«Evitez l'endettement et optez pour la modération», tel est le slogan de la chétive Organisation de Défense du Consommateur (ODC) durant le mois de ramadan. Cette institution, qui n'est qu'un appendice de l'administration, se fait en fait l'écho d'une préoccupation majeure, celle de la tendance des ménages à s'endetter outre mesure. Le Tunisien moyen a toujours eu cette tendance fâcheuse à vivre au-dessus de ses moyens, à acheter à crédit et à emprunter partout où il est possible : employeurs, caisse de sécurité sociale, mutuelles, fonds sociaux, fournisseurs, distributeurs, banques, agences de voyages, et même des voisins (l'épicier et le marchand de légumes du coin). D'ores et déjà, dans une note interne transmise aux banques, au mois de juillet dernier, le gouverneur de la Banque centrale a demandé aux banquiers de la place de traîner du pied lors de l'octroi des crédits à la consommation. Le holà était nécessaire pour juguler une consommation galopante à l'origine d'une augmentation du taux d'inflation estimé, selon le dernier communiqué du conseil d'administration de la BCT, à 4,7% contre 2% seulement en 2005. La démarche de la BCT vise à ralentir une consommation effrénée dopée par l'accès facile aux crédits et à réduire le délai de remboursement des crédits à la consommation de 7 ans à 3 ans, l'ultime objectif étant de contenir, dans le temps, les effets pervers de ce type de crédit, en l'occurrence l'endettement excessif des ménages et les poussées inflationnistes. L'endettement global des particuliers auprès des banques, tels que recensé par la centrale des crédits aux particuliers, a totalisé 4.493 millions de dinars en 2005 contre 3.605 millions de dinars en 2004, en progression de 888 millions de dinars ou 24,6% contre 532 millions de dinars ou 17,3% une année auparavant. Les nouveaux crédits octroyés ont servi principalement à financer l'acquisition de logements neufs et l'aménagement ou l'extension d'anciens logements. Leur encours s'est élevé à 2.569 millions de dinars au terme de l'année 2005 contre 2.265 millions de dinars une année auparavant, en progression de 13,4% contre 8,3%. Conséquence : les crédits aux particuliers, qui, il faut le reconnaître, ont apporté une large contribution au développement des crédits dans l'économie, ont connu une croissance particulièrement dynamique depuis 2003, au rythme de 16% par an. Mention spéciale pour un indicateur qualitatif : la palme de la croissance de ces crédits revient aux prêts universitaires, qui représentent, certes, de faibles montants mais au plan du volume, ils ont été multipliés par six en deux ans. En 2005, l'encours moyen a atteint, pour mémoire, 4 milliards de dinars, contre un peu moins de 3 milliards de dinars deux ans auparavant, soit respectivement 9,2% et 10,8% du PIB. Par produits, les prêts pour l'achat d'un logement ont représenté près de 60% de l'ensemble des crédits aux particuliers octroyés par les banques, devant les crédits à la consommation (37% du total), ceux destinés à l'achat d'un véhicule (3%) ou pour financer des études (0,01%). Les autres crédits qui ont servi, notamment, à couvrir les dépenses courantes, l'acquisition de matériaux de construction, d'équipements ménagers et de véhicules sont passés de 1.340 en 2004 à 1.924 millions de dinars en 2005, enregistrant ainsi un accroissement de 43,6%. Cet accroissement de l'endettement des ménages a amené la Banque centrale à accroître son taux directeur d'un quart de point et de le faire passer de 5% à 5,25%. Objectif déclaré : contenir la poussée inflationniste et privilégier -au niveau de l'investissement- les projets rentables. En clair, ne bénéficieront du crédit que ceux qui en auront vraiment besoin, du moins pour le moment. Cette réaction des pouvoirs publics est saine et se justifie, jusqu'à une certaine limite économiquement. Car une tendance à la surconsommation peut se traduire par un accroissement des importations, voire par une érosion de la balance courante dans la mesure où les produits de grande consommation ne comportent pas, pour leur grande majorité, un taux d'intégration élevé. De même, en hypothéquant une partie de leurs revenus pendant de longs mois pour acquérir ou renouveler certains biens d'équipements ménagers, les ménages risquent de provoquer une diminution de l'épargne, laquelle peut se répercuter sur les grands équilibres macroéconomiques du pays en réduisant les ressources intérieures d'investissement et en accentuant le recours à l'endettement extérieur. Au niveau social, le recours excessif aux ventes par facilité encourage, d'une part, les ménages à vivre au-dessus de leurs moyens propres et les rend vulnérables aux aléas conjoncturels, et, d'autre part, peut conduire certains commerçants à pratiquer des prix excessivement élevés, ou encore appliquer, pour les paiements différés, des taux d'intérêt usuriers, sans commune mesure avec les taux d'intérêt pratiqués par les banques. La consommation effrénée n'a pas, néanmoins, que des côtés négatifs. Une consommation bien maîtrisée est un véritable booster de développement de l'industrie et des services. La Tunisie, forte d'une classe moyenne représentant 80% de la population et d'un des meilleurs revenus par tête d'habitant en Afrique (4.000 dinars environ), est un pays de consommation par excellence. Elle peut utiliser ces atouts pour dynamiser les industries et les services. D'ailleurs, par leur dynamisme, les crédits à la consommation tirent l'ensemble des secteurs (immobilier, électroménager ). Les observateurs de l'économie tunisienne estiment, qu'avec un rythme de croissance annuel de près de 30%, «ces crédits pourraient, sous peu, devenir la première motivation des Tunisiens pour une demande de prêt».