Près de deux ans et demi après l'assassinat du martyr Chokri Belaïd, perpétré le 6 février 2013 à Tunis, le procès vient d'être entamé, aujourd'hui 30 juin 2015 au Palais de Justice de Tunis, au milieu de mesures sécuritaires draconiennes. Enfin ! Trente personnes, dont 26 en état d'arrestation, devaient comparaître devant la Cour, alors que quatre sont jugés par contumace. Mais ironie du sort, cette affaire de meurtre sera examinée sans la présence des assassins. Même ceux qui se trouvent derrière l'assassinat ou ceux qui l'ont commandité, planifié ou financé ne sont pas présents.
Pour revenir au déroulement du procès, notons qu'il s'est déroulé, dans une première du genre, dans le hall du premier étage du Tribunal de première instance de Tunis en présence de près de trois cents avocats, d'un grand nombre de journalistes représentants les médias nationaux et internationaux ainsi que des représentants de la société civile.
D'entrée, les avocats de la Défense ont demandé le report de l'audience étant donné le manque de conditions favorables pour la tenue du procès. D'autre part, un certain nombre d'accusés ont refusé de quitter les geôles du Tribunal pour comparaître devant la Cour. Seuls quatre d'entre eux ont accepté de se présenter devant les juges. Il s'agit de Mohamed Amine Guesmi, Kaïs Machela, Malek Ayari et Seif Eddine Arfaoui. Quant aux raisons de ce refus de comparaître, elles ont trait, selon la défense des accusés, d'abord, à « l'agression subie au moment de leur sortie de la voiture de la prison pour être conduits aux lieux de garde à vue dans les locaux du Tribunal, selon leurs propres dires et, ensuite, lorsqu'ils ont appris que le procès va être ouvert au public, ce qu'ils n'admettent pas… ». En tout état de cause et après les premiers échanges d'usage, la séance a été levée pour permettre la remise des doléances du comité de la défense de chaque partie, alors que le ministère public a demandé le rejet de toute demande de libération provisoire.
A mentionner, toutefois, qu'au moment du démarrage du procès, les sympathisants du Front Populaire (FP) ont demandé à enquêter avec le dirigeant du mouvement Ennahdha, Ali Laârayedh, sur les circonstances de l'assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du parti des patriotes démocrates unifié, étant donné que celui-ci occupait le poste de ministre de l'Intérieur au moment de l'assassinat.
Les partisans du FP ont pointé du doigt, en effet, lors d'un sit-in devant le Palais de Justice, le président du mouvement Ennahdha comme étant « l'instigateur de l'assassinat de Belaïd » réclamant la levée du voile sur les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Le Front populaire avait invité, lundi, ses sympathisants à venir nombreux mardi devant le Tribunal de première instance de Tunis à l'occasion de l'ouverture du procès de l'affaire Chokri Belaïd pour « témoigner de leur attachement à connaître la vérité et traduire en justice tous ceux qui sont derrière l'assassinat, indépendamment de leur appartenance politique et de leurs statuts ». En ce même jour d'ouverture du procès, Hamma Hammami, porte-parole officiel d'Al Jabha, a tenu à exprimer son amertume dans la mesure où après 2 ans et 5 mois de l'assassinat, ce procès intervient tardivement. «Pour nous, ce qui a entravé l'enquête, ce ne sont pas les détails techniques, mais des facteurs politiques, notamment sous les gouvernements de la Troïka, où il y a eu beaucoup de blocages dans l'avancement de cette enquête. Cela est visible lorsqu'on lit la décision de la Chambre des mises en accusation et celle de la Cour de cassation, on comprend que l'enquête n'a pas été réalisée de la façon requise qui permettrait de découvrir la vérité», a-t-il argumenté. Or, a-t-il martelé : « Ceux qui ont planifié, commandité et financé cet ignoble assassinat ne sont pas encore connus » avant d'ajouter qu'en Tunisie, on s'est habitué, que ce soit sous l'ère de Bourguiba ou Ben Ali, à ce que les procès politiques se fassent en été, lorsque les Tunisiens ne sont plus concentrés sur ce genre de sujets, en espérant que ce procès soit retardé à la nouvelle année judicaire, pour qu'il se déroule dans de meilleures conditions vu qu'il intéresse le peuple tunisien et l'opinion publique mondiale. La veille, Ali Kalthoum, membre du Comité de défense dans l'affaire du martyr Chokri Belaïd, a indiqué que l'affaire a connu une grande évolution en attendant que la partie qui a planifié et financé l'assassinat soit traduite devant la Cour.
Il a, par ailleurs accusé « Ennahdha d'être derrière cet assassinat », considérant qu'il s'agit « d'un mouvement terroriste, qui soutient le terrorisme, et dont la présence en tant que parti politique est une grosse erreur ».
S'agissant des déclarations d'Ali Laârayedh, accusant le Front populaire de cacher la vérité sur l'assassinat de Chokri Belaïd et de pointer le doigt au hasard vers Ennahdha, M. Ali Kalthoum a déclaré que « M. Laârayedh a oublié qu'il est accusé dans cette affaire et que son immunité ne lui servira à rien car la vérité éclatera un jour ».
Autre petit détail, mais d'importance, en marge de ce procès, est ce communiqué rendu public, aujourd'hui même mardi 30 juin, par le parti du Congrès pour la République (CPR) concernant le fait que Samir Ben Amor ait choisi de défendre les accusés dans l'affaire du meurtre de Chokri Belaïd. Le parti précise, dans ce communiqué, que Samir Ben Amor ne fait plus partie du bureau politique et qu'il n'a pas informé les structures du parti de sa volonté d'être avocat de la défense dans cette affaire « malgré la prédominance de l'aspect politique de cette affaire ». Le CPR exprime son étonnement par rapport à la décision de Samir Ben Amor et par rapport à «ce que porte cette décision comme signification politique en contradiction avec la ligne du parti ». Le CPR exprime, toutefois, son respect au droit de Samir Ben Amor de choisir les affaires dans lesquelles il veut plaider.
L'impression générale, qui prévaut après cette première journée de procès, est qu'elle a été fort mouvementée et qu'elle laisse augurer un déroulement de procès très chaud, voire à rebondissements. A l'heure actuelle, le procès a été reporté au 30 octobre 2015.