Il y a quinze ans, presque jour pour jour, mourrait Habib Bourguiba à Monastir. C'était le 6 avril 2000, que le « combattant suprême » livrait son dernier combat et mourut à 96 ans. Charles de Gaulle disait de lui : « Ce Bourguiba a ceci de commun avec moi : le courage de prendre rendez-vous avec l'Histoire ». Et il est vrai que le premier président de la République tunisienne a marqué l'histoire de son pays et du monde. La Tunisie ne saurait qu'être reconnaissante à l'un de ses plus grands bâtisseurs en la personne de Habib Bourguiba. Après avoir livré un combat acharné pour obtenir la libération du pays du joug colonialiste, Habib Bourguiba s'est attelé à la tâche de construire un pays, de construire une nation. Comme il le disait lui-même en 1973 : « D'une poussière d'individus, d'un magma de tribus, de sous tribus, tous courbés sous le joug de la résignation et du fatalisme, j'ai fait un peuple de citoyens ». Ce ne fût pas une tâche facile. Cet accomplissement est passé par ses deux grandes réformes phares : la généralisation de l'enseignement et sa gratuité et la vote du code du statut personnel qui a libéré la femme tunisienne. Bourguiba a réussi une performance importante qui n'a jamais pu être réitérée par ses successeurs : incarner son pays et établir une relation, presque familiale, avec la majorité de ses compatriotes. C'est l'hommage qui lui avait rendu Bertrand Delanoë quand il inaugurait l'esplanade Habib Bourguiba à Paris : "Bourguiba a été la Tunisie, il a incarné sa naissance, sa souveraineté, son développement. Aujourd'hui, en ce jour anniversaire de sa mort, c'est donc à cet homme d'Etat d'exception que Paris rend hommage. Parce qu'il fut l'un des acteurs majeurs du siècle dernier ; parce qu'il sut éviter une cruelle tragédie dans notre histoire commune ; parce que nous lui devons les liens amicaux, fraternels et pacifiques institués entre nos peuples ; parce que les Tunisiens, au sein de notre communauté parisienne, apportent une richesse précieuse à l'identité de notre ville, il nous revenait d'inscrire son nom dans la mémoire collective de notre cité. Paris l'honore aujourd'hui, et, au-delà, marque son profond attachement à la Tunisie, à son peuple, à son avenir". Habib Bourguiba a su marquer l'Histoire de son empreinte et la Tunisie lui doit énormément. La Tunisie doit à son premier président des décennies de développement et de modernisation. Cette politique mise en place par Bourguiba a permis à la Tunisie de surpasser, pendant plusieurs années, ses voisins arabes et africains dans différents domaines de développement humain : santé, éducation, emploi et bien d'autres domaines. Cette avance a placé la Tunisie dans une position intermédiaire entre ses voisins du sud et ceux du nord. Ce rapprochement a permis à la Tunisie d'établir des relations prospères aussi bien au niveau diplomatique que commercial avec ses voisins européens. Relations dont la Tunisie continue à bénéficier jusqu'à ce jour. La diplomatie était l'un des prés carrés préférés de l'ancien président, Habib Bourguiba. Il a su donner une vision à la diplomatie tunisienne et un positionnement privilégiant la neutralité. Certains anciens diplomates tunisiens racontent cette période en donnant pour exemple les votes de l'ONU. A l'époque, plusieurs pays, dont des pays africains et arabes, attendaient de connaitre la position tunisienne sur tel ou tel sujet avant de prendre une décision et de s'aligner sur la position tunisienne. On se rappellera également de l'abstention américaine lors d'un vote devant sanctionner Israël à l'ONU, suite aux bombardements effectués en territoire tunisien. Ce fût la seule et unique fois où les Etats-Unis d'Amérique s'étaient contentées d'une abstention lors d'un vote concernant leur principal allié. Cette période était l'âge d'or de la diplomatie tunisienne car la voix de la Tunisie était portée par ses succès sur le plan interne et externe. C'est une politique qui n'a pas su être réitérée à la suite de la révolution tunisienne. La diplomatie tunisienne n'a pas su mettre à profit le formidable élan de sympathie qu'il y a eu post 14-janvier. Pour en revenir à Bourguiba, on se rappellera du discours du président tunisien prononcé à Jericho le 3 mars 1965. Ce discours lui avait attiré les foudres du leader égyptien Jamal Abdennasser et avait marqué le début d'une longue période de froid entre les deux pôles du monde arabe à cette époque. Dans ce discours, Habib Bourguiba avait exhorté les Palestiniens à accepter les frontières correspondantes à la légalité internationale. Ceci avait été interprété par les puissances arabes comme étant une concession intolérable sur le droit à la terre des Palestiniens. Près de cinquante ans plus tard, beaucoup s'accordent à dire que les Palestiniens auraient dû écouter Bourguiba à cette époque. Que penserait Bourguiba de la situation actuelle de notre pays ? Vaste question. Durant les trente ans qu'il a passé au pouvoir, Habib Bourguiba a su faire réaliser un bond à la Tunisie en la modernisant et en réinventant sa législation. Mais il faut dire qu'à cette époque, il avait les mains libres pour engager et concrétiser toutes les réformes entreprises. Son sens politique, sa détermination et son érudition ont fait partie de ses meilleurs arguments. Aujourd'hui, le contexte n'est plus le même et les contraintes sont nombreuses et plus compliquées. Mais on peut, sans prendre de risque, supposer que Habib Bourguiba prononcerait correctement le nom du président français et ne se ferait pas apprendre le protocole par un principe du Qatar.