Il aura fallu douze jours à Najla Bouden pour donner la composition de son gouvernement issu du décret présidentiel 117 du 22 septembre. Un parcours mouvementé durant lequel elle a dû faire face au désistement d'un ministre et gérer les desiderata du président de la République et ses réserves sur certains noms. Mais au final, le gouvernement est là, avec plusieurs défis et quelques malformations. C'est en grande pompe que le gouvernement de Najla Bouden a été annoncé le 11 octobre 2021 au palais de Carthage. Un gouvernement composé de techniciens et d'administratifs dont les compétences, au moins théoriques, dans leurs champs d'activité, ne fait aucun doute. Il faut également relever une représentation féminine record avec 8 ministres et une secrétaire d'Etat, en comptant la cheffe de la formation, Najla Bouden. Il s'agit d'un fait historique, sans nul doute. Il ne fallait pas chercher de programme ou de plan d'action dans la courte allocution donnée par la nouvelle cheffe du gouvernement. Najla Bouden s'est contentée d'énoncer des principes généraux et des vœux pieux comme restaurer la confiance, redynamiser l'économie nationale ou améliorer le pouvoir d'achat. En termes de priorités, l'allocution de Najla Bouden n'est pas différente des discours-programmes prononcés devant la défunte Assemblée par Hichem Mechichi, Youssef Chahed ou Habib Essid. Toutefois, contrairement à ses prédécesseurs, la nouvelle locataire de la Kasbah sera débarrassée de toute ingérence ou perturbation politique qui pourrait nuire à son activité. Pour former son gouvernement, elle n'a pas eu à traiter avec les partis politiques ou à soigner les équilibres fragiles entre blocs parlementaires. Il fallait juste exécuter, au mieux, la volonté du président de la République. Comme édicté clairement par le décret présidentiel 117, le gouvernement n'a de comptes à rendre qu'au président de la République.
Mais ce confort apparent est sérieusement mis en péril par l'absence de prérogatives réelles aussi bien pour les ministres que pour leur cheffe, Najla Bouden. Toute l'équipe gouvernementale est chargée de l'exécution des plans et des orientations du président de la République. Leurs prérogatives ne comportent même pas les nominations à des postes administratifs. On ne peut même pas qualifier cette équipe de technocrates, ce sont plutôt des administratifs. Tel que les choses se présentent, on leur demandera de se contenter de signer les parapheurs, d'apposer leurs signatures sur des mutations et de gérer les affaires courantes. Par contre, les choix stratégiques de première importance pour toute réforme se feront, espérons-le, à Carthage. Mme Nemsia Boughdiri doit trouver près de 20 milliards de dinars pour boucler le budget de 2021, ceci ne se fera pas sans décision politique. Même chose pour une éventuelle réforme des caisses sociales ou pour la révision et le contrôle des circuits de distribution. La volonté politique pour aller de l'avant existe peut-être à Carthage, mais il est certain que ce n'est pas tributaire des ministres. Ils auront beau avoir la meilleure volonté du monde, ils ne pourront sortir de la chape présidentielle, avec tout ce que cela peut comporter comme risques.
D'abord, il est connu que le président de la République n'a pas fait preuve de grande tolérance par rapport à ses contradicteurs. Donc, il ne faudra pas prendre le risque de contredire ses projets ou ses paroles. Un ministre de la Santé qui viendrait expliquer au président que son idée de village sanitaire près de Kairouan n'a pas grand sens et qu'il existe des financements obtenus mais bloqués pour la construction d'un nouvel hôpital dans la même ville risque, au mieux, de ne pas être entendu. Ensuite, Kaïs Saïed adopte depuis des années un discours populiste basé sur l'idée que le peuple est volé et spolié. Il suffit donc de récupérer cet argent, que personne n'arrive à quantifier, pour que les choses aillent de mieux en mieux. Pourtant, les problèmes sont bien plus profonds que cela. Un plan de réformes crédible et capable de sortir le pays de l'ornière passe forcément par des mesures impopulaires relatives à la fonction publique, au système de retraites, à l'importation et autres. Kaïs Saïed assumera-t-il ces mesures impopulaires ? Kaïs Saïed prendra-t-il le risque de se mettre le peuple à dos, même si c'est pour le bien de ce dernier ? Le doute est permis.
Malgré les questions que peut soulever le manque de légitimité de ce gouvernement, il est clair, d'après les différentes réactions, qu'il part avec un a priori favorable. Les organisations nationales, par exemple, ont exprimé leur volonté de collaborer avec le gouvernement pour le bien de la Tunisie. Toutefois, ce sont des configurations que l'on a constaté avec l'avènement de chaque gouvernement, avec les résultats que l'on connait. La Tunisie n'a plus le temps, n'a plus le luxe de se détourner des réformes nécessaires. Si 'on admet que le courage de les mettre en place existe, en est-il de même de la volonté ? On ne pourra répondre à cette question que lorsque le plan de développement, en termes économique et social, du président de la République, sera dévoilé.