La Banque mondiale estime que tout risque d'insécurité alimentaire en Tunisie «proviendrait plus du pouvoir d'achat insuffisant du segment pauvre de la population que de pénuries intérieures». Dans une étude sur la commercialisation des céréales en Tunisie, la Banque déplore «la prudence» excessive mais «compréhensible» de la Tunisie qui accuse un retard «pré judicieux» en matière de libéralisation de la filière céréale. Concrètement, la banque souhaite la suppression du monopole de l'Office des céréales. Dans le détail, la Banque relève dans la filière céréales une forte centralisation perceptible à travers le monopole qu'exerce l'Office des céréales sur la collecte et l'achat du blé local, l'importation, le stockage et l'approvisionnement en semences. Selon l'institution financière, cette centralisation est coûteuse pour le budget. Elle ne cible pas les pauvres, décourage le secteur privé à se restructurer (les capacités des unités de trituration et de cuisson sont excédentaires) et favorise artificiellement la culture de céréales non compétitives au détriment d'autres cultures. Elle empêche, en outre, le développement de marchés compétitifs, et de plus, a souvent un impact nuisible sur l'environnement parce qu'elle donne lieu à un usage inefficace des maigres ressources en eau. La Banque reconnaît, toutefois au gouvernement tunisien, quelques avancées sur la voie de la libéralisation de la filière céréalière. Parmi celle-ci, figurent l'ouverture de la liste des mandataires à deux petits négociants privés pour réduire l'intervention de l'Office des céréales dans la collecte de l'orge, la réduction de l'effectif pléthorique de l'Office de 2.800 personnes à 1.500, le retrait de l'Office des ventes de détails et le projet annoncé de privatisation de certaines installations locales. La partie tunisienne, par la voix du PDG de l'Office des céréales, M. Mohamed Chokri Ayachi, estime qu'elle est allée plus loin que les conclusions de cette étude. Ainsi, l'Office suit une politique visant à associer de plus en plus les privés à l'exploitation des activités concurrentielles et à se consacrer exclusivement au calibrage des céréales, au contrôle et au règlement des litiges entre agriculteurs et collecteurs. A titre indicatif, en 2006, le nombre des mandataires est passé, en 2006, à 8 contre deux seulement en 2005 tandis que la part des privés dans la collecte et le stockage de la récolte céréalière est passée de 0,7% en 2005 à 4,4% en 2006. Mieux, l'Office, a décidé, selon M. Ayachi, d'améliorer l'attractivité de cette activité et de lutter contre sa saisonnalité. Il a augmenté la prime de collecte et de stockage de 1250 millimes le quintal à 1400 millimes, et vient d'autoriser collecteurs et stockeurs privés à exercer le commerce rémunérateur des engrais et des semences. En dépit de ces avancées, la Banque mondiale pense qu'il «n'y a pas de mouvement cohérent vers une réforme» de la filière et illustre sa thèse par le monopole des ventes aux minoteries qui reste intact. Pis, bien que 94% des céréales soient produites dans le Nord, l'Office des céréales maintient des magasins dans toutes les régions du pays, et entend conserver ses installations portuaires et est actuellement impliqué dans la construction d'un niveau silo portuaire à Zarzis pour approvisionner le centre et le sud de la Tunisie. Pour sa part, M. Mohamed Chokri Ayachi a déclaré, récemment, à la presse, que l'Office projette de céder à des privés plusieurs de ses installations dont des silos. Commentaire : la prudence tunisienne est compréhensible. Car, le secteur des céréales est un secteur sensible. Tout le monde se rappelle les émeutes du pain de 1984. Les choses ont depuis évolué, estiment les experts de la Banque mondiale pour qui «les causes des pénuries alimentaires du passé ne constituent plus une menace réaliste. Ces risques peuvent être contenus de nos jours par de bonnes politiques de prévisions de sécheresse et par une bonne gestion du transport des denrées. Il faut dire que la production céréalière demeure, après un demi siècle d'indépendance, tributaire des aléas climatiques, d'où l'enjeu d'investir dans la recherche afin d'identifier de nouvelles semences à haut rendement. La production est estimée officiellement, en 2006, par le ministère de l'Agriculture, à 16 millions de quintaux. Elle est répartie en 10,3 millions de quintaux de blé dur, 2,2 millions de quintaux de blé tendre, 3,6 millions de quintaux d'orge et de triticale. En 2004-2005, la production céréalière s'était élevée à 21 millions de quintaux répartis entre 12 millions de quintaux de blé dur, 3,4 millions de blé tendre et 4,7 millions de quintaux d'orge et triticale, contre une récolte globale de 23,5 millions de quintaux l'année précédente.