La direction de l'UGTT est dans le collimateur des soutiens du régime. Depuis quelque temps déjà, on réclame les têtes de Taboubi et de ses camarades. Mais depuis samedi, on leur déclare ouvertement la guerre. Le secrétaire général de la centrale a donné un discours qui n'a pas plu et les syndicalistes présents avaient entonné des slogans très critiques envers le président de la République. Dès lors, la campagne de dénigrement contre les leaders syndicalistes est ravivée. Est-ce un indicateur sur imminente confrontation ? En cette Tunisie sous l'ère du 25-Juillet, un mécanisme singulier s'est installé. Pour saisir la direction du vent sur la scène politique et les prochaines « batailles » du pouvoir, il faut (malheureusement) suivre les pages et les « personnalités » inféodées au régime. C'est sur les réseaux sociaux, essentiellement Facebook, que ça se passe. C'est une armée bien rôdée qui mène le jeu. Les publications et les cibles de ces publications sont bien synchronisées. Elles suivent une stratégie aux objectifs bien limpides. Pour les néophytes, ceux qui ne suivent pas ce microcosme, ces assertions peuvent sembler exagérées. Il n'en est rien. C'est tout un monde sur Facebook. Une communauté d'ultras, fans invétérés du président de la République, qui ne manque aucune occasion pour le glorifier quelles que soient les circonstances. Une nuée d'explicateurs qui dézingue à chaque sortie présidentielle pour justifier un mot, la tournure d'une phrase, pour en décortiquer le sens etc. Ils soutiennent toutes les décisions du chef, encensées à longueur de journée. C'est surtout aussi, une communauté bien hargneuse qui enflamme tous ceux qui osent critiquer le Président et son processus. Ils mènent des campagnes bien ficelées pour s'attaquer aux « traitres, vermines » et autres appellations bien senties. Dénigrement, diffamation, désinformation, insultes… tout y passe. Tous les moyens sont bons pour défendre le régime et surtout la tête du régime. Des ministres, au petit responsable, personne ne garantit d'être épargné par l'essaim, sauf le Président l'est. Tel responsable, aux ordres, est porté aux nues, mais une fois limogé il est voué aux gémonies. Cet essaim cultive la vindicte populaire. Il pousse à l'extrême l'allégeance, allant jusqu'à salir et étaler la vie privée des gens dans l'impunité la plus totale. Le décret 54 ne s'applique pas à cette sphère. Sur ces pages, on peut trouver des informations confidentielles, les noms des personnes qui seront convoquées par la justice. On peut y apprendre l'arrestation imminente d'une personnalité avant même que celle-ci n'en ait eu connaissance. On trouve aussi des listes des gens dans le collimateur du pouvoir et ce qui leur est reproché… Surtout, comme on le disait, à chaque période une cabale orchestrée est lancée contre un adversaire. Ces campagnes se mènent sur des semaines à coup de publications effrénées, de partages massifs et de commentaires virulents. Les mêmes éléments de langage sont repris, les mêmes accusations et revendications. Rien de spontané. A chaque fois, il semble clair qu'un mot d'ordre a été donné. Soyez sûrs que si une campagne est lancée contre une personne, une corporation ou une organisation, cela sera suivi dans les semaines qui suivent par une réplique du régime. Ces campagnes préparent le terrain au pouvoir pour qu'il mène à bien ses actions. Donc, depuis quelque temps, l'UGTT est particulièrement visée. Il faut dire, qu'en dépit d'un relatif assagissement de sa direction, la puissante centrale syndicale demeure l'une des seules forces du pays à pouvoir représenter une menace. Cela fait de l'UGTT la cible principale du régime étant donné sa capacité à mobiliser ses bases. Il s'agit en effet de l'organisation la plus structurée du pays avec un pouvoir de nuisance et de blocage. A côté, d'autres organisations ou partis ne pèsent pratiquement pas. Dans l'histoire récente de la Tunisie, les pouvoirs en place et la centrale syndicale ont toujours joué à celui qui abattra ou apprivoisera l'autre. La neutralisation du pouvoir de nuisance de l'UGTT est ainsi une priorité pour le régime du 25-Juillet. Il ne déroge pas à la règle. Pourtant, la direction actuelle a choisi de faire, pour le moment, profil bas avec bien évidemment quelques sorties critiques. Il faudra rappeler dans ce sens l'initiative de dialogue lancée par l'UGTT avec d'autres organisations. Au point mort, cette initiative est en gestation depuis des mois, mais les parties pilotant la chose semblent être dans l'impasse. Et puis, Kaïs Saïed l'a dit et répété : il n'y aura pas dialogue.
Samedi dernier, Noureddine Taboubi avait envoyé des piques au président de la République : « Notre choix est le militantisme pacifique et civil conformément aux lois régissant le pays. Nous voulons un Etat de droit et d'institutions et non de controverses et de polémiques ! Un pays pour tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes ! Nous voulons un discours d'unité permettant de créer de la richesse », avait-il déclaré. Il a aussi insinué que la notion de souveraineté nationale « se limite à un simple slogan et que la véritable souveraineté devrait se traduire à travers des mesures concrètes permettant de faire de la Tunisie un pays respecté ». Autour de lui, les syndicalistes entonnaient en boucle des slogans hostiles « Kaïs Saïed espèce de lâche, l'UGTT ne peut être humiliée », criaient-ils. Cela a mis le feu aux poudres. La sphère zakafounisée n'en démord pas depuis, réclamant vengeance et à ce que le chef en finisse une bonne fois pour toutes avec le bureau de la centrale. On promet de divulguer des dossiers de corruption. On promet que le feu s'abattra sur Taboubi et ses camarades et qu'ils rejoindraient les autres traîtres à la Mornaguia. Des manœuvres se font en parallèle, comme cette initiative de syndicalistes transfuges (acquis au 25-Juillet) appelant au retrait du bureau exécutif de l'UGTT et à la mise en place d'un comité provisoire jusqu'à la tenue d'un congrès électif. On joue sur un différend interne autour de l'amendement du statut de l'organisation afin d'atteindre un bureau exécutif qui n'est pas dans les clous du pouvoir. In fine, la guerre éclatera, comme l'appellent de leurs souhaits les soutiens présidentiels. Les prémices de cette guerre, on peut déjà les constater à travers les poursuites judiciaires engagées par les différents ministres contre les syndicalistes. Plusieurs ont d'ailleurs été incarcérés. D'autres ont été licenciés ou ont vu leurs salaires gelés. Reste à savoir si le président de la République engagera ouvertement les hostilités, sachant qu'à travers l'histoire de la Tunisie les régimes qui se sont attaqués à la centrale en sont toujours sortis perdants. Féru d'Histoire, Kaïs Saïed ne peut l'ignorer.