Quatre ans jour pour jour après sa chute, l'ancien chef du gouvernement Hichem Mechichi a rompu son silence. Exilé à l'étranger depuis 2021, condamné à de lourdes peines dans des affaires jugées politiques, il signe une longue lettre publiée à l'occasion de la fête de la République. Une lettre au goût de justification tardive, dans laquelle il fustige le régime de Kaïs Saïed, tout en tentant de se dédouaner de ses propres errements.
Il aura fallu attendre le 25 juillet 2025 pour que Hichem Mechichi s'adresse enfin aux Tunisiens. Dans un long texte diffusé à l'occasion de la fête de la République, il affirme que la Tunisie a connu un putsch et accuse le président Kaïs Saïed d'avoir violé la Constitution, semé la haine, désintégré les institutions et perturbé la lutte contre le Covid. L'ancien chef du gouvernement explique son silence par un prétendu devoir de réserve. Il dit avoir voulu préserver l'image de l'Etat, malgré les campagnes de diffamation dont il aurait été la cible. Mais il ajoute qu'il ne peut plus se taire face aux atteintes à l'Etat de droit, à la répression des opposants et aux procès injustes. Il dénonce une instrumentalisation de l'administration, une purge silencieuse au profit de fidèles médiocres, un populisme ruineux, des slogans creux masquant l'endettement du pays, et un autoritarisme qui s'habille de vertus humanistes. Mechichi va plus loin encore en évoquant un projet de prise de pouvoir avorté de Kaïs Saïed bien avant le 25 juillet 2021, sans en dire davantage. Enfin, il appelle les forces démocratiques à s'unir pour sortir la Tunisie de l'impasse par un processus pacifique et institutionnel. Mais cette lettre suscite moins l'adhésion que l'étonnement. Car s'il se dit victime, c'est bien le même Mechichi qui, à la tête du gouvernement du 2 septembre 2020 au 25 juillet 2021, aura été l'un des principaux artisans de la déliquescence qu'il dénonce aujourd'hui.
L'homme de paille et le chaos Il y a quatre ans, un enregistrement fuité avait mis le feu aux poudres. On y entendait l'avocate et chroniqueuse Maya Ksouri suggérer à la présidence de la République de nommer Hichem Mechichi à la place d'Elyes Fakhfakh. Elle y décrivait un homme « pliable », un ministre de l'Intérieur « acquis à 100 % », un chef de gouvernement « presque homme de paille », qui permettrait au palais de « diriger les choses, par-derrière ». Plutôt que de répondre ou de se défendre, Hichem Mechichi avait gardé le silence. Un silence qui allait devenir sa marque de fabrique. Car le passif de Mechichi ne s'arrête pas à une nomination manipulée. S'il est resté moins d'un an en poste, il a laissé derrière lui des souvenirs tenaces. Et d'abord une gestion catastrophique du Covid, marquée par l'improvisation, la pénurie, l'absence de stratégie. Mais le plus grave reste sa compromission avec les islamistes radicaux. Il recevait régulièrement à la Kasbah les députés de l'alliance Al Karama, fer de lance d'un radicalisme parlementaire agressif. C'est ce même groupe qui a mené une descente à l'aéroport pour forcer le voyage d'une femme fichée S17, suspectée de terrorisme. Mechichi avait promis des sanctions contre ces agissements. Il n'a rien fait. Il aura fallu attendre son départ pour que la justice s'en charge. Lorsqu'un mandat de recherche a été émis contre le député islamiste radical Rached Khiari, connu pour ses outrances contre le président de la République, Mechichi a laissé faire. Pire, Khiari est revenu à l'Assemblée sans être inquiété, comme un pied de nez à l'Etat et au président de la République. Même inertie quand des députés ont été agressés physiquement par leurs collègues islamistes, dans un hémicycle transformé en arène. Théoriquement chef hiérarchique du ministre de la Justice, lui-même chef hiérarchique du Parquet, Mechichi n'a pas bronché. Quelques jours avant sa destitution, il s'apprêtait encore à céder aux pressions d'Ennahdha pour obtenir des réparations aux anciens prisonniers islamistes. Et puis, il y a l'essentiel, le pays était en ruine et il n'a rien fait pour le sauver, socialement, économiquement, politiquement. Pire, l'Etat était au bord de l'effondrement. Les Tunisiens ne le savaient que trop et ils le criaient haut et fort sur les réseaux sociaux et dans les médias et puis dans la rue, le matin du 25 juillet 2021, quelques heures avant que Kaïs Saïed ne leur parle de délivrance.
Le 25 juillet 2021, le péché originel Et puis vint le soir du 25 juillet 2021, moment du putsch présidentiel justifié par Kaïs Saïed par la situation d'urgence dans laquelle était le pays. Ce jour-là, Hichem Mechichi cumulait deux fonctions capitales : chef du gouvernement et ministre de l'Intérieur. Autrement dit, il avait entre ses mains tous les leviers de l'exécutif et de la sécurité intérieure. Alors que Kaïs Saïed annonçait son coup de force à la télévision nationale, que l'armée encerclait le Parlement et que les institutions basculaient dans l'illégalité, Mechichi restait invisible. Aucune déclaration. Aucun communiqué. Aucune apparition publique. Aucune instruction aux forces de l'ordre. Rien. Dans un moment où la Constitution était piétinée, où la République vacillait, il était de son devoir — institutionnel, juridique, moral — de défendre l'ordre légal. De rappeler que le président de la République n'a pas le droit de suspendre le Parlement ni de congédier un gouvernement sans suivre les procédures prévues par la Constitution. Il n'a rien fait. Et ce silence n'était pas seulement assourdissant : il était complice. Hichem Mechichi aurait pu — aurait dû — s'adresser aux Tunisiens, convoquer les institutions, appeler à l'application des lois. Il avait la légitimité constitutionnelle et l'autorité administrative. Il avait la police. Il avait l'appareil d'Etat. Il a choisi de ne pas s'en servir. Ce vide politique, cette abdication volontaire, a ouvert un boulevard à Kaïs Saïed. Le président n'a rencontré aucune résistance. Il n'a eu à forcer aucune porte. Il a simplement cueilli le pouvoir, laissé vacant. Et cet abandon, Hichem Mechichi l'a rendu possible. Il en porte une responsabilité historique, dont il ne s'est jamais vraiment expliqué. Depuis ce jour, Kaïs Saïed justifie son coup de force par l'état de décomposition de l'Etat à la veille du 25 juillet. Et il a raison : l'Etat était bel et bien en décomposition. Hichem Mechichi en était le principal artisan.
Pourquoi maintenant ? Alors pourquoi parler aujourd'hui ? Pourquoi cette lettre, quatre ans après ? Pourquoi n'a-t-il pas défendu son action à l'époque ? Pourquoi n'a-t-il pas dénoncé les condamnations iniques qu'il a subies, notamment celle de février 2025, où il a écopé de 35 ans de prison dans l'affaire Instalingo ? Pourquoi attendre que la peur du régime se dissipe pour enfin élever la voix ? Pourquoi tenter maintenant de revêtir les habits du résistant, après s'être dérobé sous ceux du responsable ? Il n'est jamais trop tard pour dire la vérité, mais il y a des silences qui disqualifient. Le mutisme de Hichem Mechichi, au moment où l'Histoire se jouait, l'a transformé en spectateur d'un effondrement qu'il avait lui-même amorcé. Sa lettre est peut-être sincère. Mais elle arrive après le déshonneur. Et après la chute. Car on ne réécrit pas l'histoire en s'adressant à elle une fois qu'elle s'est refermée. Hichem Mechichi tente aujourd'hui de redorer une image qu'il a lui-même ternie. Mais à force de se taire quand il fallait parler, il a perdu ce qu'aucun communiqué ne peut restaurer : la crédibilité.