Pour étonnant que cela puisse paraître, des diagnostics de la situation fusent dans tous les sens sans que pour autant leurs auteurs n'esquissent le début de solutions « plausibles » que l'on attend normalement d'eux. Plus exactement la solution majoritairement avancée consisterait à changer de gouvernement et à amender accessoirement quelque peu la loi de finances et le budget qui l'accompagne en attendant des élections générales qui « résoudraient tout ». Un peu court tout de même, pour ne pas dire une dangereuse chimère. La conscience collective du moment est d'humeur incantatoire. Le maître-mot est en effet: « Sauver ce qui peut l'être encore ». Ce ton alarmiste aux limites du catastrophisme donne-t-il la juste mesure de l'imminence de certains dangers, ou plus simplement donne-t-il cette impression fugace (mais qui n'en serait pas moins vraie) d'un renvoi, à plus tard, d'hypothétiques solutions. Le tout masquerait provisoirement l'incapacité à imaginer ce que pourrait être demain gouverner. A preuves, certains vont jusqu'à dire que les salaires de fin d'année ne seraient plus assurés. Excessif et improbable, le pays n'est tout de même pas un état subsaharien. Mais que l'on ne se méprenne pas, je ne partage nullement les tenants et les aboutissants de cette folle fuite en avant dans laquelle nous entrainent les locataires du pouvoir du moment. Alors la vraie question qui se pose est: Que pourrait faire un gouvernement provisoire dont la durée de vie n'excéderait pas 9 ou 12 mois ? Enrayer ou juguler l'inflation ? Impossible. Limiter ou stopper la dérive récessive de notre monnaie ? Un vœu pieux. Faire des économies et réduire le train de vie de l'Etat ? Improbable ! Endiguer et contenir le déficit extérieur ? Même pas en rêve, comme disent les jeunes. Stopper l'emballement de la dette extérieure ? Trop douloureux. Freiner et maîtriser les subventions à la consommation des ménages ? Un peu, mais pas trop s'en faut, les citoyens risqueraient de voir rouge. Initier et enclencher de nouvelles mesures en faveur de la création d'emplois ? Pur délire. Selon toutes vraisemblances seulement une ou deux de ces lancinantes questions pourraient connaître un semblant de réponse, mais réponse éminemment partielle, et ce dans le meilleur des cas ; autrement dit, dans un contexte d'apaisement. Or rien n'est moins sûr ! Autant dire qu'il ne faut donc s'attendre à aucun miracle et pour dire les choses crûment, pas même une embellie ! C'est du moins notre pronostic. Explicitons quelque peu le pourquoi des choses ? Les raisons en sont nombreuses et ne peuvent être détaillées dans l'espace qui nous est imparti. Deux faits objectifs risquent d'entraver une sortie par le haut, deux phénomènes largement inconscients et involontaires qui tourmentent le corps social. Tout d'abord, la déliquescence avancée de l'Etat et le délitement de ses appareils. Bien que ne disposant d'aucune statistique ou donnée fiable, il ressort par recoupement de diverses sources que l'efficience des structures centrales comme périphériques de l'Etat (ce que l'on nomme aussi rendement collectif ou efficacité générale) a considérablement régressé par rapport à ce qu'elle a pu être, y compris lors des premiers jours de la révolution. Frustrations, lassitudes, pertes de repères, les qualificatifs manquent pour caractériser ce qu'il conviendrait d'appeler la nouvelle apathie administrative. Une sorte de grève du zèle bureaucratique ou de désobéissance passive. Nouvelles procédures incomprises ou non acceptées, lenteur d'application due au retour en force des postures tatillonnes (chicanes du petit gradé). Phénomène passager et éphémère, probablement pas tant le « mal être » s'est diffusé dans toute la société et pas seulement à ses plus bas étages. Le nouveau gouvernement devra composer avec cette nouvelle donne ! Le second handicap majeur à tout changement réel et profond, ou du moins perçu comme tel, réside dans l'extraordinaire prolifération de l'économie informelle qui gangrène jour après jour le moindre espace de production ou de transaction licite. La difficulté tient pour l'essentiel au fait que cette nébuleuse est tout autant économie de contrebande que économie de survie. Cela est insuffisamment dit lorsque l'on a pour seul horizon et en ligne de mire que le seul marchand ambulant. Aussi tarir les sources de ces petits trafics supposerait de s'attaquer aux grands (qui expliquent pour une part la recrudescence de l'inflation). Une gageure hors de portée. Le phénomène a filtré dans les moindres commissures des structures de l'Etat (en haut comme en bas) et a pénétré profondément tout le corps social. Rien donc de défaitiste dans le propos. Une simple alerte qui se résume dans la formule lapidaire : qu'il va encore falloir donner du temps au temps. *Hédi Sraieb, Docteur d'Etat en économie