Par Neila Charchour Hachicha* Telle est l'expression utilisée par l'élu de la nation Mohamed Brahmi lors de la visite que je lui ai rendue au sein de l'ANC à l'occasion de la grève de la faim qu'il a entamée avec d'autres collègues pour tirer une sonnette d'alarme auprès d'un gouvernement sourd aux critiques et aux revendications de ceux qui l'ont élu. A l'écoute de cette expression, espoir et désolation se sont bousculés en moi. L'espoir d'une Tunisie nouvelle défendue par ses enfants qui ne sont plus dupes des méthodes de maquillage et de trucage que l'on essaie d'infliger à notre démocratie naissante, et désolation de voir qu'après l'élection d'une assemblée constituante souveraine, qu'un élu soit tenu de passer par une grève de la faim pour se faire entendre par ses pairs. Cela m'a ramenée au souvenir de la grève de la faim du 18 octobre 2005 et des visites que je rendais à Néjib Chebbi sous le très haut contrôle policier de l'époque*. Une époque que l'on croyait désormais révolue. Or il est utile, pour demeurer pondéré dans ses jugements, de garder à l'esprit que la chute d'un dictateur, ne se traduit pas automatiquement par la chute du système dictatorial, qui lui, nécessite le temps de l'évolution des mentalités et, partant de là, le temps de la réforme des procédures et des procédés employés pour gérer les relations entre les électeurs et leurs élus. Si l'on ne cesse aujourd'hui de nous bassiner avec les théories démocratiques, en pratique la mentalité dictatoriale est encore tellement bien ancrée dans la plupart des esprits, que toutes les théories démocratiques demeurent notions virtuelles et slogans creux avec lesquels l'ont tente de manipuler tout un peuple. C'est d'autant plus compréhensible qu'aucun de tous ceux qui se trouvent aujourd'hui au pouvoir n'a été à l'origine de la chute du dictateur ni n'a même prévu cette chute un jour. N'étant point les instigateurs de la révolution, nos élus ne sont de fait que les bénéficiaires d'une situation qui s'est offerte à eux par miracle. « Démocratie jetable » est par conséquent le qualificatif qui sied le mieux aux pratiques et procédés que nous observons depuis les élections du 23 octobre. En effet, l'ANC qui est sensée être une assemblée souveraine et l'unique institution détenant légitimement tous les pouvoirs, se trouve être une fois élue prise en otage par un parti au pouvoir qui s'en sert de la manière la plus méprisante qui soit, comme d'un simple instrument de validation sous prétexte de majorité. Une majorité qui manque effroyablement de légitimité et traduit bien évidemment cette faiblesse par des procédés dictatoriaux. Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, nous a d'ailleurs subtilement fait savoir que tous les ministres passaient tous les jours par le bureau de Rached Ghanouchi avant de se rendre à leur bureau. Encore une désagréable impression de déjà vu … Alors qu'en réalité tous les ministres devraient assumer leurs responsabilités et n'avoir de compte à rendre qu'aux élus de la nation au sein de l'ANC, seule et unique instance dont ils tirent leur légitimité. Aujourd'hui tout le monde se focalise sur la date du 23 Octobre comme étant la date qui marque la fin de cette légitimité. A mon sens, l'Assemblée étant souveraine, elle peut et doit s'octroyer le temps nécessaire pour finir sereinement la rédaction d'une constitution digne de ce nom et du moment historique que nous traversons afin de quitter le statut de sujet et nous élever irréversiblement au statut de citoyen auxquel les responsables doivent rendre compte et répondre de leur choix et de leurs actes. Et c'est précisément dans cet esprit que l'Assemblée se doit de profiter de cette date pour établir un bilan sur les performances et les manquements du gouvernement afin de décider de son maintien ou de sa dissolution. L'Assemblée n'étant tributaire de personne, elle se doit en cette période critique de reprendre sa souveraineté en main pour éviter les risques de grandes turbulences que peuvent causer les mécontents. Ne cessant d'attendre des positions et des solutions qui n'arrivent pas encore, nos jeunes, pacifistes mais désabusés, ont repris, au risque de leurs vies, le chemin de la Méditerranée, signant par cet acte le constat d'échec d'un parti au pouvoir qui pratique une « démocratie jetable » tant dénoncée par l'honorable Mohamed Brahmi. Soutenons-le. Soutenons nos élus démocrates !! *J'informe, entre parenthèse, que le système de sécurité au sein de l'ANC est désormais sous le contrôle de la sécurité présidentielle, la sécurité ordinaire ayant été considérée comme étant incapable de l'assurer.