Le gouvernement de Hichem Mechichi a fini par obtenir la confiance du Parlement, comme cela était prévu avant même le début de la plénière. D'après les résultats du vote, il semble qu'Attayar, la coalition Al Karama et le PDL ont voté contre ce gouvernement, formant ainsi la nouvelle opposition parlementaire. En face, ils auront une coalition bricolée regroupant au moins 120 élus, qui se propose, selon les dires de Nabil Karoui, de fournir la fameuse assise politique au gouvernement. Mais les résultats de ce vote vont au-delà de ces considérations et il aura fait des gagnants et des perdants.
Les perdants : Kaïs Saïed C'est sans doute le plus grand perdant de ce vote et de l'obtention de la confiance du Parlement par Hichem Mechichi. Le président de la République a multiplié les manœuvres, y compris une lecture hasardeuse de l'article 100 de la constitution, pour empêcher Hichem Mechichi d'accéder à la Kasbah. Ce dernier s'est acoquiné avec Rached Gahnnouchi et Nabil Karoui ce qui a eu le don de faire regretter son choix à Kaïs Saïed. Aujourd'hui, avec ce vote, Kaïs Saïed perd l'initiative politique qui était sienne depuis la chute du gouvernement de Habib Jamli. Il se retrouve isolé politiquement et franchement battu par le jeu des partis. Il devra également gérer ce qui se dit sur l'influence grandissante de sa cheffe de cabinet Nadia Akacha et dissiper l'impression que l'Histoire se répète, lui qui prétendait apporter un souffle nouveau. Au bout du compte, le choix qu'il a opéré lui a échappé et les partis lui ont fait regretter d'avoir voulu diriger sans eux.
Hichem Mechichi Certains journaux auront beau décrire le vote d'hier comme étant une éclatante victoire pour Hichem Mechichi, il n'en est rien. C'est probablement le seul chef du gouvernement qui prendra ses fonctions en ayant à dos les partis politiques et la présidence de la République. Car il ne faut pas s'y tromper, le vote accordé par les partis à Mechichi n'est qu'une forme de racket politique qui permet à Nabil Karoui par exemple d'annoncer un prochain remaniement. Hichem Mechichi n'a convaincu ni par sa personnalité, ni par son programme. Il est redevable aux partis qui l'ont amené à la Kasbah, et quand les vapeurs d'une victoire éphémère se seront dissipées, viendra l'heure de l'addition, et elle fera mal. Si Hichem Mechichi ne cède pas aux partis, ils pourront le faire virer de la Kasbah, surtout qu'il ne pourra espérer aucun soutien de Carthage. S'il cède aux partis, avec un remaniement dans deux mois, il n'aura plus aucune crédibilité. Donc sa marge de manœuvre est très étroite.
Le camp progressiste Y a-t-il une seule élection où ce camp ne sort pas perdant, d'une manière ou d'une autre ? De mémoire, non. L'obtention de la confiance par Hichem Mechichi ne fait pas l'exception. Comme l'a si bien dit Mongi Rahoui lors de son intervention, on entendra tous les prétextes concernant l'intérêt du pays, la recherche de la stabilité, mais la réalité est qu'ils ont peur de perdre leurs sièges à l'ARP. Le camp progressiste pourra se réjouir du fait que les islamistes ne sont plus au gouvernement, mais ils occultent le fait qu'ils resteront au pouvoir. Les progressistes ont aidé Ennahdha et son acolyte Qalb Tounes à mettre un pion à la Kasbah. Est-ce par calcul et convergence d'intérêts ou parce qu'ils ont toujours été les idiots utiles des islamistes ? Peu importe, le fait est qu'Ennahdha ne pouvait espérer une meilleure situation. Au fond, y a-t-il une différence substantielle entre Hichem Mechichi et Habib Jamli ?
Les gagnants : Ennahdha Le parti islamiste a bien tiré son épingle du jeu en « retournant » Hichem Mechichi en sa faveur. Les députés islamistes ont même trouvé le moyen d'inventer un concept absurde : nous vous donnons nos voix sans vous accorder notre confiance ! Quoi qu'il en soit, le parti de Montplaisir sort gagnant de cette bataille dans la guerre qu'il mène contre Kaïs Saïed. Il reprend également l'initiative politique et son conseil de la Choura pourra rythmer la vie politique tunisienne, comme ce fût le cas lors de l'attente de la position d'Ennahdha vis-à-vis de ce gouvernement. Le parti islamiste se trouve dans les meilleures dispositions possibles : un technocrate maitrisé et redevable à la Kasbah, gouverner sans en prendre la responsabilité politique. Tout cela a été rendu possible par la naïveté politique du président de la République. On se prend pour de grands stratèges à Carthage alors que les cartes se jouent à Montplaisir, et c'est Montplaisir qui a gagné. Accessoirement, cette victoire permettra, au niveau interne, d'aborder le congrès du parti dans de meilleures dispositions.
Qalb Tounes Le parti Qalb Tounes, présidé par Nabil Karoui, a réussi à se mettre au centre de la scène politique tunisienne, avec l'aide précieuse d'Ennahdha évidemment. Pourtant avec un poids respectable à l'ARP, Qalb Tounes, à cause de Kaïs Saïed et d'Elyes Fakhfkah particulièrement, a toujours été maintenu à l'écart de la tambouille politique. Ceci a frustré les dirigeants du parti et leur président. Aujourd'hui, avec le passage de Hichem Mechichi à l'ARP, la donne a changé et Qalb Tounes pourra prétendre manœuvrer avec Ennahdha pour placer ses hommes. Les chantres de la lutte contre la pauvreté devront aussi veiller à ce que le bilan de Hichem Mechichi ne soit pas trop catastrophique.
Attayar La victoire du parti Attayar consiste à avoir retrouvé sa « place naturelle » d'opposant puisque la courte expérience du pouvoir a porté préjudice à la réputation du parti. Attayar n'a pas laissé Ennahdha dicter le rythme de la vie politique et s'est positionné contre ce gouvernement, en son âme et conscience, sans attendre la décision du conseil de la Choura pour se positionner en fonction. Dès hier soir, on a vu une Samia Abbou libérée et débarrassée des contraintes de la solidarité gouvernementale. Mohamed Abbou lui a emboité le pas en annonçant sa démission et son retrait de la vie politique.
Ce bilan n'est pas exhaustif et les implications du vote d'hier pour le gouvernement Mechichi vont plus loin et auront un impact décisif. Ce qui est important c'est la Tunisie et son avenir. La stabilité, perdue dans notre pays depuis le décès de feu Béji Caïd Essebsi, ne semble pas être à l'ordre du jour, même avec l'obtention de la confiance. On parle déjà de remaniement et de politisation du gouvernement, avec tout ce que cela implique comme difficultés dans le fonctionnement. L'avis de nos partenaires étrangers est également à prendre en considération devant au vu des difficultés financières et économiques auxquelles le pays fait face. Au final, nous nous retrouvons tous dans un cirque qui ne veut pas arrêter de tourner au gré des arrangements et des alliances.