En cette saison chaude et malgré les différentes campagnes et les opérations de porte à porte exhortant les citoyens au vote, les Tunisiens continuent à être frileux quant aux prochains scrutins et face à la politique en général. Les taux d'inscription aux listes de l'ISIE sont faibles et dénotent un manque d'engouement pour les prochaines élections. Le désenchantement électoral frappe même certains parmi les inscrits de manière volontaire pour les élections du 23 octobre. Les signes de désintérêt sont criants et présagent une forte abstention dans les élections de novembre prochain, abstention ressentie, d'ailleurs, dans les derniers sondages. Dans les rues de Tunis, Business News a recueilli les avis et impressions des abstentionnistes. Un micro-trottoir du symptôme d'abstention électorale révélant, à la fois, déception, paresse, confusion et carence en conscience citoyenne. Parole aux abstentionnistes ! Ahmed, 29 ans, chômeur, motive son désir d'abstention par l'inutilité du vote : «Qu'est ce que voter m'apportera de mieux ? Un travail ? Certainement pas ! Vous allez me taxer d'égoïste ou dire que je manque d'implication dans la vie nationale, libre à vous, cela ne me dérange pas. Mais sachez bien que je ne suis pas plus égoïste que les autres qui ont choisi de voter non pas pour le bien de la patrie mais simplement parce qu'ils n'aiment pas se faire gouverner par des barbus comme c'est le cas pour certains ou qu'ils ne supportent pas que des personnes laïques soient au pouvoir, pour d'autres. Au final, je voudrais dire que chacun agit selon un mobile qui lui est propre», a-t-il expliqué. Dans la même rue, nous avons rencontré un deuxième abstentionniste. Fadi, 24 ans, étudiant, a décidé de ne plus refaire l'expérience de l'isoloir. «Le jour du dernier scrutin, j'ai passé trois heures dans la queue, sous un soleil de plomb. Dans l'école où j'ai voté il n'y avait ni abri pour se protéger contre les rayons de soleil ni chaise pour se reposer. Si les gens avaient accepté d'endurer ces conditions, c'est parce que l'événement était inédit et valait vraiment le coup. Maintenant, comme ce sont les deuxièmes élections, voter est devenu moins à la mode et les gens sont moins enthousiastes», a-t-il lâché avant de laisser son compagnon réagir. « Les élections ont perdu beaucoup de leur charme. Il faut penser à d'autres méthodes plus chouettes et plus osées pour gagner l'intérêt des électeurs. Je propose de lancer le concours du meilleur selfie dans l'isoloir. C'est farfelu, mais je pense que c'est un bon remède au désintérêt des gens », dit celui-ci en ironisant. Devant la sortie d'un supermarché, Sarra, 28 ans, avoue qu'elle n'ira pas voter par fainéantise et aussi parce qu'elle ne s'y connait pas en politique. « D'abord, ce n'est pas ma tasse de thé. De plus, je ne comprends rien à la politique et puis pour moi tout ce qui est dit par les partis c'est des paroles qui n'ont jamais été suivies d'actes », a-t-elle justifié. Mounir, 32 ans, qui travaille dans une multinationale, rejoint Sarra sur ce point : « Aucun parti n'est digne de confiance. Ce sont des menteurs qui mentent à longueur de temps. Citez-moi un seul qui soit honnête et applique ses promesses ? Il est un adage qui dit « un homme averti ne se fait pas piéger deux fois ». J'ai été piégé une fois en votant pour Ettakatol qui a longuement promis et juré de ne pas s'allier avec les islamistes… pas besoin de terminer car vous devez connaître la suite. Voilà pourquoi je ne veux plus recommencer», a-t-il dit. Et d'ajouter « De toute manière, dans un an je partirai vivre au Canada. Je serai donc moins concerné par ce qui se passe en Tunisie ». Voyant un passant dire non, en hochant la tête, à un jeune qui distribuait des dépliants de l'ISIE, nous avons été à sa rencontre pour en savoir davantage sur cette réaction. Mahmoud, 65 ans, instituteur à la retraite, dit qu'il boycottera les élections parce qu'il pense qu'aucun candidat ne mérite de gagner. «Si je me décide à voter ce sera pour choisir le moins mauvais parmi les pires ! Ce qui n'est pas évident, car comment peut-on distinguer le moins mauvais candidat dans ce monde de politiques qui se ressemblent. D'apparence, ils sont différents par leurs cravates et costumes et plus rarement par leurs discours, mais sur le fond ils partagent la même médiocrité. On les voit se déchirer et se dénigrer sur les plateaux, mais on ne les entend pas parler de programmes et de solutions. La façon dont ils se comportent prouve que nous avons affaire à des affamés de pouvoir et d'argent», a-t-il dit sur un ton excédé. A la question de savoir pourquoi il ne voterait pas blanc au lieu de voter nul, Mahmoud nous répond « Vous me dites cela comme si vous pensiez vraiment que cette classe politique est attentive aux messages en provenance des Tunisiens ou qu'elle culpabiliserait si le nombre de bulletins blancs était élevé ? Détrompez-vous ! Ils s'en moquent ». Hédia, professeure, dit qu'elle s'abstiendra de voter, car aucun politique n'est à la taille des ambitions des Tunisiens. Elle les range tous dans le même panier. « J'avais cru qu'en se débarrassant de la Troïka, la situation s'améliorerait nettement et le pays irait mieux, mais visiblement mon appréciation n'était pas bonne. Même en demandant le peu : nettoyer les rues et nous débarrasser des sacs d'ordures qu'on croise à chaque mètre, la tâche s'avère trop difficile pour nos technocrates. Et c'est pareil pour les autres qu'on n'a pas encore essayé. Ils sont tous capables de rien, sauf faire leur spectacle devant les caméras », a-t-elle déclaré. En conclusion, les citoyens sont déçus des politiques et les politiques sont déçus des citoyens abstentionnistes. Loin de régler le problème, l'abstention risque de l'aggraver. En se désistant de son devoir électoral, le citoyen encourage l'impunité politique et prive de récompense ceux qui méritent. Quant aux politiciens, une leçon est à tirer : la confiance est comme un château de sable difficile à construire mais facile à détruire.