Le tissu entrepreunarial constitue le piédestal d'une économie solide. D'ailleurs, « il ne peut exister de développement économique sans la croissance d'un tissu entrepreunarial », a noté M. Mahmoud Seklani, professeur émérite, lors de la table ronde organisée, le 6 courant, par l'Institut Arabe des Chefs d'Entreprises, sur « l'histoire des entreprises et de l'entrepreneuriat dans le contexte méditerranéen ». M. Mohamed Sassi, enseignant de management stratégique à l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), a signalé que l'objectif de cette rencontre est de lancer la réflexion sur un domaine qui n'est pas bien connu en Tunisie. « On vise la création d'une unité de recherche mixte (française, italienne, tunisienne et peut-être espagnole) avec le campus universitaire d'Al Manar et le lancement d'un master de recherche dans cette discipline », a-t-il affirmé. Tracer l'histoire des entreprises serait, donc, d'une grande utilité puisqu'elle est intrinsèque à l'histoire politique et économique. Le tissu entrepreunarial, au sens moderne, n'aurait pas pu voir le jour, sans une volonté politique et des stratégies économiques qui ont encouragé son émergence et sa prolifération. Si on revoit l'histoire économique de la Tunisie, on se rend compte que la politique a eu un rôle décisif dans la formation du tissu entrepreunarial tunisien. Si Bourguiba n'avait pas écarté le régime socialiste basé sur les coopératives, on n'aurait, peut-être, pas assisté à cette dynamique économique basée sur l'initiative privée. Mais, disons que cette étape ultérieure avait ses bienfaits avec« cette ruée vers le tourisme », souligne Pr Mustapha Zghal, professeur émérite à la faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis. Entreprises et histoire En fait, l'histoire des entreprises est une discipline universitaire qui est peu développé. « Elle est apparu dans les années 20. Elle vise à renouveler notre vision du capitalisme. Au départ, on s'intéressait surtout aux grandes entreprises. Mais on est de plus en plus attentif aux PME », a indiqué Pr. Dominique Barjot, ex-directeur des sciences humaines au Ministère français de la Recherche scientifique. En fait, les entreprises artisanales constituaient les prémices de développement d'un tissu entrepreneurial impulsé par les politiques économiques. Retracer l'histoire de ce parcours concourt d'une façon cordiale à la compréhension de la réalité économique d'un pays. A l'exemple de l'Egypte dont les IDE représentent moins de 1% à l'échelle internationale. « La stabilité politique et institutionnel favorise l'implantation des entreprises sur le long terme. Ce qui n'était pas le cas en Egypte », a affirmé Dr Caroline Piquet, maître de conférences en histoire économique à l'Université de Paris-Sorbonne Paris IV. Après l'empire ottoman qui attirait les investissements étrangers, la bourgeoisie locale poussée par une pincée de nationalisme, a contesté le pouvoir de la bourgeoisie étrangère (coloniale) et les compagnies étrangères qui employaient seulement leurs compatriotes. L'Etat est intervenu, dans les années 30-40, pour promulguer des législations contraignantes à l'implantation étrangère. De même au cours des années 60 où le socialisme arabe a réussi à faire fuir les investissements étrangers. Ce n'est qu'avec l'arrivée de Sadat au pouvoir qu'une politique d'ouverture économique a vu le jour appuyée, sur le plan politique, par l'accord de paix avec Israël - et il a fallu démanteler tout l'arsenal législatif des années 40. Outre la compréhension de l'histoire économique, l'histoire des entreprises peut être utile dans l'analyse de la succession et de la transmission d'entreprises. Un document de travail qui pourrait servir à l'étude de cas concrets, de quoi enrichir les cours académiques dans les universités. Une discipline encore mal connu Reste que l'histoire des entreprises est encore un terrain vierge à exploiter, surtout dans les pays émergents tels que la Tunisie où cette discipline n'existe pas en tant que telle. On la substitua auparavant aux sciences économiques et au droit. Pour les chercheurs, se pose la question des archives des entreprises qui constituent le principal document de travail pour retracer leur histoire. « On est devant une double problématique : créer et gérer les archives, ce qui n'est pas une tentative facile. Il y a également la question des archives privés qui peuvent contenir des documents publics d'entreprises, mais dont l'accès est très difficile », a souligné Pr Luciano Segreto, professeur d'histoire économique et directeur des relations internationales à l'Université de Florence. L'accès aux archives des entreprises peut, ainsi, se révéler comme une tâche difficile puisqu'il s'agit là de documents confidentiels. De même pour les banques qui ont une base de données clientèle très riche et qui pourrait bien servir le chercheur dans l'histoire des entreprises. Les intervenants ont également évoqué l'économie informelle qui ne pourrait pas se détacher de l'histoire économique. « Elle pourrait paraître résiduelle dans les pays industrialisés mais elle est la source d'un gain d'activité dans les pays émergents », a signalé Pr Bernard Paranque, doyen associé à la recherche et à la faculté Euromed-Marseille. La problématique que pose l'économie informelle est l'absence d'archives, ce qui fait qu'elle ne soit pas prise en compte dans l'histoire des entreprises, bien qu'elle est dominante et à l'amont de la construction du tissu entrepreneurial. Au niveau méditerranéen, Pr. Segreto a indiqué que la recherche dans cette discipline devrait se baser sur cinq axes : le commerce maritime, l'organisation des ports, la pêche et l'industrie de transformation, l'industrie agroalimentaire et le tourisme. De son côté, Pr Paranque a proposé trois axes de recherches qui sont le passage de l'économie informelle à l'économie formelle, l'histoire des communautés de producteurs et l'histoire de la manière avec laquelle les banques financent les entreprises. En fait, l'étude de l'histoire des entreprises peut constituer un chemin de recherche très promoteur en Tunisie. Le manque d'enseignants spécialistes fait que la discipline soit ignorée ou écartée de l'environnement de recherche en sciences économiques. Le fait est qu'elle dépasse le simple retraçage de l'histoire des entreprises pour retracer l'itinéraire de tout un pays tout en apprenant à son initiateur des leçons pratiques d'histoire politiques et économiques.