Grosse pression sur le président de la République pour qu'il donne son feu vert au prêt du Fonds monétaire international (FMI). L'Italie fait des pieds et des mains, depuis des mois, pour que la Tunisie obtienne ce prêt. Sans succès. Elle ne désespère pas et envoie cette semaine sa présidente du conseil Giorgia Meloni. Avant sa visite, cette dernière a appelé au secours l'Union européenne et la France pour qu'ils tentent de convaincre un président tunisien bien atypique et têtu. Après l'échec des émissaires européens, Emmanuel Macron est entré en jeu ce week-end. Kaïs Saïed est resté droit dans ses bottes, il ne veut pas des réformes imposées par le FMI qu'il assimile à « des allumettes en feu se trouvant à côté de produits hautement explosifs ». En parallèle de tout cela, la Tunisie mène un double discours. L'un pour les partenaires internationaux et l'autre pour la consommation locale. Pour l'international, on présente une Loi de finances incluant les réformes et on envoie un ministre des Affaires étrangères dire que la Tunisie continue à négocier avec le FMI. Pour le local, le président jure ses grands dieux qu'il refuse tout appauvrissement du peuple et toute privatisation d'entreprise publique.
Sur la forme, d'abord, observons comment Kaïs Saïed joue sur les mots et manipule l'opinion publique. Une opinion bien crédule, soit dit en passant, et qui continue à croire en lui. Il dit que les réformes sont imposées par le FMI, alors que ceci est factuellement faux. Le FMI n'a jamais demandé la levée des compensations ou imposé des privatisations, il a juste dit qu'il faut que l'Etat réduise ses dépenses publiques. En mots plus simples, il faut que l'Etat dépense moins que ses recettes. Kaïs Saïed dit refuser tout diktat du FMI, alors que c'est son propre gouvernement qui a proposé les réformes. Sur le fond, le sujet n'est pas très complexe à expliquer. La Tunisie est au bord de la faillite et doit engager des réformes. Des réformes douloureuses, certes, mais on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. Quand un corps est cancéreux, il doit subir une opération chirurgicale et une chimiothérapie, il ne peut pas se suffire d'antalgiques. Point à la ligne. La situation actuelle n'est pas de la responsabilité de Kaïs Saïed, c'est indéniable. Les comptes publics ont été plombés par la sinistre troïka et les gouvernements suivants qui ont engagé l'Etat dans une série de recrutements massifs, d'augmentations salariales sans corrélation avec la productivité et d'une série de décisions populistes budgétivores. Le premier à avoir engagé la Tunisie avec le FMI est Moncef Marzouki et c'est lui, le premier, à blâmer. Ce sinistre président a fait énormément de mal au pays et on en paie encore le prix. Ce qui est fait est fait, Kaïs Saïed se doit de trouver une solution à cet épineux problème. Son gouvernement a imaginé une série de réformes et les a mises noir sur blanc dans les Lois de finances 2022 et 2023 et dans le dossier de prêt soumis au FMI. Il aurait pu imaginer d'autres types de réformes, mais ce sont celles-ci qu'il a imaginées, à savoir, la réduction de la compensation et le blocage de la masse salariale de l'Etat.
Kaïs Saïed, dans l'ensemble de ses discours, se présente comme un grand réformateur capable d'imaginer des solutions nouvelles, différentes de celles expérimentées jusque-là. À l'entendre, il a même des solutions pour l'Afrique et l'Humanité. Nonobstant le fait que l'Humanité a déjà expérimenté l'ensemble des solutions imaginables par le cerveau humain, Kaïs Saïed n'a rien fait de concret. Son gouvernement n'a fait que proposer des solutions identiques à celles imaginées par les gouvernements précédents. Si Kaïs Saïed était cohérent, il aurait limogé ce gouvernement qui entreprend une politique différente de la sienne. Passons. Pour justifier son refus des réformes soi-disant imposées par le FMI, le président de la République évoque la paix sociale. Il a peur de soulèvements populaires comme en 1978 et en 1984. Parenthèse en passant, il n'y a pas de paix sociale en ce moment en Tunisie, quoiqu'en pense le président. La Tunisie est en mode cocotte-minute présentement. Avec des dizaines de prisonniers politiques, détenus pour des motifs fallacieux, une justice aux ordres, une presse publique bâillonnée, une presse privée menacée, une inflation galopante, un chômage croissant, des pénuries répétitives de produits de première nécessité, on ne peut pas dire qu'il y a une paix sociale en Tunisie. Ensuite, il n'existe aucun peuple au monde qui accepte des réformes douloureuses. Il n'existe pas un seul réformateur au monde qui n'a pas sacrifié la paix sociale pour obtenir les réformes souhaitées. Le dernier en date, Emmanuel Macron qui a affronté, pendant des semaines, la rue pour faire passer sa réforme des retraites. Alors, quand Kaïs Saïed se présente comme réformateur, il se doit d'accepter les revers de sa mission. C'est soit il devient réformateur et qu'il accepte de ne pas être populaire ; soit il laisse les choses comme elles sont et il demeure populaire.
C'est pour ce second choix qu'a opté le président de la République. Il a opté pour la popularité et tout son discours est populiste. Il ne peut pas dire, décemment, qu'il est réformateur, il n'en est pas un. Il a rompu avec la démocratie pour faire revenir la Tunisie des décennies en arrière, il a mis en place des lois liberticides du siècle dernier, il a mis au pas la justice comme le ferait n'importe quel dictateur et n'a même pas appliqué ses propres décisions, comme la mise en place de la Cour constitutionnelle. Dans sa politique, Kaïs Saïed refait un mauvais remake du pire de ce qu'il y avait chez Bourguiba et Ben Ali. Son gouvernement adopte la même lignée que ses prédécesseurs de la décennie 2012-2022. Si on veut sauver la Tunisie, on doit adopter les réformes douloureuses, c'est inévitable. Vous ne voulez pas lever la compensation ? Soit. Licenciez tous ces recrutements faits en dehors des circuits ordinaires depuis 2011 ! Vous ne voulez pas réduire les dépenses publiques ? Soit. Vendez les entreprises publiques ! Mais vous ne pouvez pas tout avoir à la fois. Inévitablement, nécessairement, vous vous devez d'adopter un plan de réformes douloureux. Or Kaïs Saïed veut le beurre, l'argent du beurre et le « sourire » de la crémière. Il refuse toutes ces réformes, au nom de la paix sociale, juste pour rester populaire et garder confortablement son siège à Carthage. Il agit exactement comme l'ensemble des dictateurs du monde et de l'Histoire. Avec sa politique de « paix sociale coûte que coûte », Kaïs Saïed sacrifie les réformes dont a besoin la Tunisie et présentées par son propre gouvernement, juste pour être populaire et se ménager une réélection confortable en 2024.