Des doigts d'honneur et des billets de 10 DT ont été brandis en face des agents des forces de l'ordre lors de la manifestation contre la loi de protection des sécuritaires. « Etat policier, les policiers ne sont pas des hommes, tous les policiers sont des corrompus, A.C.A.B… » Discréditer la manifestation en « y allant un peu trop fort », ou exprimer une colère populaire face à des violences policières et une corruption gangrénant la profession ? La question suscite débat…et nombreuses tensions.
« Il ne faut pas plaisanter avec la police », ont commenté plusieurs internautes en voyant les réactions d'agents des forces de l'ordre contre les provocations qui leur ont été faites. « Répondre au feu par le feu, à la haine par la haine ». Telle a été la devise de nombreux sécuritaires qui se sont exprimés sur les pages des syndicats pour condamner « l'affront » qui leur a été fait. Alors que ces pages servaient – habituellement – à partager les réussites des opérations sécuritaires menées, elles se sont transformées, ces derniers jours, en un espace de règlement de comptes avec les citoyens.
Les agents sécuritaires n'y sont pas allés de main morte en rendant publics les visages et noms des manifestants dont ils n'ont que très moyennement apprécié les slogans. Dans le but de discréditer les protestataires, ils sont allés jusqu'à fouiller dans leurs comptes personnels pour faire ressortir des publications « critiquables » selon eux. Mais en plus de la divulgation de ces données personnelles, les croyances religieuses, des orientations politiques ou même sexuelles des manifestants ont été passées au peigne fin pour affaiblir leurs slogans. Exposant leurs identités dans des pages publiques à grande audience, certains sont même allés jusqu'à proférer des menaces à peine voilées. Insultes, menaces de viol, de violences physiques et même de torture, les publications de certains sécuritaires ont été accueillies par un lot d'indignation exprimé de la part de nombreux citoyens.
Les sécuritaires refusent de croire que les faits qui leur sont reprochés et les slogans brandis par les manifestants soient le fruit d'actions citoyennes spontanées alimentées par des années de répression policière. « La campagne organisée contre le projet de loi de protection des sécuritaires n'est pas spontanée, c'est une campagne politisée. Des partis politiques opportunistes et paumés se tiennent derrière ces slogans par lesquels ils veulent se faire une place sur la scène nationale », a écrit le syndicat des forces de sécurité intérieure FSI dans un communiqué publié hier, 8 octobre.
« Ce sont des sécuritaires isolés qui répondent à des manifestants isolés, ceux-là ne représentent pas la majorité », ont rétorqué des internautes. En plus d'envenimer les tensions, ce débat a éloigné les préoccupations du sujet initial, le contenu même de ce projet de loi si controversé.
En effet, entre les citoyens qui cataloguent tous les sécuritaires comme étant des corrompus et des brutes, et entre les sécuritaires qui affirment que tous ceux qui s'opposent au projet de loi sont des terroristes, il y a un océan de subtilités et de vérités.
Le porte-parole du syndicat des fonctionnaires de l'administration générale de la sécurité publique, Lotfi Bouazizi a affirmé hier, dans une déclaration médiatique, que « les revendications des sécuritaires, à travers le vote de cette loi, sont claires : la réparation des préjudices moraux et matériels contre les forces de l'ordre et la création d'un cadre législatif organisant les interventions des sécuritaires à travers des textes de loi clairs ».
De son côté, la ligue des droits de l'Homme met en garde justement contre ce que ce « préjudice » peut bien contenir, et alerte contre le danger des interprétations nombreuses et multiples d'une loi pouvant servir d'outil de censure et instaurer le retour d'un régime policier. 20 organisations de la société civile et ONG ont signé, le 5 octobre, un communiqué, dans lequel elles affirment que : « la proposition d'un tel projet de loi, dans ce contexte bien précis, prépare le retour vers le despotisme et l'instauration d'un Etat policier qui sera nourri par l'impunité dont souffrent les citoyens à cause de pratiques policières illégales ».
Au-delà de toutes les tensions et divisions que ce projet de loi a mises à nu, le texte en lui-même présente de nombreux dangers. Il a même été critiqué par certains syndicats sécuritaires à cause justement de son contenu controversé et interprétable. Si la version actuelle a été « adoucie » par rapport à celle de 2015, le projet de loi actuel comporte encore des articles qualifiés de « dangereux » par la société civile, dont les articles 7 et 13 pour ne citer qu'eux. Au lieu de les protéger, elles offrent au sécuritaires une impunité dans l'exercice de leurs fonctions en leur ôtant toute responsabilité dans les bavures qui pourraient être engendrées par leurs actions. Inutile de signaler le danger d'une telle disposition…
Le fait est que les sécuritaires sont soumis à un contexte très tendu, fait de climat politique instable et de menace terroriste encore présente. S'ils doivent indéniablement être protégés dans l'exercice de leurs fonctions, ceci ne doit certes pas être fait au détriment des droits humains les plus élémentaires, dont la liberté de manifestation et celle d'expression. Une liberté que les sécuritaires condamnent mais dont ils usent de multiples manières, parfois même les discréditant. Le flot de haine, des deux côtés, qui a suivi la manifestation du 6 octobre, ne rend service à aucun des deux combats. Ni celui des citoyens, en colère après des années de répression policière, de corruption et d'Etat policier. Ni celui de sécuritaires qui n'ont fait qu'appuyer les arguments brandis contre eux…