Alya Bhiri, 21 ans, est morte à l'hôpital régional de Gafsa faute de 67 dinars. Son père, incapable de payer immédiatement, a dû la ramener chez lui avant de revenir le lendemain, trop tard. Quatre ans après le putsch de Kaïs Saïed, justifié par une scène similaire dans un hôpital de la région, la tragédie se répète. Alya Bhiri n'avait que 21 ans. Etudiante, pleine de vie, elle a succombé ce week-end à une péritonite avancée, conséquence directe d'une prise en charge hospitalière retardée. La cause ? Un détail administratif dérisoire : son carnet de soins n'était pas à jour. Dimanche 20 juillet, son état s'est brutalement aggravé. Son père l'a transportée d'urgence à l'hôpital régional de Gafsa. Mais à l'entrée, le personnel a refusé de l'admettre : sans mise à jour administrative de son carnet de sois ni règlement immédiat des frais – 67 dinars exactement –, aucun examen ne serait effectué. Le père a dû ramener sa fille à la maison, impuissant, avant de revenir le lendemain, une fois la régularisation faite. Quand Alya a enfin été admise, il était déjà trop tard. Diagnostiquée avec une péritonite, elle a attendu plusieurs heures avant d'être opérée, l'ingestion d'eau compliquant l'anesthésie. L'opération, longue de deux heures, s'est achevée sur un constat glaçant : la jeune femme était en état critique. Transférée en réanimation – un service notoirement sous-équipé –, elle est morte peu après, entre les bras de son père.
Colère et indignation à Gafsa Le drame a suscité un tollé immédiat à Gafsa et au-delà. La Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) a dénoncé une « violation flagrante du droit à la vie » et pointé un effondrement continu du système de santé publique, miné par des infrastructures délabrées, le manque de matériel et des promesses jamais tenues, comme celle de la construction d'un hôpital pluridisciplinaire.
La LTDH rappelle un principe fondamental : le droit à la santé ne souffre aucune entrave administrative. Et la loi elle-même le consacre. L'article 8 de la loi n° 32-2024 du 19 juin 2024, relative à l'organisation des établissements et services de santé, est explicite : « Pendant la prise en charge des cas urgents, les structures et établissements de santé accordent la priorité à la fourniture des services de santé nécessaires, tout en réglant ultérieurement les questions administratives et financières. » Autrement dit, Alya aurait dû être immédiatement admise. Le zèle bureaucratique qui l'a condamnée à mort n'est pas seulement une faute morale : c'est une violation directe de la loi.
Réaction tardive des autorités Depuis hier mercredi, jour de la médiatisation de l'affaire, le drame d'Alya Bhiri enflamme les réseaux sociaux et alimente une colère sans précédent. Des milliers de Tunisiens expriment leur indignation, partagent la photo de la jeune femme et réclament justice. À Gafsa, mais aussi dans d'autres régions, des appels à manifester devant les hôpitaux circulent, dénonçant un système de santé qui tue au lieu de sauver. Cette vague de colère a pris une telle ampleur qu'elle a fini par forcer la justice à réagir. Le ministère public n'a ordonné l'ouverture d'une enquête que jeudi 24 juillet, soit plusieurs jours après le décès, et uniquement après l'explosion de la polémique. Plus révoltant encore, c'est le silence des autres autorités qui choque l'opinion publique. Le ministère de la Santé, la direction de l'hôpital régional de Gafsa et la présidence de la République n'ont émis aucun commentaire. Ni communiqué, ni explication, ni même un mot de condoléances. Un silence jugé honteux par beaucoup, qui y voient la marque d'un pouvoir déconnecté et indifférent à la souffrance des citoyens.
Un échec politique cuisant Mais ce drame dépasse la simple erreur administrative. Il révèle l'échec politique d'un régime qui s'était justement construit sur la promesse de sauver des vies.
Mohamed Yousfi, journaliste et rédacteur en chef du journal d'investigation Al Katiba, le rappelle avec amertume : « le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed avait visité un hôpital de Gafsa, en pleine crise Covid. Il s'était dit bouleversé par la détresse des malades et avait juré, « seul devant Dieu », que cette scène l'avait poussé à déclencher ses mesures exceptionnelles. Quatre ans plus tard, presque jour pour jour, une jeune Tunisienne meurt dans la même région, victime du même système. Entre-temps, le président s'est arrogé tous les pouvoirs, muselé l'opposition, emprisonné les voix dissidentes et promis monts et merveilles. Résultat : une étudiante meurt pour 67 dinars, dans un hôpital sous-équipé, pendant qu'un ministre de la Santé – l'ancien directeur de la santé militaire du fameux 25 juillet – dirige un système verrouillé, sans contre-pouvoir ni reddition de comptes. »
Un symbole de l'échec du régime Le pouvoir a bâti sa légitimité sur une promesse : ne plus jamais voir mourir des Tunisiens faute de soins. Quatre ans plus tard, la mort d'Alya Bhiri n'est pas un accident : c'est un symbole, celui d'un système qui n'a rien changé, sinon pour concentrer le pouvoir entre les mains d'un seul homme. Le drame de Gafsa résume tout : un Etat plus prompt à emprisonner des journalistes et des opposants qu'à sauver une jeune femme de 21 ans, un ministère de la Santé silencieux, des hôpitaux qui refusent des patients en violation flagrante de la loi, et une présidence muette face à une colère nationale. La scène qui avait justifié le putsch se répète, mais cette fois, il n'y a plus d'"ancien régime" à accuser. Le drame d'Alya Bhiri porte un nom, un visage et une responsabilité : celle du régime actuel, celui de Kaïs Saïed. Coïncidence du calendrier, le drame a eu lieu quelques jours avant le 4e anniversaire du putsch.