Alors que la marche vers le libre-échange parait inéluctable un peu partout dans le monde, au besoin à marche forcée, le processus d'intégration du Grand Maghreb, en dépit des professions de foi des différentes équipes politiques au pouvoir, de ses marchés minuscules, cloisonnés et pratiquement dépendants, bat de l'aile, défaille, au grand dam des élites économiques de la région, de plus en plus désemparées, face à l'échec des dirigeants, accusés, à l'occasion de plusieurs rencontres patronales, de céder souvent aux sirènes souverainistes et aux réflexes nationalistes. Comment s'étonner alors des relations en dents de scie entre les Etats de la région, de la persistance d'échanges économiques, figés à leur niveau le plus bas, évalués, d'ailleurs, à moins de 3% du volume total du commerce extérieur du Maghreb, contre plus de 70% avec l'Union européenne? A la place d'une stratégie gradualiste visant le décloisonnement des marchés individuels, l'interpénétration des sociétés civiles maghrébines et la familiarisation des sous-cultures, des murs et des intérêts concrets de chaque pays, l'establishement en charge de nos destinés se cantonne dans un formalisme désespérant, réduisant les relations politiques à des discours éloquents lors des visites bilatérales des chefs d'Etat et à l'échange de télégrammes à l'occasion des fêtes nationales ou de l'anniversaire de l'U.M.A. Un tableau régional tronqué Le traité de l'U.M.A n'a pas réussi à relativiser la souveraineté économique des pays membres qui ont privilégié des politiques strictement bilatérales aussi bien entre eux qu'à l'égard des tiers. Si la Tunisie, le Maroc et l'Algérie ont signé, sans consultation préalable, des accords de partenariat avec l'Union européenne, la Libye et la Mauritanie sont restées en dehors de ces consultations. Les autres engagements de libre-échange souscrits par Tunis et Rabat n'incluent pas le voisinage. L'Accord Maroc-USA, entré en vigueur le 1er janvier 2006, est bilatéral, celui d'Agadir, opérationnel à partir du 27 mars 2007, s'étend à l'Egypte et à la Jordanie sans pour autant inclure l'Algérie, la Libye ou la Mauritanie, ce qui est préjudiciable à l'évolution d'un grand ensemble régional, au sud de la Méditerranée, où les facteurs d'instabilité (environnement, chômage massif, pollution, désertification, eau, éducation) appellent des réponses collectives et concertées, loin des prises de position en solo. Il s'agit d'un statu quo intenable pour les peuples de la région et leurs intérêts vitaux dans un contexte international où la tendance vers une certaine multipolarité, avec l'avénement de l'administration d'Obama, est en train de déterminer, assez clairement, les grands ensembles de demain (MERCOSUR, Union Européenne, NAFTA ). Ainsi, les enjeux du nouveau millénaire et les impératifs sécuritaires régionaux dictent la pertinence d'un grand ensemble maghrébin. Que faire ? «Afin de faire face aux retombées négatives des Zones de Libre-Echange (ZLE) où se sont engagés séparément certains Etats maghrébins, il est tout d'abord indispensable de maghrébiser le dispositif institutionnel adopté avec le Marché unique européen», pense le sociologue tunisien M. Aissa Baccouche, qui insiste sur la libre circulation des biens et des personnes dans la région, l'émergence d'une communauté d'intérêts entre les opérateurs économiques, les producteurs, les artisans, les savants, les chercheurs et l'importance d'un projet intermédiaire, capable de placer cette ambition fédéraliste dans une logique gradualiste, non souverainiste à moyen et long termes. D'ailleurs, une étude réalisée au Maroc en novembre 2008 évalue le coût du ''Non Maghreb'' à 10 milliards de dollars par an. Au fait, affirment plusieurs économistes, les tentatives d'ouverture d'ordre bilatéral, orientées vers le Nord industrialisé, tels que l'Accord d'Agadir et le libre-échange avec les Etats-Unis, sont des solutions tronquées, vouées à des résultats insignifiants. Démuni face à la compétitivité avérée des produits occidentaux, un processus de saine concurrence doit tout d'abord s'installer dans le marché intermaghrébin. «Il n'est pas concevable de consentir à l'Union européenne plus que nous reconnaissons à nos frères et voisins qui sont, autant que nous, moins bien armés que le géant industriel européen», déclare M. Kamel Ben Younes, directeur exécutif de l'Association des Etudes Internationales, dans plusieurs séminaires traitant du projet d'Union pour la Méditerranée, pour qui une première intégration entre les institutions et les centres d'intérêt spécifiques, orientés vers le milieu géographique et humain proprement maghrébin (les arts, la nature, les recherches scientifiques dans les sciences humaines, la télévision, le livre, le cinéma ) peuvent contribuer à donner au Maghreb un visage institutionnel et civile, voué aux intérêts intemporels des peuples de la région.