L'Etat, notre Etat, a baissé le pantalon. Au Kamour, il a donné des crédits, des dons, des financements et surtout des emplois fictifs. On compte désormais par milliers ces salariés des sociétés de jardinage payés par le contribuable. Si chacun d'eux avait planté un arbre, juste un arbre, on aurait eu de grandes forêts à Redayef, à Gafsa, à Tataouine et partout là où l'on a créé ces sociétés spécialisées dans l'emploi fictif et la rémunération sans contrepartie. Si Hichem Mechichi s'est retrouvé dans l'obligation de se déculotter, c'est à cause de ses prédécesseurs qui lui ont fait passer la patate chaude. On ne peut pas parler d'Elyes Fakhfakh, puisqu'il n'était que de passage à la Kasbah et était empêtré dans le dossier Covid et ses propres dossiers personnels. Mais celui qui est à blâmer et qui devrait rendre des comptes, c'est Youssef Chahed. C'est à cause de lui que Hichem Mechichi s'est retrouvé dans l'obligation de se déculotter parce qu'obligé de respecter l'engagement de l'Etat. Qu'est-ce que l'Etat a prévu pour sanctionner les hauts responsables capables de pareils crimes ? Rien ! Aujourd'hui, Youssef Chahed continue à faire de la politique, à travers son groupe parlementaire de dix députés, et personne ne cite son nom dans ce qui s'est passé au Kamour. Aucune sanction n'est prévue, ni judiciaire, ni politique, nada !
Dimanche 8 novembre, le président du Parlement et président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, a donné une interview à Chaker Ben Cheïkh sur la Wataniya. On dirait que le paysage médiatique tunisien n'a que la chaîne nationale, où tous les dirigeants vont, et que cette chaîne Wataniya n'a qu'un seul journaliste qu'elle fait sortir pour les grandes interviews comme la bonne mère de famille fait sortir sa belle vaisselle quand elle reçoit des invités. Sur la Wataniya, Rached Ghannouchi a déclaré être satisfait du rendement du Parlement durant la session précédente, et ce malgré le manque de moyens. Il a ajouté que les chiffres montrent que le rendement parlementaire s'est beaucoup amélioré par rapport à la même période de la session précédente. Interrogé sur les sempiternelles querelles, il a déclaré qu'il y a pire et que, dans certains parlements, on fait appel à la police pour résoudre les conflits entre les députés. En résumé, Rached Ghannouchi est satisfait de son rendement, parce que sa session serait (et je dis bien serait, au conditionnel) meilleure que la session précédente et que tant qu'il n'y a pas d'agressions physiques entre les députés et d'interventions policières, tout va bien madame la marquise. Interrogé ensuite sur les conflits au sein de son parti Ennahdha, Rached Ghannouchi a relativisé, indiquant qu'il y a toujours eu des différences de points de vue au sein du parti et que la seule chose qui le dérange est que ce soit étalé dans les médias. En résumé, au sein d'Ennahdha, on assiste à des démissions en cascade et à de longues tribunes critiques avertissant sur le coup d'Etat à venir au sein du parti et le monsieur parle de différences de points de vue ! Interrogé sur ses relations avec le président de la République et ses messages codés quant à l'existence d'antichambres, Rached Ghannouchi a déclaré avoir de bonnes relations avec Kaïs Saïed et qu'il ne se sent pas concerné par les propos présidentiels. En résumé, le président de la République peut multiplier les messages à souhait, Rached Ghannouchi a décidé de jouer aux sourds.
Pendant que nous, observateurs et médias, crions au scandale par rapport au cirque de l'ARP, Rached Ghannouchi regarde les choses calmement et relativise. Pendant que les dirigeants d'Ennahdha crient au scandale par rapport à ce qui se passe chez eux et par rapport à la volonté de leur président de briguer un autre mandat, Rached Ghannouchi regarde les choses calmement et relativise. Pendant que le président de la République multiplie les messages codés, Rached Ghannouchi regarde les choses calmement et relativise. A quoi joue Rached Ghannouchi et pourquoi est-il si calme ?
Rached Ghannouchi est un loup politique. Ceci est indéniable. L'Histoire le prouve, il a survécu à Habib Bourguiba, Zine El Abidine Ben Ali et Béji Caïd Essebsi. Stupide est celui qui le prendrait de haut ou penserait être plus intelligent que lui. Idiot est celui qui dirait qu'il a Ghannouchi dans la poche. Cette stratégie de la relativisation en dit long sur ce qui se trame dans sa tête. Si Rached Ghannouchi est satisfait de ce que l'on considère comme cirque et est satisfait de ses relations avec le président de la République, c'est que l'on n'a pas les mêmes repères et les mêmes objectifs que lui. C'est comme si nous étions en train de regarder le doigt pendant que lui était en train de viser la lune. C'est comme si nous ne vivions pas dans le même espace-temps que lui. Les propos de Rached Ghannouchi sont surréalistes et déconnectés de la réalité telle que nous la percevons. Il est, dans sa tête, à un niveau différent et supérieur. Il regarde ses adversaires de haut, c'est un fait. Ce que doivent faire ses adversaires, que ce soit ses propres pairs à Ennahdha, Abir Moussi ou bien Kaïs Saïed, c'est de se mettre à son niveau. Ils ne peuvent pas le battre tant qu'ils sont à un niveau différent que lui et parlent un autre langage que lui. Le monsieur vise plus haut que le perchoir du Bardo et c'est pour cela qu'il se permet ce ton méprisant. Ses adversaires devraient le savoir et aller le battre sur son terrain car pour lui, il est impensable d'aller se battre sur leur terrain à eux.
C'est une évidence, les tribunes des nahdhaouis dans les médias, les gesticulations de Abir et les messages codés de Saïed n'ont aucun effet sur lui. Au pire, ce sont de simples mouches qui l'agacent et qui ne vont pas l'empêcher d'atteindre l'objectif qu'il s'est lui-même fixé. Quel est cet objectif ? Personne ne lui a posé cette question à laquelle, de toute façon, il ne répondra jamais.