Dans de récentes interviews à des radios locales, Riadh Bettaieb, ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale, a annoncé qu'un conseil des ministres se tiendra, incessamment, pour statuer sur le sort des fameux mégaprojets touristico-immobiliers programmés dans le Grand Tunis. Il s'agit entre autres du Port financier, à Kalâat Landalouss, Tunis Sport City du groupe Boukhater à Ain Zaghouan (proche banlieue nord de Tunis) et la Porte de la Méditerranée du groupe Sama Dubai. Ces projets ont été lancés, du temps du président déchu, dans des conditions «très louches». A titre indicatif, ils ont fait l'objet de conventions adoptées au forceps par un Parlement aux ordres et moyennant de juteuses commissions versées aux membres de la famille royale et à certains hauts cadres du pays, dont Zaba lui-même. Ils ont bénéficié, également, de moult avantages sans que leur rentabilité soit justifiée pour la communauté du Grand Tunis: déclassement de centaines d'hectares à vocation agricole et écologique (cas du Port financier et de Tunis Sport City), bradage au millime symbolique de terrains constructibles assainis au prix fort (endettement en devises du contribuable), s'agissant ici du cas de la Porte de la Méditerranée. A l'époque du président kleptocrate, ses ministres et autres sbires (médias, cadres du Rassemblement constitutionnel démocratique ) s'ingéniaient à ressasser que ces projets étaient la panacée miracle pour booster l'activité économique, accroître l'attractivité du pays, créer des centaines de milliers d'emplois et, surtout, hisser la capitale au rang de mégapole capable de rivaliser avec des métropoles méditerranéennes, telles que Marseille, Rome et Barcelone. Bref, une autre manifestation de la folie des grandeurs de l'ancien président et de ses collabos. Avec l'avènement de la révolution, les langues se sont déliées et des révélations sur la dimension mafieuse et spéculative de ces projets commencent à voir le jour. Le témoignage de Khayam Turki, dont la nomination au poste de ministre des Finances dans le gouvernement de Hamadi Jebali à la suite d'une requête d'une entreprise émiratie l'impliquant dans une affaire d'abus de pouvoir, est édifiant à ce sujet. Dans plusieurs interviews radiophoniques, il a dénoncé «la voracité des hommes d'affaires émiratis, lesquels exploitent leur parenté lointaine avec des responsables politiques pour acheter, dans le monde arabe, au dinar symbolique, les plus beaux terrains, bénéficier de juteuses incitations fiscales, obtenir l'autorisation de vendre sur plan à des étrangers et oser même solliciter des facilités bancaires locales, autant de conditions, a-t-il-dit, que tout investisseur local aurait pu remplir». Ce témoignage précieux s'applique parfaitement à deux projets, ceux de la Cité du siècle, la Porte de la Méditerranée et Tunis Sport City. Concernant le premier, son promoteur, Dubaï Holding, a obtenu les autorisations en un temps record. Tout l'appareil de l'Etat s'est mobilisé à cette fin: approbation, en juillet 2008, par le gouvernement tunisien du plan d'aménagement de la nouvelle ville sur les Berges sud du Lac de Tunis et démarrage, deux mois après, des ventes sur plan. La clientèle ciblée est off shore. Les étrangers peuvent acquérir, selon la convention conclue avec ce groupe, des biens immobiliers sans avoir à en demander l'autorisation au gouvernement tunisien. Pis, sur un coût global de 25 milliards de dollars réalisables en 14 étapes, le groupe Sama Dubaï s'est engagé à verser, seulement, 1,3 milliard de dollars, l'équivalent du montant mobilisé pour réaliser la station touristique d'Hammamet Sud. C'est pour dire que ce projet touristico-immobilier est une simple hideuse affaire de spéculation foncière. Heureusement, la crise de 2009 a affecté de plein fouet le groupe émirati qui a été obligé de geler le projet. Au Maroc et en Algérie, de projets similaires ont été tout simplement abandonnés au grand bonheur des communautés locales. En Tunisie, au lieu de profiter de cette opportunité de désengagement, nos responsables continuent à y croire. Vient ensuite le deuxième mégaprojet, "Tunis Sports City". Pour peu qu'il se réalise, ce projet d'une grande cité sportive qui sera érigée sur ce beau bois d'Aïn Zaghouan (255 hectares), va générer des problèmes monstres de circulation et contribuer à l'asphyxie de cette zone. En effet, en toute logique économique, avec le boom immobilier que connaît cette zone et à défaut de transport en commun acceptable et de disponibilité de terrains pour l'améliorer, ces nouvelles résidences vont générer, probablement, de nouveaux milliers d'usagers sur l'autoroute La Marsa-Tunis. La pression est déjà visible. Elle le sera encore plus, une fois ces nouvelles villes-ghettos de centaines de milliers d'habitants seront édifiées. C'est pour dire, in fine, qu'en cette période de révolution bénite et son corollaire, la liberté d'expression dont nous jouissons, nous ne nous pouvons pas faire l'économie d'un débat national sur l'utilité de tels mégaprojets et sur leur impact pervers sur le cadre de vie de la communauté tunisoise. A bon entendeur.