Le Manager : Comment évaluez-vous le marché publicitaire tunisien par rapport au marché maghrébin ? HZ : Le marché publicitaire tunisien est en phase de transition, comparé à la maturité du marché marocain. Dans le Maghreb, la publicité TV est le moteur du secteur, c'est le média le plus puissant, celui qui permet d'attendre les cibles des classes moyennes et populaires d'une manière massive et rapide. C'est aussi le média qui offre les coûts de contact les plus intéressants sur le plan économique, et ce malgré les hausses successives des tarifs d'insertions publicitaires TV. Le Marco ayant introduit depuis 1978 la publicité à la télévision, avec 2 grandes chaînes TV qui se disputent l'audience des Marocains, et compte tenu de l'implantation plus importantes des multinationales de la grande consommation dans le royaume chérifien, le pays connaît en matière de création publicitaire une avancée certaine sur les autres pays du Maghreb, et ce au niveau de la production audiovisuelle notamment et de l'investissement médias. L'Algérie, pays converti fraîchement à l'économie de marché, le secteur de la communication n'est qu'à ses débuts, offrant, du reste, grâce à sa manne pétrolière notamment, le potentiel le plus important de développement du marché de la publicité de la zone Maghreb, en attendant le réveil effectif du voisin libyen !
En quoi diffère le marché publicitaire maghrébin par rapport au marché européen ? HZ : A la lecture de la répartition des investissements publicitaires dans le Maghreb par secteur d'activité contre celles que connaissent les pays européens, on constate qu'il y a globalement une similitude entre les poids de chaque grande branche de l'économie communicante au grand public dans l'investissement publicitaire global. Toutefois, des différences notoires persistent entre les pays du Maghreb. Si en Tunisie, domine encore l'alimentaire, le Maroc, et même l'Algérie, dispose d'une structure publicitaire plus conforme à celle connue sur le marché européen où dominent plutôt le secteur des nouvelles technologies de la communication et de l'information, le secteur automobile, . L'autre constat par rapport à l'utilisation des différents médias, l'investissement publicitaires TV est largement dominant dans le Maghreb, alors qu'il est quasiment à égalité dans les pays européens avec la presse écrite (journaux et magazines), dont notamment la presse en ligne, qui connaît un essor considérable. Dans le Maghreb on lit beaucoup moins, et le niveau de sophistication des besoins des populations ne favorisent pas l'émergence d'une presse écrite trop ciblée (bricolage, décoration, économie, ). Pourtant, ce type de presse permet d'atteindre d'une manière efficace les cibles marketing visées, chose qui prévaut largement en Europe. Enfin, sur le plan de la création publicitaire, l'originalité et l'imaginaire créatif font souvent défaut dans la zone Maghreb à en croire les personnes sondées régulièrement par nos services, sur l'appréciation des campagnes publicitaires. Il est admis qu'il y a des contraintes socioculturelles. À quelle mesure ces contraintes peuvent affecter l'aspect créatif du message à émettre? HZ : D'abord, les populations du Maghreb est très hétérogène : 50% de jeunes, 40% d'analphabètes, 40% de ruraux, moins de 5% de classes aisées, pratiques de dialectes très différents selon les régions d'appartenance, . L'utilisation du second degré reposant sur un patrimoine social partagé et assumé ou encore une forme d'humour décalé, sont généralement favorables à une bonne mémorisation des messages publicitaires. A cause notamment de la diversité des populations visées, il est très difficile d'emprunter ce type d'axe créatif. Certains conformismes ou traditionalistes tendent à limiter le champ de la créativité publicitaire tant les susceptibilités culturelles sont bien ancrées. Actuellement, les créatifs du Maghreb déploient des efforts monstres pour produire des messages politiquement et socialement corrects. Leurs messages ne passent souvent pas l'autocensure, avant même d'arriver sur le bureau de l'annonceur pour validation. Une instance du genre BVP Bureau de Vérification de la Publicité-, inexistante actuellement dans le Maghreb, pourrait éventuellement contribuer à créer un cadre normatif de la création publicitaire (éthique, .), même si le terme n'est pas du goût des Directeurs artistiques des agences de communication. Spot TV, spot radio, affiche et insertion presse. Quelle est, d'après vous, la forme la plus rentable et affective en matière d'investissement publicitaire ? HZ : Le media management ou l'art de donner à un message publicitaire la possibilité d'atteindre sa ou ses cibles efficacement, c'est-à-dire au moindre coût du contact et à l'échelle la plus diffusée possible (répétition et couverture) est un ensemble de techniques nécessitant une culture média relativement poussée, une maîtrise de l'analyse chiffrée des données d'audiences et une bonne connaissance des comportements et attitudes des cibles de consommateurs ou clients visées. Le choix d'un média est tributaire du niveau de pression publicitaire requis pour une campagne donnée et donc des budgets mis en uvre. D'autres facteurs, d'opportunités entrent en jeu pour le choix d'un média plutôt qu'un autre : achat impulsif ou réfléchi, auquel cas on privilégie la presse par exemple Ce qui compte, c'est d'atteindre sa cible et que celle-ci reconnaisse l'annonceur, la marque, retienne le message, l'apprécie au cas échéant, le comprenne et change de comportement d'achat ou d'attitude vis-à-vis du produit ou du service selon l'objectif du plan de communication. La télévision demeure, toutefois, le moyen le plus puissant et le plus économique pour atteindre les marchés de masse. Pensez-vous que les chefs d'entreprise tunisiens sont conscients de l'apport d'une action publicitaire en termes de valeur ajoutée ? (Pourquoi ?) HZ : Les entreprises tunisiennes confrontées à la dure loi de la concurrence sont quasiment toutes conscientes de la valeur ajoutée apportée par les actions publicitaires, notamment celles qui s'adressent aux marchés de la grande consommation. Il est toutefois admis que certains chefs d'entreprise désignent encore les investissements publicitaires par le terme «dépenses publicitaires», ceci est inquiétant. Cela dénote d'une méconnaissance de la notion de construction de la marque (la terminologie anglaise plus appropriée étant : «brand building»). Les multinationales ont très bien compris l'apport des actions publicitaires dans la construction des marques et la valeur ajoutée générée par la communication en général. Les PME tunisiennes devraient faire un usage optimal des médias disponibles afin d'atteindre leurs objectifs publicitaires en étudiant davantage le comportement de leurs consommateurs. Les principes marketing demeurent universels : comprendre le client ou le consommateur, puis agir par une communication appropriée à travers un média adapté pour mettre en avant un produit ou un service dont la demande est avérée. En ces temps de l'économie du choix, construire des ponts solides entre le consommateur et la marque est le seul garant de la pérennité du modèle économique des entreprises de la grande consommation. Des marques comme Randa ou Délice ont moins de 15 ans d'âge, alors qu'on a l'impression qu'elles meublent notre quotidien depuis tout temps ! Que dire de la marque Tunisiana : trois ans et déjà tout d'une grande ! Sigma Conseil surf aujourd'hui sur une vague de performances depuis 1998, alors comment expliquez-vous cette belle réussite ? HZ : C'est d'abord une question de vision, sans cela il n'y a point de succès. L'idée de base est la suivante : l'information économique et statistique est plus que jamais le moteur de la réflexion stratégique et prospective de marché, les multinationales l'ont bien compris. Les PME tunisiennes se sont arrimées aux études marketing et d'optimisation de l'allocation des ressources par les enquêtes par sondage sur leur clientèle plus tardivement, mais on peut dire qu'aujourd'hui le résultat est probant. Un jour, un chef d'entreprise dans l'agroalimentaire m'a dit : vos 'informations coûtent chères !'' J'ai répondu : essayez le coût de l'ignorance ! Pour se maintenir sur son marché, SIGMA a entrepris d'offrir toutes les palettes de la recherche marketing : études consommateurs, études publicitaires, études médias. Pour résister aux entreprises internationales ayant des prétentions sur la région, SIGMA s'est implantée en Algérie, au Maroc et récemment en Libye. L'internationalisation de SIGMA a permis le maintien et le développement de l'emploi de jeunes cadres en Tunisie, avec une part des exportations en 2005 de l'ordre de 60% ! Nous nous inscrivons ainsi dans l'orientation actuelle de l'économie tunisienne, à savoir l'exportation de services à valeur ajoutée. Cette interview de M. Hassan Zargouni, président de SIGMA CONSEIL a été publié par le mensuel 'Le Manager'', le 26 décembre 2005. Site web : http://www.leconomiste.com.tn/