Combien touche un chef d'entreprise ? La question est encore des plus taboues en Tunisie, mais elle ne tardera plus à être secrète. Dès l'année prochaine, et grâce au nouveau code des sociétés commerciales, on saura exactement qui gagne combien et où gagne-t-on le mieux. C'est important pour les actionnaires, notamment pour les plus petits. Une autre question relative aux ressources financières des dirigeants mérite qu'on en parle davantage, celle des jetons de présence alloués aux administrateurs. Ces jetons varient de zéro à des dizaines de milliers de dinars par an pour chaque membre du conseil d'administration. Sachant que les réunions de ce conseil dépassent rarement les quatre par an et ne durent que quelques heures, on constate rapidement que la minute de "travail" de chaque administrateur peut se chiffrer en milliers de dinars ! Les jetons de présence sont une rémunération accordée aux membres du conseil d'administration des sociétés anonymes. Cette rémunération est en principe partagée entre les administrateurs en fonction de l'assiduité à ces réunions. La somme globale est fixée par les actionnaires, lors d'une assemblée générale ordinaire. Que fait l'administrateur et quel est son rôle dans l'entreprise ? "La plupart ne font rien !", nous répond avec un sourire complice et qui en dit long, un intermédiaire en bourse. C'est caricatural. Bien sûr qu'ils font quelque chose. Du moins, on va dire ça comme ça ! En théorie, un administrateur est là pour chaque événement important touchant l'entreprise. Il est censé prendre part aux décisions qui impliquent l'avenir de la société et valider les choix du management. Légalement, le conseil d'administration se réunit au minimum une fois par an. En moyenne, et pour les grandes sociétés, notamment les banques, ce conseil se réunit quatre fois. On peut compter jusqu'à douze réunions parfois pour certaines entreprises à un moment de leur vie. C'est extrêmement rare. En pratique, les administrateurs ne font qu'approuver les choix du management et du directeur général (ou le PDG) en qui ils font généralement une totale confiance. Il est vrai que le travail du 1er responsable de l'exécutif est contrôlé de près par le commissaire aux comptes. Quant aux décisions, elles se prennent en comité par les cadres de l'entreprise et il n'y a généralement aucune raison à ce que le conseil d'administration les remette en question. Naturellement, il s'agit là du cas général. Souvent, des exceptions existent et les conseils d'administration peuvent se dérouler dans une ambiance houleuse où les choix de l'exécutif sont toujours discutés et/ou désapprouvés. Il arrive aussi que des administrateurs soient assis sur deux ou plusieurs chaises à la fois. Ils sont administrateurs dans la société X et dans des sociétés qui lui sont concurrentes ! Pour ce qui est de la rémunération des administrateurs, ces fameux jetons de présence, il n'y a aucune règle en la matière et cela peut varier de 500 à 50.000 dinars par personne. Et c'est légal ! "C'est à la discrétion du conseil", nous indique un analyste boursier. En fait, le montant est fixé par les membres du conseil d'administration qui le font approuver, ensuite, à l'assemblée générale. En d'autres termes, les administrateurs se fixent eux-mêmes leur "rente" et il est quasiment impossible qu'un actionnaire ayant vraiment du poids puisse désapprouver et faire changer le montant en AG. Pour en savoir davantage, et connaitre les montants exacts des jetons de présence alloués dans les plus grandes entreprises tunisiennes, nous nous sommes documentés dans les assemblées générales et auprès du Conseil du marché financier. Comme l'exige la loi, les jetons de présence doivent être approuvés par les résolutions de l'AG et ces documents sont publics. Les chiffres indiqués ci-dessous dans notre tableau ne sont donc pas secrets et nous ne sommes pas allés fouiner dans un coffre-fort pour les présenter aux lecteurs de Business News. Nous présentons uniquement les montants globaux avec une moyenne pour chaque administrateur. A préciser que les montants sont parfois présentés en brut, parfois en net, mais nous sommes dans l'incapacité de faire la distinction, d'après les documents publics en notre possession. Nous avons essayé, cependant, d'en savoir davantage auprès de quelques administrateurs. Interrogé sur les 68.000 dinars alloués aux 8 membres du conseil d'administration de la Sotetel (8.500 dinars/an par personne en moyenne), alors que celle-ci est déficitaire, Montassar Ouaïli, président du conseil a répondu à l'issue de l'AG, que ce montant ne couvre qu'une partie des efforts monstres et du travail titanesque réalisé par ces administrateurs pour sauver l'entreprise et lui trouver un bon business plan. D'autres administrateurs préfèrent ne pas être rémunérés si leur entreprise est déficitaire. C'est le cas de l'Union Internationale de banques. « C'est un choix que nous avons fait, nous répond Kamel Néji, DG de l'UIB, tant que la banque est déficitaire ». « Et les Français de la Société Générale ont accepté ? » « Oui, ils ont accepté ! C'est bien plus qu'une banque », nous répond-il ! Du côté d'Attijari Bank, Hassen Bertal nous indique que le montant global n'est servi qu'aux non-salariés. En d'autres termes, lui qui est DG et administrateur, ne touche pas les 3.000 dinars indiqués dans notre tableau. C'est la règle chez Attijariwafa Bank, maison mère d'Attijari Bank. Un autre DG qui ne touche pas de jetons de présence : Slaheddine Ladjimi de la BIAT. La banque alloue le plus gros montant de jetons de présence en Tunisie, mais celui-ci ne va naturellement qu'aux administrateurs et M. Ladjimi n'en fait pas partie. Un autre cas, celui d'ARTES, qui a alloué le très "pauvre" montant de 3.500 dinars à ses sept administrateurs, soit 500 dinars/an par administrateur en moyenne. « Nous ne sommes pas gourmands et nous pensons à la pérennité de l'entreprise », nous répond Mohamed Riahi, administrateur à ARTES et dans d'autres sociétés également. Il va même jusqu'à nous avouer qu'il va faire don de ces 500 dinars à une association de bienfaisance. On notera dans la foulée que les administrateurs des sociétés étatiques ne touchent pas les montants accordés (5.000 généralement) et doivent les reverser dans un fonds spécial. Mais ces "petits" montants sont loin d'être la règle. Ailleurs, dans d'autres banques et sociétés, les montants alloués sont nettement supérieurs. La BIAT occupe le haut du pavé avec 450.000 dinars octroyés à ses 12 administrateurs, soit 37.500 dinars par personne. Mais cela ne veut pas dire que l'administrateur de la BIAT est le mieux rémunéré dans le pays en jetons de présence. Cette fort enviable position est détenue par les administrateurs de l'UBCI qui touchent 47.655 dinars par personne en moyenne. Ils sont en effet huit à se partager les 381.238 dinars de jetons de présence alloués cette année. On notera, cependant, que parmi les administrateurs de l'UBCI, figurent plusieurs étrangers et le montant leur est nécessaire pour couvrir frais de déplacements et d'hébergement. C'est l'argument brandi, une fois, par un administrateur de l'ATB (où l'on touche 31.000 dinars en brut par personne) qui a souligné que le montant ne couvre même pas ses frais. Cela étant, il est bon de rappeler que ces jetons ne sont qu'un complément à un salaire ou à une pension de retraite dans un pays où le SMIG est de 200 dinars. Il est également bon de rappeler que plusieurs administrateurs en Tunisie sont des retraités du privé ou de la fonction publique. Ces jetons peuvent, du coup, être considérés comme une sorte de parachute doré offert pour leurs bons et loyaux services. Cela devrait inciter nos jeunes à choisir la voie de la création d'entreprise et de pénétrer le monde des affaires, plutôt que de choisir une "planque". Planque pour planque, il vaut mieux choisir celle en or Nizar BAHLOUL (avec Imen NOUIRA)