Dans le cadre de sa politique de passage en force et fidèle à l'approche bureaucratique symbole de l'administration tunisienne, le président de la République, Kaïs Saïed, a procédé à la création d'une structure composée de comités et d'experts afin de procéder à l'élaboration d'une nouvelle Constitution. Prenant à lui seul cette décision, le chef de l'Etat a estimé pouvoir organiser un dialogue national comme bon lui semble sans prendre en considération un éventuel refus de la part de la scène politique tunisienne. Kaïs Saïed a continué à s'isoler de plus en plus. Ce constat est facilement reflété par la liste lacunaire et insatisfaisante des personnes invitées à la première réunion du comité des affaires économiques et sociales relevant de la commission nationale consultative pour une nouvelle république. Seulement six partis politiques ont été officiellement invités à y assister. Il s'agit du mouvement Echaâb, le Courant populaire, Al Massar, la Tunisie en avant et le Militantisme national. Mis à part le fait que la majorité de ces partis est loin de représenter le peuple tunisien (pour ne pas dire une poignée d'entre eux !), on notera qu'Afek Tounes, parti présent dans toutes les assemblées élues depuis le 14 janvier 2011, a catégoriquement refusé de participer à ce simulacre de dialogue. Il a considéré que le débat était dépourvu de toute crédibilité. Le parti a critiqué la politique de fuite en avant du chef de l'Etat. La même position a été adoptée par le parti Al Massar. Quelques heures après la fuite de la liste des invités, Al Massar a critiqué l'absence d'une approche participative et la participation de partis politiques. On notera que plusieurs autres partis politiques avaient refusé dès l'annonce de l'entame d'un dialogue national de participer à ce processus tels qu'Attayar ou Ettakatol. Ces derniers avaient salué dans le passé l'annonce des mesures du 25 juillet. Pour ce qui est des personnalités publiques invitées au même événement, la liste compte une trentaine de noms dont Hatem Mliki (député et expert en démocratie participative), Soufiane Ben Farhat (journaliste) et Yosra Frawes (ancienne présidente de l'ATFD et directrice du bureau de la Fédération Internationale pour les Droits Humains pour le Maghreb et le Moyen-Orient) ont exprimé leur refus de participer à cette mascarade. Le premier a affirmé avoir découvert qu'il faisait partie des invités suite au fuitage de la liste. Il a expliqué son refus par son opposition à la démarche entreprise par le chef de l'Etat et au décret n°30. Yosra Frawes a, quant à elle, expliqué qu'elle refusait de participer à un processus portant atteinte aux droits des opposants et au service d'un dialogue cherchant à refléter une bonne image à l'étranger alors que son initiateur, Kaïs Saïed, était contre l'égalité dans l'héritage. Ben Farhat a, de son côté, décliné l'invitation pour deux raisons : la première étant le fait qu'il soit journaliste et qu'il désirait préserver son indépendance et éviter tout conflit d'intérêts. La seconde raison, d'après lui, est celle de l'absence de l'UGTT. A noter que le journaliste Mokhtar Khalfaoui, également invité à cette réunion, a opté pour une position assez atypique. Il a expliqué qu'il acceptait l'invitation et qu'il se rendra à Dar Dhiafa pour la première réunion du comité des affaires économiques et sociales mais n'y assistera plus. Il a considéré qu'il se devait par politesse de se présenter au rendez-vous et d'y assister, mais qu'il déclinera les prochaines invitations en raison de sa qualité de chargé de diriger la chaîne éducative relevant de la Télévision nationale. Le refus de la centrale syndicale de participer à ce dialogue ne date pas des dernières heures. L'annonce choc a eu lieu, le 13 mai 2022, suite à une réunion de l'instance administrative de l'UGTT. Les membres avaient voté à l'unanimité le refus de participer à un simulacre de dialogue. S'exprimant à ce sujet, le secrétaire général, Noureddine Taboubi avait appelé le président de la République à réviser ses positions. Il a critiqué le passage en force du chef de l'Etat. « Nous refusons de nous engager dans cette voie sombre où les règles du débat sont biaisées et ont été pensées de manière unilatérale et sans consultation aucune » a-t-il ajouté. D'un autre côté, plusieurs personnes et organisations ont accepté l'invitation. Une source proche a confirmé à Business News la participation de l'Utica. Son président, Samir Majoul, la représentera lors de cette réunion. La comédienne et dramaturge Leila Toubel participera également à la première réunion du comité des affaires économiques et sociales. Elle a annoncé, dans une publication Facebook, qu'elle avait accepté par amour de la Tunisie. Le chroniqueur Najib Dziri a également dit avoir été invité par Brahim Bouderbala à participer à la réunion du comité. Après son expérience des "gilets rouges" suivie de mois de "soutien" au président à la radio, il a obtenu sa récompense. Le bilan de la situation désastreuse relative au déroulement du dialogue national ne doit pas se limiter à l'étude des structures, des organisations et des personnes invitées à cette réunion. En plus des partis politiques écartés, le président et coordinateur de la commission nationale consultative pour une nouvelle république, Sadok Belaïd, semble avoir oublié ou négligé le rôle d'une entité essentielle au bon déroulement du dialogue et de son efficacité sur le court terme : le gouvernement de Najla Bouden ! Ainsi, aucun ministre, secrétaire d'Etat, chef de cabinet ou même chargé de mission n'a été convié à Dar Dhiafa le samedi 4 juin 2022. Un choix assez surprenant, puisque le gouvernement ne cesse de nous rappeler qu'il compte entamer des réformes profondes aussi bien économiques que sociales et donc touchant directement au quotidien des Tunisiens et ayant un caractère politique. « Mesures urgentes », « réformes structurelles » ou « nouveau mode de développement », ces slogans ont été scandés à maintes reprises par les ministres (et non-pas par la cheffe du gouvernement que nous n'avons presque jamais entendu parler). N'oublions pas que le gouvernement profite, aussi, de chaque passage médiatique pour nous rappeler l'entame de négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et un possible accord au sujet d'un vaste programme économique visant à sortir de la crise, crise faisant l'objet du dialogue national. D'ailleurs, la cheffe du gouvernement s'était entretenue, hier jeudi 2 juin 2022, avec le président de la République afin de lui présenter ce fameux programme. Il s'agit, selon un communiqué de la présidence de la République, d'un ensemble de solutions envisagées pour répondre aux attentes du peuple à cette étape. Sadok Belaïd ne semble pas s'intéresser à la chose même s'il avait déclaré que le comité des affaires économiques et sociales œuvrera pour l'élaboration des visions et de politiques économiques et sociales de la Tunisie. Le président de la République, lui-aussi, ne semble pas concerné par la participation du gouvernement aux débats et aux échanges. Il n'en a pas parlé avec son confident et partenaire. Ceci nous amène à nous poser plusieurs questions. Existe-t-il un vraiment un programme gouvernemental de réformes structurelles ? Le chef de l'Etat est-il en faveur d'un accord avec le FMI ? Que signifie l'absence du gouvernement au dialogue national ? Kaïs Saïed compterait le limoger prochainement ? On pourrait aussi considérer que le chef de l'Etat ne compte pas prendre aux sérieux les conclusions et les recommandations du comité des affaires économiques et sociales et que ces réunions ne serviront qu'à donner une bonne image de la Tunisie à l'étranger afin de garantir l'obtention de fonds et de prêts auprès des bailleurs de fonds et des institutions financières. Une autre composante à laquelle personne ne s'était intéressé dans le cadre du dialogue : la jeunesse tunisienne. Il n'y a ni organisation ni personnage public représentant les jeunes de la Tunisie au sein de la liste des invités. Ces derniers verront leur destin fixé par un ensemble d'experts considérant sûrement qu'ils sont les plus outillés pour opérer cela. Encore une fois, le pouvoir en place en Tunisie choisit la politique des mesures parachutées face à cette catégorie longtemps marginalisée. Pour rappel, la présidence de la République avait entravé l'initiative de dialogue de l'UGTT, présentée il y a plus d'un an, sous le prétexte de chercher une formule pour faire participer les jeunes. Le fait est que toutes ses incohérences démontrent encore une fois l'incapacité du chef de l'Etat et de ceux qui l'entourent d'organiser une simple réunion et un dialogue proprement et dans les règles de l'art. Il aura beau critiquer les ententes et les dialogues ayant eu lieu dans le passé. La Tunisie n'a jamais traversé une période aussi floue et n'a jamais vécu un tel désordre. La situation politique actuelle symbolise une normalisation avec le chaos et la discorde. Même en voulant s'entourer des quelques alliés, le chef de l'Etat et son sous-fifre n'ont pas su inviter et collaborer avec les bonnes personnes. Une situation qui nous rappelle encore une fois l'amateurisme politique et le manque de savoir-faire de celui qui s'est proclamé depuis le 25 juillet 2021 souverain ultime et maître des lieux.