* Bâtir une entreprise: * rien de plus facile * Féru d'informatique et entrepreneur dans l'âme, Louis Têtu prend plaisir à lancer des entreprises pour en sortir avant d'en arriver à la lourdeur administrative. Il en est maintenant à sa quatrième, Coveo, qui offre un nouveau paradigme aux entreprises en voie d'être dépassées dans le traitement de millions, voire de milliards de courriels et d'autres documents, qu'elles doivent conserver dans leurs archives. Louis Têtu est actionnaire principal et président exécutif de Coveo depuis presque un an. Diplômé de l'Université Laval à l'âge de 20 ans en génie aéronautique, il a fondé avec son frère une première entreprise, Berclain, fusionnée ensuite avec une société néerlandaise, Baan, dont il allait devenir le plus jeune haut dirigeant avant de quitter ce groupe. Puis, avec Charles Sirois, il a fait l'acquisition d'une petite société, un babillard en ligne qu'il a converti en Recruitsoft, revendu à Quebecor Media. Le profit obtenu a servi au lancement de Taleo, un succès retentissant, avec des revenus l'an passé de 190 millions et 1000 employés. Et maintenant, il y a Coveo. Qu'est-ce qui peut bien motiver cet homme à lancer des entreprises pour s'en départir après quelques années et à se lancer ensuite dans un nouveau projet? «J'aime bâtir une entreprise de zéro à 200 millions de chiffre d'affaires. Après, j'aime moins ça. J'aime l'aspect créatif, l'agilité des petites équipes. Dans les grosses, il y a une lourdeur administrative et on ne connaît pas les gens par leur nom. Les petites entreprises sont aussi financièrement intéressantes parce qu'il y a beaucoup de valeur qui se crée. Mais il faut être prêt à repartir à zéro.» M. Têtu ne renie pas son passé. Bien au contraire, il parle entre autres de Taleo avec enthousiasme, «un modèle innovateur qui est devenu le premier fournisseur mondial de solutions Internet pour le recrutement et la gestion du talent». En 2004, Taleo se classait au 11e rang en ce qui concerne la rapidité de la croissance parmi les 500 sociétés du domaine des technologies de Deloitte aux Etats-Unis. Au moment de l'inscription en Bourse de Taleo en 2005, M. Têtu s'est retiré progressivement de l'entreprise. Une nouvelle étape dans sa carrière a commencé après la rencontre de Laurent Simoneau, directeur de la technologie chez Copernic, qui avait conçu «un engin de mégarecherche qui déclenchait plusieurs autres engins de recherche et qui combinait les résultats en quelques secondes». Copernic, qui comptait 40 millions d'utilisateurs, a été vendue en 2004. M. Simoneau a alors orchestré la scission de la division de recherche et ce fut la naissance de Coveo. M. Simoneau amenait avec lui deux cadres supérieurs, Richard Tessier et Marc Sanfaçon, des gens d'expérience en développement de logiciels, et 19 autres experts de Copernic. Histoire d'amour avec Coveo M. Têtu leur a présenté Charles Sirois, qui a financé la nouvelle entreprise avec le Fonds de solidarité FTQ. «On m'avait demandé d'être le président du conseil et je suis tombé en amour avec la compagnie et le potentiel de son marché. En 2007, Laurent m'a demandé de venir y travailler. J'aime me concentrer sur une entreprise. J'ai choisi Coveo», dit-il. Et pour confirmer son engagement, il y a investi 2,5 millions de dollars, devenant ainsi le principal actionnaire de la société, dont le capital-actions est maintenant de sept millions. Coveo est une compagnie privée, qui pour l'instant ne divulgue pas son chiffre d'affaires, afin de donner le moins d'indices possible aux concurrents. «Les affaires vont très bien, nos revenus vont doubler cette année», ajoute le président exécutif. Cette petite entreprise, dont le siège social est à Québec, ne compte que 70 employés, la plupart à Québec, parmi lesquels 40 en recherche et développement. Elle a déjà servi 600 clients, surtout aux Etats-Unis, de grandes entreprises comme Procter & Gamble, Groupe Pages jaunes, Desjardins, Radio-Canada et d'autres clients prestigieux comme la NASA et l'OTAN, ainsi que des PME. Depuis un an, l'accent a été mis sur la structuration de cette société jusqu'alors orientée vers la technologie. Il fallait désormais se concentrer sur les ventes. En fait, on voit rarement une entreprise aussi jeune et aussi petite avoir une concentration de professionnels accumulant un tel bagage d'expérience. M. Simoneau est président et chef de la direction. Jean Lavigueur, chef de la direction financière, a suivi M. Têtu dans toutes ses entreprises. Michel Besner, vice-président au marketing, vient de chez OZ et a été cofondateur de Kaydara, qui a mis au point la technologie 3D pour animer des personnages tels que Gérard D. Laflaque. Fred Harding, vice-président aux alliances mondiales, vient de chez Taleo. Bref, il s'agit «d'une très belle équipe pour relever le défi de l'opportunité de marché», résume M. Têtu, qui affiche une grande confiance pour la suite des choses. A-t-il des objectifs de croissance? «Cent millions de revenus dans quatre ou cinq ans. La courbe habituelle», répond-il, comme si sa routine à lui était de lancer des entreprises. «Ça fait 25 ans que je suis là-dedans. Je me trompe très souvent et rapidement. On ne cherche pas la perfection, mais à être agiles pour ajuster le modèle rapidement. Notre culture d'entreprise est très ouverte et donne le droit de se tromper. On peut se permettre de travailler avec des gens de cette culture et nous avons des gens intelligents qui veulent avancer. On veut être les meilleurs dans ce qu'on fait, en incluant les Américains et les Européens.» Un président exécutif, explique-t-il, est un président du conseil à temps plein. Son rôle consiste à élaborer une stratégie, à développer des marchés et à bien les identifier, et à mettre en place une infrastructure efficace pour croître graduellement. Des milliards de courriels Mais encore faut-il avoir un marché à la hauteur de telles ambitions! À cet égard, M. Têtu ne voit aucun problème. Selon Coveo, la grande société type exploite en moyenne plus de 50 systèmes non intégrés, la majorité de l'information pertinente étant enfouie de plus en plus profondément parmi les informations non structurées, en particulier les courriels. Ces données doublent tous les 18 mois. En fait, ces informations non structurées augmentent six fois plus que celles qui sont structurées, qui dans le passé constituaient l'essentiel des informations contenues dans les systèmes informatiques. L'information non structurée, essentiellement des textes, est disparate, hétérogène, souvent redondante et logée dans plusieurs répertoires. Outre les courriels, il y a les intranets, les blogues et les wikis. En 2008, une boîte de courriels dans les grandes entreprises accumule 20 mégabits par jour. Dans deux ans, ce sera 30 mégabits. Il y a aux Etats-Unis une compagnie d'assurances (pas une cliente de Coveo) qui détient dans ses archives 21 milliards de courriels, qu'il faut conserver pour des raisons légales pendant un certain nombre d'années. Au Canada, les banques doivent le faire pendant sept ans. Evidemment, la question est de pouvoir avoir accès de façon organisée à ces informations, qu'il faut indexer, tout en offrant un accès sécurisé. Coveo dit avoir mis en avant un nouveau paradigme pour le secteur de la recherche en entreprise et celui des technologies mobiles. Coveo annoncera prochainement une entente avec un fournisseur mobile bien connu. Selon M. Têtu, les solutions de recherche en entreprise traditionnelle sont trop complexes à mettre en oeuvre, ne sont pas économiquement extensibles pour traiter d'importants volumes. «À 10 millions de courriels, la compagnie écrase.» Les gens passent de six à dix heures par semaine à rechercher de l'information ou à recréer de l'information existante. Coveo soutient avoir mis au point la technologie la plus facile à déployer et à installer, en plus d'être la moins coûteuse. Le client peut même l'installer avant de l'acheter pour vérifier son efficacité, ce qui réduit complètement ses risques de faire un mauvais achat. «Cet engin de recherche appliqué aux entreprises permet d'obtenir des résultats en une demi-seconde, ce qui donne au total un temps de recherche de 30 minutes par jour par personne». On pourrait résumer en disant que ce logiciel est une sorte de Google pour usage interne dans les entreprises. Le plan de Coveo pour attaquer le marché mondial s'appuie présentement sur un certain nombre de bureaux et de représentants à Chicago, à Montréal, à Boston, à San Francisco, à Amsterdam, à Paris et à Montréal. L'entreprise est dans une phase d'embauche. M. Têtu projette-t-il de quitter éventuellement Coveo, comme il l'a fait dans le cas des entreprises précédentes? Une réponse très prudente cette fois: «Je ne pense pas si loin que ça.» Âgé de 44 ans, il a encore du temps devant lui pour lancer d'autres entreprises. (Source : http://www.ledevoir.com/2009/02/16/234045.html)