Au cours des derniers jours, la Troïka a commencé à montrer des signes de faiblesse politique ainsi que les prémisses d'une dislocation. Bien que réfutant la fin de la légitimité au 23 octobre 2012 et refusant officiellement de s'asseoir à la même table que ceux qui le lui rappellent, la Troïka a fini par céder à la pression politique et annoncer sa feuille de route de toute urgence près d'une semaine avant la date que Ghannouchi avait initialement annoncée, à savoir le 18 octobre 2012 et, fait important, environ trois jours avant la tenue du Dialogue National auquel l'UGTT avait appelé et qui voit la participation de plus de quarante partis et plus de soixante dix associations et personnalités politiques indépendantes. Cette feuille de route, tant attendue, est venue en temps opportun pour rassurer, un tant soit peu le peuple et donner plus de visibilité quant au programme de l'Assemblée Nationale Constituante au cours des prochains mois. Cette feuille de route comporte un ensemble de concessions d'une part et d'autre parmi les membres de la Troïka. Il y est fait mention de la date prévisionnelle des élections, de l'Instance Indépendante des élections et de la reconduction de Kamel Jendoubi à sa tête, etc. Fait notable, Ennahdha est revenue sur le régime politique qu'elle préconisait, un régime parlementaire où le Premier ministre avait tous les pouvoirs et où le président de la République, dénué de tout pouvoir, était désigné par le parlement, pour proposer un régime mixte à la portugaise, où le président de la République bien qu'ayant peu de pouvoirs, est élu au suffrage direct en deux tours. Même si cela ne correspond pas tout à fait à ce que demandaient tous les autres partis, hors Ennahdha, le changement de position et l'acceptation de l'élection du président de la République au suffrage direct est d'une importance capitale et montre l'importance du poids de l'opposition et de la pression politique que peut jouer la société civile et à sa tête l'UGTT ; cela même si certains sont tentés de considérer que la Troïka, en annonçant sa feuille de route avant la tenue du Dialogue National initié par l'UGTT, a coupé l'herbe sous les pieds de l'UGTT. En réalité, il faut voir le timing de la publication de cette feuille de route et son contenu comme une faiblesse de la part de la Troïka et non comme une force. La lecture de cette feuille de route, en se basant sur les positions initiales de chacune des parties de la Troïka, montre qu'elle n'est autre que le PGCD, Plus Grand Commun Diviseur, des positions de chacun où chaque partie a fait le minimum de concessions. Cependant, force est de constater, que chacune des parties de la Troïka envisage le futur à sa manière et surtout d'une manière indépendante et que chacune des parties, se basant sur les résultats des derniers sondages et de ses propres appréciations de la scène politique, se projette dans le futur et agit en conséquence. Chacune des parties étant aujourd'hui prête à défendre sa position concernant la feuille de route d'une manière indépendante et à « faire des concessions » en fonction de ses intérêts propres et indépendamment de la position des autres membres de la Troïka. Ainsi, et voulant développer sa notoriété qui fond comme neige au soleil, Ettakatol a préféré participer à la Conférence de l'UGTT alors que les autres membres de la Troïka ont officiellement décidé de boycotter l'évènement. Même Moncef Marzouki, qui a pensé à un certain moment ne pas participer, est finalement venu et a prononcé son mot d'ouverture, car cela risquait de lui coûter cher, très cher. En effet, en s'absentant, il n'aurait pas fait la part des choses entre la position de son parti (même s'il en a officiellement démissionné) et son rôle de Président de la République, président de tous les Tunisiens, en plus du fait que son absence signifierait qu'il n'est pas pour un Dialogue national et la recherche du consensus, ce que la rue n'aurait pas apprécié. D'un autre côté, le CPR, dont Moncef Marzouki sera le candidat aux prochaines présidentielles, est prêt à revenir sur la position de la Troïka pour que plus de prérogatives soient accordées au président de la République dans la future Constitution. D'ailleurs, le porte-parole du CPR, sur Express FM, a bien mentionné que la position du CPR concernant les prérogatives du président de la République était plus proche de la vision des partis de l'opposition que de celle d'Ennahdha. Ainsi, la feuille de route de la Troïka n'est pas sa position tranchée, mais une base de discussion, un point de départ. Dans les négociations, la première position annoncée est en réalité un point de départ, le SMIG en termes de concessions et non la position finale. Ce n'est qu'un premier niveau de concessions que la Troïka est prête à concéder et d'autres concessions suivront en fonction de la capacité de négociation de chacune des parties, aussi bien l'opposition que les membres de la Troïka car ce n'est que maintenant que chacun va commencer à défendre sa propre position, d'une manière indépendante.