La Tunisie vit, depuis quelque temps, à l'heure et au rythme de plus en plus accéléré, des procès et des interrogatoires après une période de tâtonnements et de lenteurs, reconnus par la masse populaire, les représentants des partis et même par le Premier ministre du gouvernement provisoire qui répondait à une question des journalistes dans ce sens. Mais depuis, qu'est-ce qu'on a eu ? Un procès en première instance et en appel contre Imed Trabelsi, un autres procès à l'encontre de l'ancien président et de son épouse pour des affaires de droit commun et de nombreux interrogatoires menés par les juges d'instruction à l'encontre de nombreux anciens hauts responsables dont notamment des ministres, des PDG et des directeurs de la Télévision tunisienne. Certains ont été incarcérés, mais beaucoup d'autres ont été laissés en état de liberté. Et les juges ont sûrement leurs raisons pour justifier leurs décisions et on leur fait entière confiance à une étape où la magistrature retrouve, théoriquement et officiellement, son indépendance. Toutefois, plusieurs points d'interrogations et des zones d'ombre sont évoqués par des juristes et des spécialistes au sein même de la corporation de la magistrature quant à la conduite de l'instruction des « affaires » par les juges. Des juges du Tribunal administratif de Tunis viennent de donner leurs avis, publiés par le journal Echourouq dans sa livraison du vendredi 24 juin 2011. Ils y mentionnent les difficultés à dresser les preuves matérielles concernant les malversations commises par les membres de la « famille ». Ils remettent, également en cause les procédures de confiscation des biens des dizaines de personnes dans le sens où la provenance illicite présumée de ces biens n'est pas, toujours, avérée par des preuves tangibles. S'il est vrai que ces malversations sont connues et avérées de notoriété publique, la justice, assurent ces magistrats, ne devrait baser ses décisions que sur les documents et des preuves palpables. C'est dans ce sens que la Fédération internationale des droits de l'Homme, la LTDH et le CNLT ont rendu public un communiqué dans lequel tout en « saluant la condamnation de l'ancien président Ben Ali et de son épouse, ils déplorent que le procès ne se soit pas déroulé dans des conditions sereines et irréprochables ».Ces mêmes associations ajoutent que « les dispositions du droit pénal tunisien interdisant aux avocats d'un accusé jugé par contumace, bien que présents à l'audience, de plaider pour la défense de leur client, nuisent à la crédibilité de la justice tunisienne et devraient être, par conséquent, abrogées ». Concernant, toujours, le procès intenté à Ben Ali et à son épouse, des juristes font remarquer que la cour s'est fondée sur les « trouvailles montrées à la télévision par la Commission d'enquête sur les malversations et la corruption ». Or, comment les juges pouvaient-ils agir ainsi alors qu'ils ne reconnaissent pas l'existence légale de ladite commission ?! Pour le procès d'Imed Trabelsi, nombreux sont ceux qui s'interrogent sur les éléments ayant amené la Cour à rendre un tel verdict de 2 ans puis de 4 ans de prison ferme. En effet, selon les dispositions des textes de loi en vigueur, la peine maximale pour détention et consommation de drogue est d'un an de prison. Il n'est nullement, dans notre intention de défendre Imed Trabelsi dont tout le monde connaît les méfaits et les actes de banditisme. Autrement dit, les magistrats auraient pu le juger pour d'autres affaires, autrement plus graves et qui le feraient condamner, sûrement, à des dizaines d'années de prison. Cela veut-il dire que l'instruction n'a rien trouvé encore à la charge de cet accusé ? Ce serait un motif peu convaincant, car tout le monde sait qu'une enquête minutieuse devrait aboutir à des résultats tangibles. Les citoyens s'interrogent, aussi, sur le black out imposé au dossier d'Ali Seriati, pourtant arrêté depuis le 14 janvier 2011 et auquel ont été adressés de nombreux chefs d'accusation. Les cinq mois et demi sont-ils insuffisants pour achever son interrogatoire et le traduire devant une cour de justice ? De même, Abdelaziz Ben Dhia, Abdelwahab Abdallah et Abdallah Kallel ont été entendus par le juge d'instruction et incarcérés depuis le11 mars 2011, mais on n'en a eu aucune nouvelle depuis. Leurs avocats, assurent que leurs dossiers, auxquels ils ont eu accès, ne contiennent pas de preuves matérielles ou des documents à charge. Me Sassi Ben Halima l'a même écrit sur les colonnes de journaux de la place. Et pourtant la justice officielle n'y a opposé aucune réaction. La série des derniers interrogatoires menés par les juges d'instruction a été saluée par tous, mais là encore on ne comprend pas les critères qui servent à arrêter certains et laisser d'autres en état de liberté. L'exemple le plus édifiant est le cas de Mohamed Fehri Chelbi, ex-directeur général de la télévision tunisienne qui a été emprisonné alors qu'une unanimité s'est dégagée pour dire qu'il est le moins fautif et le moins corrompu de tous ceux qui se sont succédé à la tête de cette entreprise. D'autre part, les critiques virulentes et la décision de faire grève par les magistrats pour protester contre l'approbation par le gouvernement de la loi organisant la profession d'avocat sont critiquées dans la mesure où les magistrats, non seulement prennent position mais s'impliquent dans une affaire où ils ne sont pas partie prenante. La justice est indépendante et sereine et ses décisions sont souveraines. La justice reflètera le degré de la bonne marche des affaires en Tunisie. Une Tunisie que tout le monde regarde, plus particulièrement à l'étranger à qui nous devons adresser des signaux positifs et rassurant quant à l'équité de notre magistrature. Accusée de lenteurs, la justice ne devrait pas tomber ni dans le populisme, ni dans le politique. Une justice indépendante et équitable est appelée à rester au dessus de toute mêlée afin de préserver sa crédibilité et son objectivité.