Une première, le Journal télévisé de la chaîne publique Wataniya 1 n'a pas été diffusé à l'heure, jeudi dernier. Plus d'une heure et demi de retard, du jamais vu ! Il fut un temps, lorsque le paysage médiatique n'était pas encore pluriel et lorsque le service public était l'unique source d'information audio-visuelle nationale, où le retard de diffusion du journal télévisé ne signifiait qu'une chose : un coup d'Etat a eu lieu dans le pays ! Aujourd'hui, en 2017, ceci parait absurde, mais on ne peut exclure cette réflexion, quasi pavlovienne de ceux qui ont plus de 30-40 ans, nés avant Internet, Facebook et Mosaïque FM.
Ce jeudi 15 juin, le JT n'a donc pas été diffusé à l'heure. Une explication viendra en milieu de soirée pour dire que le réalisateur avait eu un malaise cardiaque. Moins de 24 heures plus tard, un communiqué laconique de la présidence du gouvernement annonce le limogeage d'Elyes Gharbi, PDG de la télévision, nommé il y a neuf mois à peine. Avec ce limogeage, il y a un souci, voire même plusieurs. Le premier d'entre eux, c'est que nous sommes en 2017 dans un pays ayant une nouvelle constitution, une nouvelle culture et de nouvelles traditions qui interdisent ce type de décisions unilatérales venues d'en haut. Elyes Gharbi a été nommé en concertation avec la Haica (autorité de régulation), son départ ne devrait se décider qu'en concertation avec elle. Et je dis bien départ, car la notion même de limogeage devrait disparaitre. Nous ne sommes plus sous une dictature ou au Moyen-âge pour humilier les gens de cette manière. D'autant plus que ces gens sont de hauts cadres qui ont accepté d'être sous-payés pour travailler dans une administration archaïque et dépassée, juste pour servir l'Etat et le pays. Je ne parle pas d'Elyes Gharbi, je parle en général, car le limogeage d'Elyes n'est pas une première. Beaucoup de hautes compétences ont été remerciées brutalement ces derniers temps, suite à une erreur ou une faute, voire même pour libérer une place au profit d'un « ami ». Les plus récents, sous Youssef Chahed, sont ceux de Lamia Zribi et NéjiJelloul (limogeages annoncé à la fin d'un JT), de Abid Briki, des PDG de la Sonède, de Promosport, de la SNCFT, de TTN, etc.
Ecarter un ministre ou un haut responsable est parfois nécessaire, mais l'Etat n'a pas à agir comme un individu impulsif. Dans les pays qui se respectent, où les citoyens et les commis de l'Etat sont respectés, on demande à l'intéressé de présenter sa démission sous 24-48-72 heures. Il y a des cas où ces commis ne se respectent pas eux-mêmes, comme lorsque Abid Briki annonçait dans les médias que sa démission était sur la table, mais même dans ces cas l'Etat devrait prendre de la hauteur et ne pas céder à la surenchère populiste. On peut bien agir comme un chef sans être un goujat pour autant. Aussitôt annoncé, le limogeage d'Elyes Gharbi a déclenché une polémique. Toute justifiée. La Haica, d'abord, qui n'a pas été associée (juste informée) à cette décision unilatérale et le SNJT, ensuite, qui y voit un retour de pratiques dictatoriales. Du coup, on a oublié les motifs réels du limogeage (le fond de l'affaire) pour s'arrêter sur cette forme humiliante. La présidence du gouvernement peut avoir toutes les bonnes raisons du monde pour écarter tel ou autre cadre, elle perd toute la légitimité de le faire à cause de ce vice de forme. La Haica aurait été associée à la décision d'écarter Elyes Gharbi, elle n'aurait pas hésité à l'avaliser, car la question du JT n'était qu'une goutte (énorme) qui a fait déborder le vase. Si on l'a nommé à un poste de responsabilité élevée, c'est que ce haut fonctionnaire a du talent et de la compétence qu'il va mettre au service de l'administration. Il est possible que cette recrue n'assure pas sa mission comme il se doit, qu'il déçoive, qu'il ne tienne pas ses promesses ou qu'on lui découvre, sur le tard, des casseroles. L'inviter discrètement à présenter sa démission, plutôt que de le limoger en l'humiliant, c'est lui préserver sa dignité et montrer que l'Etat n'est pas ingrat. L'humilier publiquement ne sert à rien, fait regretter au licencié tout ce qu'il a fait de positif pour cette administration et cet Etat, et décourager les autres compétences de postuler ou d'accepter de tels postes de responsabilité élevée.
Mercredi 14 juin, Yassine Brahim accuse, sur Mosaïque FM, Mehdi Ben Gharbi de baigner dans la corruption. Et de conclure qu'on ne peut pas lutter contre la corruption quand on y est soi-même mêlé. L'affaire dont parle le président du parti Afekest relative au dossier Tunisair. Règlement de comptes par médias interposés ? Cela en a tout l'air, car entre MM. Brahim et Ben Gharbia, il y a un joli contentieux remontant à l'affaire Lazard et Rothschild. Ici aussi, il y a plusieurs soucis. Yassine Brahim accuse Mehdi Ben Gharbia de baigner dans la corruption alors qu'il est chef d'un parti participant à la coalition gouvernementale et son « adversaire » est un ministre de ce même gouvernement. Il faudrait être cohérent, si un ministre baigne dans la corruption, vous devriezen présenter les preuves et vous dissocier immédiatement de ce gouvernement. Ce que Yassine Brahim n'a pas fait et ne fera pas, puisque les preuves en question n'existent pas. Les accusations ont d'ailleurs été catégoriquement démenties par l'intéressé. L'affaire a déjà été traduite devant la justice et la société de Mehdi Ben Gharbia a été blanchie. Le deuxième souci est que Yassine Brahim est l'ancien ministre du Transport et en, cette qualité, il a une obligation de réserve. Mieux encore, un de membres d'Afek se trouve être actuellement secrétaire d'Etat au Transport et il se doit encore plus de se taire, par respect à cet Etat auquel il est associé en sa qualité de chef de parti et auquel il a appartenu avec sa casquette individuelle. En fait, Yassine Brahim surfe sur les rumeurs et l'approximatif pour lancer ses accusations contre Mehdi Ben Gharbia, alors qu'il en est lui-même victime d'accusations farfelues de corruption, tout comme les membres de son parti et ses ministres. On ne compte plus les folles rumeurs lancées contre Noômane Fehri, Mohamed Louzir et Riadh Mouakher. Si Yassine Brahim va s'amuser à agir comme Imed Daïmi et Samia Abbou, on ne va plus s'en sortir !
On est là face à un gros souci. On a un Etat qui ne respecte pas ses cadres et les limoge selon l'humeur du jour. Et, de l'autre côté, on a des commis de l'Etat qui ne respectent pas l'Etat et accusent ses ministres, selon les dividendes à tirer du moment. Comment, avec tout cela, voulez-vous que le citoyen lambda et les médias réagissent ? Que vont-ils penser de l'Etat et de ses commis ? C'est la porte ouverte au « Tous pourris ! » et à la perte totale de confiance des citoyens en ses gouvernants quelles que soient leurs couleurs. Si les ministres eux-mêmes agissent de la sorte, peut-on dès lors reprocher les écrits de « Thawra News », « El Massa » et des pages Facebook ?