qui pose le plus de polémiques car elle prive les partis politiques d'importantes ressources mais en même temps constitue la porte ouverte au détournement des règles sur le financement étranger par exemple. La loi a ainsi privilégié la sécurité et l'austérité aux dépens d'une politique dépensière et donc forcément plus liées aux milieux des affaires. Il s'agit avant tout d'un choix politique: une telle disposition a, par exemple, été adoptée en France après les différents scandales et procès de financement politique. Et dans un souci d'une meilleure traçabilité, il a également été prévu de limiter l'utilisation de l'argent liquide (240 DT pour les frais de membre et 500 DT pour les autres recettes et dépenses) et d'instaurer l'obligation de décompter toutes les contributions en nature et les services gratuits. Ce sont ces dernières opérations qui demeurent difficiles à contrôler en l'absence de moyens suffisants. Règles de préparation et de publication des états financiers L'obligation de tenir une comptabilité conforme au système comptable des entreprises et selon des normes à publier ultérieurement est sans contexte une disposition allant dans le sens de la fiabilité et la clarté de l'information produite par les partis politiques. La réalisation de ces états financiers sera confiée à une personne externe nommée mandataire financier et contribuera sûrement à améliorer la qualité de l'information produite. Les états financiers (qui ne comportent pas a priori la liste des donateurs) seront publiés dans les journaux de la place et sur le site web. Ceci permettra d'assurer une plus grande transparence vis-à-vis du public. Il appartiendra aux rédacteurs de la norme comptable sur les partis politiques de définir, et d'élargir, le champ des informations à fournir dans les états financiers afin d'assurer une réelle transparence. Toutes ces dispositions sont relativement restrictives et limiteront les moyens de financement des partis politiques. De ce fait, les tentatives de leur contournement n'en seront que plus fréquentes, ce qui ne manquera pas de poser le problème du contrôle de leur application. Contrôle de financement des partis politiques La loi a prévu un mécanisme de contrôle innovant en obligeant les partis politiques à nommer un commissaire aux comptes qui rend compte non seulement aux instances dirigeantes du parti mais également à une commission indépendante formée de la Cour des comptes, de l'Ordre des experts-comptables et du tribunal. Il reste cependant dommage que la loi n'ait pas prévu de règles permettant de garantir l'indépendance de ces commissaires aux comptes par rapport au parti (des incompatibilités familiales ou partisanes, durée du mandat, règles de changement systématique de commissaire aux comptes ). Vu les spécificités de l'activité, une norme de contrôle des finances des partis politiques sera également rédigée et cela par les professionnels eux-mêmes. Une autre mesure à saluer, car cela garantira la neutralité et la technicité du texte. La loi ne parle pas du contrôle des comptes des campagnes électorales. Il est vrai que l'élection de la Constituante sera financée entièrement par des fonds publics, mais rien n'empêche les partis politiques de dépasser la somme octroyée par l'Etat en ayant recours à des dons en nature ou en liquide. De plus, cette loi n'étant pas rétroactive, les partis politiques n'auront pas à s'expliquer sur leurs financements antérieurs. En conclusion, la régulation du financement des partis politiques est globalement satisfaisante d'un point de vue technique dans le sens où elle assure un cadre légal assez strict et sécurisé. Ce résultat a été obtenu grâce, entre autres, à l'implication de la société civile et les organismes professionnels techniques tels que l'Ordre des experts-comptables dans la rédaction de ce texte. La pratique politique nous donnera la mesure exacte de la qualité de ce texte et de son application.