«Kanet tichkher zadet boff». Ce proverbe bien tunisien, qui signifie à peu près ceci: «On a bien sombré dans le ronflement», s'applique-t-il au vécu de la productivité au cours de ce mois de Ramadan 2011? Mahmoud n'est pas loin de le penser. L'homme, qui tente de maintenir une activité textile dans le gouvernorat de Monastir, estime que le mois de Ramadan n'est pas là pour faciliter les choses. Il succède à une période, de janvier à juillet, où du fait de l'instabilité et du chaos qui l'ont caractérisée, les affaires n'ont pas été bonnes. Son entreprise a produit 20% moins que la même période de l'année 2010. «Je n'ai pas honoré certaines commandes du fait que certaines employées, et pas seulement, souhaitaient, surtout pendant les quelques jours qui ont suivi la révolution du 14 janvier 2011, rentrer plutôt pour rejoindre leur foyer craignant des «désagréments» et les surprises à la tombée de la nuit. Pour Mahmoud, et même s'il ne dispose nullement d'analyses approfondies, la productivité de ses employés tomberait en Ramadan de 15%. Le calcul qu'il a opéré sur un échantillon d'employés travaillant sur des machines à coudre n'est pas il le reconnaît- «scientifique». Il a calculé le nombre de pièces finies produites pendant une heure de travail pendant une semaine du mois de Ramadan de 2010 et il les a comparés au nombre de pièces fabriquées au cours de la semaine qui succède directement à l'Aïd El Fitr. «Les employées n'ont pas la tête à ça» «De toute manière, il ne suffit pas d'être un expert en productivité pour se rendre compte de la baisse de régime pendant le mois saint», souligne-t-il. «Tous les employés ont le regard vague et le geste lent». Cela se complique à l'en croire à partir de midi. L'organisme ne suit plus: somnolence et nervosité apparaissent, alors, dans les ateliers. «Ce sont les conséquences de la faim, de la fatigue due au jeûne et surtout au manque de sommeil: rares sont les employés qui dorment avant 2 heures du matin. Même ceux qui ne veulent pas veiller y sont contraints par les va-et-vient de la famille, des amis et des voisins». «A partir de midi, ajoute Mahmoud, les employées n'ont plus la tête à ça. Elles ne pensent qu'à partir et à ce qu'elles vont préparer à manger en rentrant chez elles». Que faire? La cinquantaine, dirigeant d'une PME dans les accessoires de l'automobile, qu'il a hérité de son père, Ridha se veut un tant soit peu philosophe et aime à répéter les propos d'un ancien contremaître maltais, aujourd'hui disparu, qui a longtemps travaillé avec son défunt père: «Fi romdane yelzmek yine toghzer ou yine ma toghzereche». En clair: En Ramadan, il ne faut pas toujours être strict. «A moins de tomber malade!» Faire travailler le personnel de nuit «De toute manière, le mal gangrène tout le monde musulman», note-t-il. Réalisant de fréquents séjours à Alger, où il a un partenaire de choix, il nous tend un article du quotidien algérien Liberté, daté d'octobre 2009, qui reprenant les résultats d'une étude publiée par l'Institut du monde arabe des études sociales du Caire sur les comportements sociaux des fidèles pendant le Ramadan, qui soutient que «La productivité y enregistre une baisse de 73,3%». Cette voie n'est pas empruntée par tous les dirigeants. Qui, s'ils comprennent «que cette perte de productivité, c'est quelquefois plus fort que l'employé», ont refusé de «baisser les bras» et ont choisi de faire travailler leur personnel de nuit. C'est le cas de Khaled, industriel en chaussures. «De toute manière, les employés sont bien contraints. Le mois de Ramadan est crucial pour nous autres industriels du secteur de la chaussure. Nous travaillons beaucoup pour préparer la marchandise qui va être écoulée pour l'Aïd», affirme-t-il. Et les employés s'y prêtent bien au jeu: ils sont payés à la pièce. Ils ont tout intérêt, donc, à faire du chiffre. Khaled estime, à ce titre, que Ramadan est synonyme de baisse de la productivité. Beaucoup de professionnels travaillent à plein rendement au cours du mois du jeûne: les boulangers, les confiseurs, les commerçants en habillement, les tailleurs, les blanchisseurs, les magasins d'alimentation, «Ramadan ou pas!» Dirigeant d'une SSII en ingénierie informatique, Riadh a résolu, quant à lui, le problème de la productivité au cours du mois saint. Travaillant pour le compte d'une entreprise française, il est tenu par des dates pour chacun des projets dont il a la charge. Les employés qu'il a engagés doivent rendre leur travail à une date fixée à l'avance. «Ramadan ou pas!». Riadh comprend, toutefois, les tensions que cela engendre au cours du mois saint, notamment dans un travail où la vigilance et la précision sont déterminantes et quand, il faut, souvent, passer des nuits à la maison pour boucler un dossier. Aussi, a-t-il pris le pli d'être toujours présent au bureau de 8 heures à 18 heures tout le long du mois de Ramadan «pour donner l'exemple» et d'entamer le mois saint par un «Iftar», dans un hôtel de la ville, pour tous les employés, «histoire d'aplanir les rivalités et de débuter dans la bonne humeur le mois du jeûne». Riadh profite de l'occasion pour évoquer les enjeux des projets en cours pour l'entreprise et la nécessité de les relever. Et pour «parer aux absences et autres congés de maladies qui sont, quoi qu'on fasse, fréquents». «Il le faut bien, fait-il remarquer, sinon, je fais pareil que de nombreuses entreprises. Je ferme boutique et j'envoie tout le monde en congé annuel».