A l'actualité cette semaine, un double attentat le 12 novembre à Beyrouth qui a fait 44 morts et 200 blessés et une série d'attentats à Paris qui a fait plus de 130 morts et 200 blessés. Le point commun entre les deux attentats, Daech, dont les tentacules ne s'arrêtent plus au Moyen-Orient et à l'Afrique du Nord. L'une de ces tentacules a frappé Paris, une autre a frappé Beyrouth et une autre a égorgé un jeune berger de 16 ans, vendredi 13 quelques heures avant les attentats français, du côté de Jelma, au centre de la Tunisie. Pire qu'un égorgement, c'est une décapitation qu'a subi ce berger dont la tête a été mise dans un morceau de tissu pour être envoyée à sa mère, une veuve malvoyante. Son crime est d'avoir collaboré avec l'armée dans la guerre menée contre les terroristes enfouis dans les montages. Pendant ce temps-là, toujours dans l'actualité, le combat de coqs à Nidaa se poursuit, l'opposition continue à brasser du vent tandis que le gouvernement fait la course pour rattraper ses erreurs devenues innombrables.
De Beyrouth à Paris en passant par Jelma, Daech s'est donc bien fait entendre ce week-end. Ses revendications, que l'on connait déjà, sont désormais connues par les jeunes occidentaux. A entendre les différentes analyses des médias français, on constate qu'ils sont en train de reprendre, ce week-end, quasiment les mêmes phrases que l'on prononçait, depuis 2011 en Tunisie, et dans les années 90 en Algérie. En théorie, Daech est un groupe terroriste international qui veut instaurer, par la terreur, la chariâa islamique et éradiquer un certain mode de vie occidental à leurs yeux perverti. En réalité, Daech est une mentalité qu'on retrouve chez les citoyens et les politiciens de nos contrées, y compris chez ceux qui se font financer ou accueillir par les Occidentaux. Les frappes ont touché le Stade de France et le sport est une occupation impie. Ceux qui ont vécu les horreurs algériennes des années 90 se rappellent encore des discours des intégristes du GIA contre le foot. Le Bataclan abritant un concert de rock, l'autre cible des terroristes, représente la musique, l'art et la culture qui sont, aux yeux des adeptes de Daech, le symbole de la décadence. Et puis, il y a ces cafés et restaurants où filles et garçons, hommes et femmes, peuvent se mélanger pour boire, manger et s'amuser. Aux yeux des terroristes, tout ceci symbolise la débauche. Ce mode de vie, où l'on trouve le sport, l'art, la culture, la gastronomie, la mixité est à leurs yeux un sacrilège. Pour un jeune Français, et pour tout occidental, ce mode de vie est ce qu'il y a de plus normal et ordinaire et on ne se voit pas vivre autrement. Pour un grand nombre d'arabes, et de musulmans vivant dans leur pays, ce mode de vie est un objectif. Si les Africains émigrent en Europe essentiellement pour des raisons d'ordre économique, il n'en est pas de même pour un bon nombre de ressortissants de pays musulmans qui veulent vivre à l'occidentale et échapper à la prison à ciel ouvert qui leur est imposée par les doctrines religieuses et culturelles islamiques radicales.
Des millions de Français et d'occidentaux ont découvert Daech ce week-end. Mais Daech n'est pas né ce week-end ou ces dernières années, les ressortissants des pays musulmans le connaissent depuis des décennies. Et, depuis des décennies, ils ne cessent d'avertir leurs « amis » occidentaux des dangers de cet esprit Daechien. En guise de réponse, on leur a dit : « vous êtes dictateurs, vous êtes contre les Droits de l'Homme, vous êtes contre la liberté des islamistes de vivre comme ils l'entendent ». L'équation qui n'a jamais été comprise par nos amis occidentaux est que les islamistes ne cherchent pas à vivre comme ils l'entendent seulement, ils cherchent à imposer à toute la société leur mode de vie.
Mais il n'y a pas que la préservation du mode de vie arabo-musulman de la « perversion » occidentale qui anime les terroristes et leurs sympathisants. Il y a également une réalité du terrain que l'on ne peut pas occulter. Dans plusieurs médias arabo-musulmans et dans les réseaux sociaux, nombreux étaient les contributeurs (même parmi ceux vivant à Paris) qui multipliaient les posts pour justifier l'horreur des actes terroristes. A les entendre, la France mérite ce qu'elle a eu, parce qu'elle a semé la terreur en Syrie, en Libye, en Irak, en Centrafrique, au Mali et ailleurs. La France est en grande partie responsable du chaos que vit actuellement la Libye. A les entendre, le sang musulman est coulé par l'armée française et il est tout à fait normal qu'il y ait de pareilles réactions. « L'horreur appelle l'horreur ». Ils trouvent même indigne que l'on s'indigne pour le sang français, alors que l'on ne s'est pas indigné pour le sang musulman qui coule actuellement en Syrie et ailleurs. Cette symétrie est insupportable pour tout lecteur occidental, comme l'a relevé Pierre Haski dans Rue89, mais elle trouve un large écho favorable dans nos pays du Sud. La France combat avec une armée régulière et conventionnée, ses ennemis de Daech la combattent comme ils peuvent. Rien ne les oblige à adopter les conventions de guerre internationales pour répondre à l'armée française. La France va jusqu'à Daech pour frapper là où elle veut avec des Mirage et des drones, Daech va jusqu'à la France pour frapper là où il veut aussi. Dans nos pays du sud, on est arrivé, le plus naturellement du monde, à considérer ces assassins barbares comme des guerriers et c'est là le piège que Daech nous tend en tentant de faire croire qu'ils sont de bons soldats de l'islam répliquant à l'ennemi avec le « peu de moyens » dont ils disposent. Cette rhétorique djiahdiste est non seulement un piège, mais elle est également dangereuse, car elle nous éloigne de notre humanisme naturel en nous faisant ingurgiter l'horreur comme étant quelque chose d'ordinaire.
Pourquoi cette rhétorique de dire que la France paie pour ses méfaits est-elle un piège ? Parce que les terroristes de Daech n'ont pas frappé que la France. Ils ont frappé partout, au Liban, en Libye, en Egypte et en Tunisie. Le sang déversé dans les attentats du Bardo et de Sousse n'a pas encore séché ! Le but des terroristes n'est pas de dissuader la France de frapper la Syrie, mais de semer la terreur partout avec pour objectif final d'imposer leur mode de vie archaïque et moyenâgeux au prétexte qu'il est d'ordre divin. La lutte pour imposer un mode de vie islamique (ou d'empêcher le mode de vie occidental dans nos pays du sud) n'est pas suivie uniquement par les terroristes de Daech, mais également par les hommes politiques et autres militants islamistes. Notre ancien chef du gouvernement, Hamadi Jebali, n'a-t-il pas dit en 2011 que l'objectif final est d'instaurer le califat ? Ce même Hamadi Jebali n'était-il pas accusé dans les années 80 de terrorisme ? Daech n'est pas seulement un mouvement terroriste, c'est tout un esprit. Vous voulez combattre Daech et son esprit ? Combattez-les à la source, là où ils prolifèrent parmi nous, dans les mosquées, les écoles coraniques et autres sites internet. C'est là où naissent les terroristes et c'est par là que sont partis les djihadistes vers la Libye et la Syrie avec le silence, pour ne pas dire la bénédiction, des autorités. Combattez les hommes politiques qui les protègent et les défendent avec des prétextes fallacieux. Ceci n'est pas valable uniquement en Tunisie, c'est également valable pour la France où l'on recense quelque 11.000 personnes rentrant de Syrie (la fameuse Fiche S) sans être dérangés par la police et se trouvant actuellement dans la nature, sans que l'on sache même où ils sont. En attendant, il y a un impératif vital : ne pas lâcher le terrain et continuer sa vie normalement. Ce n'est qu'ainsi qu'on pourra gagner la guerre contre l'obscurantisme, principale source du terrorisme.
Titre repris à Chimulus paru le 16 novembre sur l'Obs