C'est vraiment désespérant. Le Tunisien ne mérite pas ça. Mais c'est comme ça. La crise politique née des soupçons de conflit d'intérêts du chef du gouvernement ne sera pas sans conséquences sur le programme de sauvetage du pays, car la démission d'Elyes Fakhfakh implique que le gouvernement n'est plus en mesure de prendre des décisions, ni des accords qui engagent le pays. Il n'est désormais chargé que d' « expédier les affaires courantes ». Autrement dit, c'est la machine économique qui risque de caler alors que tout doit être entrepris pour la faire redémarrer en usant des deux leviers de l'offre et de la demande. Nos entreprises n'ont dorénavant plus d'autre choix qu'attendre qu'un miracle puisse les sauver. Cette crise est une crise de trop qui risque de faire plonger le pays dans la tourmente. Cette crise politique va décaler d'au-moins six mois les urgences et les priorités de stabilisation du cadre macroéconomique. Une situation que le pays ne peut nullement se permettre tant le risque est grand de voir son économie partir en éclat. Or, ce scénario est devenu envisageable. Le pays est déjà au bord du précipice. Cette crise risque de l'y pousser. Dans un pareil contexte, il ne serait nullement surprenant que l'activité économique du pays enregistre un recul sans précédent. En tout cas, bien plus important que ne le prévoient les estimations actualisées du gouvernement. L'hypothèse d'une récession qui irait bien au-delà de 10% est aujourd'hui recevable rendant les besoins de financement de l'Etat comme des entreprises et des ménages si considérables qu'il serait impossible de satisfaire. Quel bailleur de fonds se risquerait à négocier un prêt ou un crédit, à fortiori une restructuration de dette avec un gouvernement « intérimaire » qui gère une économie au bord de la faillite ?
Une telle configuration nous rapprocherait non pas de la situation grecque de 2008 et l'épouvantable crise de la dette vécue par ce pays, mais plutôt de ce que vit actuellement le Liban, c'est-à-dire un effondrement pur et simple de son économie en raison de l'incapacité de leurs dirigeants politiques à s'entendre sur un programme de sauvetage crédible qui puisse être soutenu par les bailleurs de fonds. Durant ces dernières années, le pays du Cèdre a vécu largement au-dessus de ses moyens. « L'Etat libanais emprunte 1 dollar chaque fois qu'il en dépense 2, pour des services publics pitoyables », écrivait le quotidien français Les Echos sur l'état des finances publiques du pays, à la veille du déclenchement de la révolte populaire du 17 octobre 2019. La pandémie Covid-19 a mis à nu la fragilité de son modèle économique. Selon les estimations les plus récentes, le Liban devrait afficher une récession économique à deux chiffres en 2020 (-12%). Tous les indicateurs économiques du pays sont au rouge. L'inflation devrait atteindre 17% alors qu'elle était négative il y a deux ans. Le déficit budgétaire est estimé à 12,3% selon le FMI. Quand au déficit des paiements courants, il devrait atteindre près de 13% du PIB. Le taux d'endettement est la donnée la plus inquiétante : plus de 180% du PIB. Le dollar se négocie autour de 4000 livres libanaises sur le marché parallèle alors qu'il ne vaut que 1 600 livres environ selon le change officiel. Selon la Banque mondiale, près de la moitié de la population libanaise risque de sombrer sous le seuil de pauvreté (45,3%), n'ayant que 1,5 dollar par jour pour vivre, ou plutôt survivre. Tout cela en raison des atermoiements d'une classe politique que l'opinion publique accuse d'être gangrénée par le clientélisme et la corruption.
Cette incurie a exaspéré le FMI qui, pas plus tard que lundi dernier, a invité sèchement les autorités libanaises à s'unir autour d'un plan de sauvetage pour sortir le pays de la banqueroute. Plan de sauvetage dont le montant n'a pu être fixé parce que les autorités libanaises divergeaient sur l'évaluation des déficits publics, des pertes de la Banque centrale du Liban et des banques libanaises. L'institution financière multilatérale a été dans l'incapacité de pouvoir établir des prévisions économiques et financières au-delà de 2020 pour le pays en raison de la dégradation des capacités statistiques du pays. N'est-ce pas là un scénario qui sied à la Tunisie ?