Ramla Dahmani Accent, sœur de l'avocate Sonia Dahmani, livre un nouveau témoignage des conditions de détention inhumaines infligées à cette dernière. Sonia Dahmani est en prison depuis plus de six mois pour avoir commenté, dans une émission de télévision, le sort des migrants et la situation du pays. Le froid, toujours et encore. J'en parle chaque semaine, comme une litanie sans fin. J'en parle tant que les gens s'habituent, passent à autre chose et ne donnent même plus les miettes de soutien d'il y a quelques semaines. Mais si je continue à en parler, c'est parce qu'il est en train de tuer ma sœur. Vous qui me lisez, emmitouflés dans vos vêtements chauds, réchauffés par vos chauffages, vos estomacs remplis de nourriture chaude et réconfortante, rappelez-vous du calvaire de Sonia. Ce calvaire qu'elle subit, non pas en paiement d'un crime, mais parce qu'elle a osé dire quelques mots dans un pays où les mots sont devenus un crime. Alors ça y est. Ils ont réussi. Sonia a lâché. Elle ne se lève plus, elle ne se lave plus. Ces bourreaux sans visage, ces silhouettes glacées par la haine, ont obtenu ce qu'ils voulaient. Sonia, qui ne peut plus affronter l'eau glacée, a abandonné ce dernier refuge de dignité. Ses mains, fendues par le froid, se détournent. Ses doigts, gonflés et rouges de douleur, sont devenus étrangers à elle-même. Elle souffre de rhumatismes, une maladie qu'elle n'avait jamais connue. Ils ont transformé ses mains, autrefois habiles et pleines de vie, en instruments de douleur. Et chaque matin, l'eau glacée qu'elle ne peut plus toucher devient une torture qui l'humilie autant qu'elle la détruit. Le froid l'a dépossédée de tout : sa propreté, sa dignité, elle-même.
Sonia est enfermée dans une aile spéciale de la prison. Une prison dans la prison. Un bâtiment isolé, déserté, où seules quelques femmes croupissent, coupées du monde, à mourir lentement de froid, de solitude et de silence. Aucun bruit, aucune chaleur n'atteint cet endroit maudit. Chaque mur suinte la cruauté, chaque couloir glacé semble murmurer leur condamnation. Dans cette cellule, dans ce bâtiment conçu pour briser, Sonia meurt à petit feu. Chaque goutte d'eau glacée qui devrait laver son corps est devenue une lame invisible qui la déchire. Sonia n'est plus une femme, elle est devenue une proie. La saleté l'entoure : la gale, les poux... parce qu'ils l'ont voulu ainsi. Parce que son supplice les comble. Aujourd'hui, mon père est allé la voir. Séparé d'elle par une vitre impitoyable, il n'a pu que la regarder, impuissant, brisé par ce qu'il voyait : ses mains, déformées et meurtries par le froid ; ses traits tirés par l'épuisement. Il a vu ce que ces bourreaux ont fait de sa fille. Et il est ressorti plus brisé que jamais. Cet homme de 82 ans, qui se lève chaque matin pour continuer à travailler avec dignité, n'a rien pu faire pour la protéger. Rien, sauf porter le poids de son chagrin, en silence.
Sonia est venue au parloir, comme toujours accompagnée d'une gardienne. Une gardienne emmitouflée dans une grosse parka. Même elles, ces femmes qui exécutent les ordres, ne supportent plus ce froid glacial. Mais elles ont la satisfaction de pouvoir se réchauffer dans leurs manteaux. Sonia, elle, grelotte dans des vêtements sales, sur un corps sale. Faire sortir son linge pour le laver est un droit que la loi lui octroie. Mais ici, dans ce goulag dirigé par Madame la Générale, ce droit lui est retiré. Pourquoi ? Parce que cette femme en uniforme veut les voir plier. Elle veut voir Sonia et les autres femmes courbées devant des bassines d'eau glacée, lavant leur linge à mains nues dans l'humiliation et la souffrance. Sonia n'a plus la force. Ni pour laver son linge, ni pour laver son corps. Alors elle reste dans cette saleté imposée. Pas par choix, mais parce qu'ils l'ont voulu ainsi. Parce qu'ils prennent plaisir à la voir sombrer. Et la nourriture, froide elle aussi, devient une autre arme. Pas un repas chaud pour se réchauffer, pas un instant pour reprendre un semblant de vie. Tout est pensé pour briser, pour écraser, pour tuer à petit feu. Sonia meurt un peu plus chaque jour, pas seulement de froid, mais de tout ce que ce froid représente : leur haine, leur mépris, leur volonté de la réduire à rien. Elle est en colère. Colère contre ces hommes et ces femmes qui punissent, non pas un crime, mais un mot, une vérité, une femme libre. Mais Sonia ne crie plus. Elle n'a plus la force de crier. Elle ne peut plus. Elle survit chaque jour à la saleté, au froid, aux humiliations, mais elle ne vit plus. Ils ont voulu la briser, et ils y parviennent. Lentement, méthodiquement, ils détruisent tout ce qui faisait d'elle une battante, une âme libre. Alors, je demande : pourquoi ? Pourquoi Sonia n'a-t-elle pas droit à des gants ? Pourquoi n'a-t-elle pas droit à de l'eau chaude dans sa cellule, pour se laver, pour retrouver un peu de dignité ? Pourquoi la loi est-elle piétinée pour satisfaire la cruauté d'une femme ? Pourquoi Sonia, qui n'a commis aucun crime, doit-elle subir tout cela ?
Aujourd'hui, on voit des hommes et des femmes sortir des prisons de Bachar el-Assad. On pleure en voyant ces êtres meurtris, qui ont passé des années à subir la torture, enfin libérés alors que le dictateur est tombé. Parce que tous les dictateurs tombent un jour. Mais rappelez-vous qu'ici, dans nos prisons, la même chose se passe. Pas si loin de chez vous, une femme souffre. Des femmes souffrent. Des hommes et des femmes subissent la même souffrance que ces prisonniers syriens libérés aujourd'hui. Est-ce Madame la Générale ou est-ce ce pouvoir qui a décidé de tuer Sonia Dahmani ? C'est ma grande question. Mais qui que ce soit, le jour viendra où il faudra répondre aux questions et répondre de ses actes.
Vous me demanderez : pourquoi cette cruauté ? Parce que c'est leur arme. Parce qu'il ne s'agit pas de la punir, mais de la briser. Sonia, cette femme brillante, belle, insoumise, devait devenir autre chose. Une ombre. Une chose. Une prisonnière pliée par la saleté, le froid, la faim. Une femme réduite au silence. Ils ont réussi à la briser physiquement, mais ils ne pourront jamais effacer ce qu'elle est, ce qu'elle représente. Un jour, ceux qui l'ont condamnée devront expliquer pourquoi une femme innocente meurt de froid et de saleté dans leur enfer. Ce jour-là, il faudra regarder Sonia dans les yeux – s'il lui reste encore la force d'ouvrir les paupières. Ce jour-là, la justice reviendra. Et ce pouvoir, qui a fait de ma sœur une martyre, devra enfin rendre des comptes.
Mais aujourd'hui, Sonia a froid. Aujourd'hui, elle meurt de silence et de glace. Aujourd'hui, ma sœur est un cri que je hurle pour qu'il brise ce mur d'indifférence. Entendez-le. Ressentez-le. Et ne l'oubliez pas. N'oubliez pas Sonia. N'oubliez pas ce qu'ils lui font. Et n'oubliez jamais qu'un jour, ils devront payer. Ce n'est pas une menace, c'est une promesse.