Une économie se trouve en situation de récession lorsqu'elle connait deux trimestres consécutifs avec une croissance négative. C'est le cas aujourd'hui de l'économie tunisienne. Le premier trimestre de cette année a été difficile, l'économie s'est contractée, la croissance économique a été de -3,3 % en termes réels. Le deuxième trimestre n'a pas été plus facile puisque pour le premier semestre la croissance économique, en rythme annuel a été de -3%. La taille de l'économie tunisienne a donc diminué, l'économie s'est contractée de 3% en rythme annuel. Nous sommes donc bien en face de deux trimestres consécutifs pendant lesquels la croissance a été négative. L'économie tunisienne est donc en situation de récession. Une économie en situation de récession ne crée pas de richesses, elle en détruit. Une économie en situation de récession ne crée pas globalement d'emplois nouveaux, elle en détruit. Que signifie le chiffre de -3% La croissance de l'économie tunisienne tournait en moyenne autour de +4% à +5% par an, ce qui était insuffisant mais la croissance demeurait positive. L'économie passe ainsi de +5% à -3% par an soit 8 points de croissance perdus (5+3). Or un point de croissance en Tunisie correspond à environ 600 millions de Dinars de richesses créées (ou 600 milliards de millimes). Huit points sont donc l'équivalent de 4.800 millions de dinars pour une année ou 2.400 millions de dinars de richesses perdues pour un semestre. C'est une perte énorme. En termes d'emplois créés un point de croissance correspond à environ 13.000 emplois nouveaux et donc 8 points de croissance perdus correspondent à environ 65.000 emplois non créés (manque à gagner : 13.000 x 5) et 39.000 emplois détruits (-3% de croissance) soit au total plus de 100.000 emplois perdus sur une année ou 50.000 emplois perdus sur les six premiers mois de l'année. C'est tout simplement énorme. Une économie post révolution Tout pays qui connait une révolution et qui passe donc par une période de transition vers la démocratie connait des perturbations économiques plus ou moins majeures. Ce qui se passe chez nous est donc normal et il n'y a pas lieu de dramatiser outre mesure la situation. Il est cependant essentiel de préserver l'économie contre une situation d'effondrement en ce sens que la croissance négative ne doit pas être trop négative (elle ne doit pas aller en deçà de -3%) ou que la période pendant laquelle la croissance est négative ne soit pas trop longue (elle ne doit pas durer plus que 2 ou 3 trimestres). En outre les expériences d'autres pays qui ont connu des révolutions est édifiante à ce propos. Une économie solide est le meilleur soutien pour une transition réussie vers la démocratie. Par contre une économie qui s'effondre peut faire dérailler le processus révolutionnaire et mettre en danger la transition vers la démocratie. Une économie en récession peut évoluer vers une économie en crise et une crise économique peut se transformer en crise sociale. Un pays en crise sociale ne peut plus réussir une transition vers la démocratie. L'enjeu est donc énorme, et il ne s'agit pas là d'un scénario catastrophe. La situation de l'économie est une question sérieuse. Ce n'est pas un épouvantail (fazzaa) que certains agitent pour détourner l'attention de la population. Le maintien de l'économie dans une situation acceptable est essentiel pour la réussite de la transition vers la démocratie. Les partis politiques, la société civile et toutes les parties concernées en sont responsables devant le pays et devant l'histoire. Ils doivent en être conscients et le faire savoir de manière claire. Les projecteurs sont braqués sur la Tunisie Il est clair que le monde entier nous suit de près et nous surveille. Les projecteurs sont braqués sur la Tunisie, considérée comme un laboratoire d'un type très particulier de transition vers la démocratie. Nous pouvons peut-être compter sur l'aide et le soutien de certains pays frères ou amis. Mais ne nous faisons pas d'illusion cette aide ne sera ni massive, ni gratuite (en termes financiers). Les agences de notation ont déjà dégradé la note de la Tunisie qui se situe aujourd'hui à BBB- avec une perspective négative. Cette note évalue la capacité du pays (et donc de l'économie) à honorer ses engagements extérieurs, c'est-à-dire sa capacité à payer normalement sa dette extérieure. Nous sommes par conséquent aujourd'hui à la limite inférieure (soit l'échelon le plus bas) de la catégorie de notes qui s'appelle « investment grade » et qui permet au pays concerné d'accéder au marché financier mondial dans des conditions acceptables en termes de tarif (coût de l'endettement), de durée des financements mobilisés et de supports utilisés. La catégorie de notes qui suit celle de « investment grade » est la catégorie de « speculative grade » ou note spéculative. Une telle note (BB et moins) transmet aux investisseurs et aux institutions financières le message que le pays concerné n'est peut être pas en mesure d'honorer ses engagements extérieurs. La conséquence directe d'une telle notation est un accès plus limité au marché financier international et même lorsque cet accès se fait, il se fait à des coûts sensiblement plus élevés. L'enjeu est donc de taille et la question économique est une question sérieuse. Les agences de notation surveillent de près la situation politique, l'état de l'économie, l'état des finances publiques, le climat d'investissement et bien sûr le niveau de la dette extérieure (ainsi que celui du service de la dette). Aujourd'hui la dette extérieure de la Tunisie représente près de 50% du PNB (Produit National Brut) et ce ratio risque de se détériorer si la croissance continue à être négative (contraction du PNB). La perspective négative de la note attribuée à la Tunisie veut dire que le prochain réexamen de cette note pourrait se traduire par une autre détérioration de la notation et donc le passage à la catégorie de « speculative grade ». Comme l'économie tunisienne ne peut se passer de financement extérieur et donc de l'endettement pendant au moins la décennie à venir un endettement supplémentaire sans redressement clair de l'économie risquerait de provoquer deux conséquences graves : Une nouvelle détérioration de la notation extérieure de la Tunisie avec les conséquences précisées ci-dessus ; Une stérilité de l'endettement extérieur en termes de croissance si le ratio de la dette extérieure arrive à atteindre ou dépasser le niveau de 60% du PNB. Des initiatives courageuses pour engager un redressement économique immédiat : L'économie et le pays sont aujourd'hui dans une situation qui requiert des initiatives courageuses de nature à engager un redressement immédiat de l'économie tunisienne. Il est évident que vouloir tout tout de suite est une manière de faire dérailler rapidement la révolution et le processus de transition vers la démocratie. Un exemple d'initiatives courageuses consisterait à dégager très vite un consensus visant à suspendre le droit à la grève jusqu'à la fin de l'année 2011. Une telle initiative enverrait un message fort pour rassurer nos entreprises qui sont le lieu naturel de création des richesses et des emplois, et nos partenaires extérieurs (économiques et financiers). Ce serait aussi un message très fort pour les agences de notation. Un deuxième exemple d'initiative toucherait à ce débat aussi dangereux que stérile concernant l'attitude à prendre par la Tunisie en ce qui concerne le remboursement normal de sa dette extérieure. Ces recommandations qui viennent de l'intérieur du pays, comme de l'extérieur visant à suspendre le remboursement de la dette ou son rééchelonnement sont tout simplement des conseils empoisonnés. En effet toute velléité de non remboursement ou de rééchelonnement aurait des conséquences catastrophiques pour l'économie tunisienne. Là nous excluons de toute évidence toute initiative venant des créanciers eux-mêmes pour pardonner ou transformer une partie de la dette. La Tunisie devrait très vite clore ce débat d'une manière ou d'une autre et adresser un message fort, clair, net et précis au marché financier international disant que la Tunisie est déterminée à honorer normalement ses engagements extérieurs. L'avenir de notre économie, le succès de notre révolution et la transition de notre pays vers la liberté, la dignité et la démocratie sont en jeu.