Après des semaines de tergiversations et de déclarations incendiaires, le dialogue national a pu débuter le 5 octobre 2013 sous l'égide des organisations de la société civile tunisienne. Son démarrage ne s'est pas fait de la meilleure des manières et il a fallu négocier jusqu'aux derniers instants avec les représentants de la Troïka. Même si le début du dialogue est une bonne nouvelle pour une Tunisie en crise, son issue est, pour le moins, incertaine. La crise politique, causée par l'assassinat de Mohamed Brahmi, a été désastreuse pour le pays, au niveau sécuritaire, économique et social. Conscients de la nécessité d'y mettre un terme, l'UGTT, l'UTICA, l'Ordre des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, devenues plus tard les organisations parrainant le dialogue, ont tenté de rapprocher les points de vue. Toutefois, la crise s'est éternisée et les positions se sont durcies entre défenseurs de la légitimité (la Troïka au pouvoir) et opposition réclamant le départ du gouvernement et la dissolution de l'ANC. Cette cristallisation de la crise et ce durcissement des positions ont compliqué, davantage, la tâche des organisations parrainant le dialogue à tel point que ce dernier est devenu un objectif en soi et l'on considère aujourd'hui le début des tractations comme une victoire. C'est dire qu'il faudra être vigilant car la crise risque de ne pas être résolue. Les partis de la Troïka, principalement Ennahdha, ont géré la situation en Tunisie en usant de ruse, de manœuvres et de perfidie. Depuis le début de la crise, les représentants de la Troïka ont alterné un discours d'une extrême violence, par moments, et d'une grande souplesse, en d'autres circonstances. Rappelons que le parti islamiste a réussi à gagner du temps en faisant estomper la colère populaire, et ce en évoquant son adhésion à l'initiative du quartette alors que l'on parlait d'application de feuille de route. Le déroulement de cette crise et sa gestion par les différents partis politiques a eu pour principal effet la rupture de confiance entre l'opposition et la Troïka. Ce qui a poussé l'opposition à exiger la signature, par la Troïka, de la feuille de route dans le but d'éviter toute rétractation de sa part. C'est d'ailleurs cette demande, lors de la première séance du dialogue national, qui a fait planer le doute, plusieurs heures durant, sur la tenue même de cette réunion. Cette absence totale de confiance entre les protagonistes risque de rendre les négociations plus difficiles. Ajoutons à cela le refus de signer la feuille de route par certains partis, dont le CPR qui, en dépit d'une capacité de mobilisation et d'une crédibilité devenues anecdotiques, ont un pouvoir de nuisance, ne serait ce que médiatique, ce qui pourrait perturber le déroulement d'un dialogue national déjà fragile. La feuille de route proposée par le quartette, signée par la grande majorité des partis, stipule, entre autres, que le gouvernement devra quitter ses fonctions dans un délai maximal de trois semaines. Cette dernière proposition a retenu l'attention des médias et des hommes politiques. Les uns parlant du supposé « vide » qu'ils laisseront derrière eux, les autres de la nécessité de virer un gouvernement manifestement incompétent. Une autre proposition de la feuille de route stipule que l'Assemblée nationale constituante devra clôturer ses travaux dans un délai de quatre semaines, y compris l'élection des membres de l'Instance supérieure indépendante des élections, et ce dans un délai d'une semaine. Une échéance qui suscite bien des polémiques ! En effet, le tribunal administratif a décidé de mettre un terme aux travaux de la commission parlementaire chargée de l'élection des membres de la nouvelle ISIE parce qu'ils ont été émaillés par des irrégularités liées, notamment, au barème utilisé. Par conséquent, les travaux de ladite commission sont renvoyés aux calendes grecques. L'ANC va-t-elle passer outre cette décision ou bien va-t-elle s'y conformer avec le risque de ne pas honorer les délais spécifiés dans la feuille de route du quartette ? Quelle que soit la décision prise, le dialogue national risque d'être encore plus fragilisé, soit en faisant fi d'une décision de justice, soit en dépassant le délai d'une semaine fixé préalablement. En tout état de cause, la disposition relevant de l'élection d'une nouvelle ISIE risque fort de ne pas être respectée. Par ailleurs, des difficultés semblent se profiler à l'horizon pour le dialogue national. L'ordre de priorité d'application des différentes dispositions de la feuille de route paraît déjà être un point de discorde entre les divers protagonistes. Alors que l'opposition semble attachée à la démission immédiate du gouvernement, la Troïka au pouvoir ne cesse de répéter qu'il n'est pas question de lâcher les rênes du pouvoir tant que la mission constitutionnelle de l'Assemblée n'est pas achevée. Ceci risque de rendre encore plus difficile la mission de conciliation des organisations parrainant le dialogue national sachant que l'opposition reste très attachée à la nécessité de démission du gouvernement ayant cédé, auparavant, sur la dissolution de l'ANC. Quant aux membres de la Troïka, plus particulièrement Ennahdha, ils n'accepteraient pas d'être éjectés aussi facilement de leurs sièges de pouvoir, ne serait ce que parce que les prochaines échéances électorales approchent. Il est bon de noter que la feuille de route du quartette a royalement ignoré la présidence de la République. Sans doute pour éviter de compliquer davantage les choses, le quartette a choisi d'exclure cette question, aussi bien du contenu de la feuille de route que du dialogue en lui-même, ce qui montre à quel point le poste de président de la République est décrédibilisé et isolé des réalités du pays. Autre point important, en accordant un délai de quatre semaines à l'ANC pour finaliser ses travaux, on permet, par là même, à tous ses membres de conclure deux ans d'exercice en tant que députés. Ceci leur donne droit à une pension de retraite conséquente, la retraite d'un député...