Honteux, scandaleux et criminel à la fois. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier la décision des cliniques privées d'augmenter de 30 pour cent leurs tarifs des interventions chirurgicales. Ni en Tunisie, ni dans aucun autre pays dans le monde ; dans n'importe quel secteur, qu'il soit stratégique ou même insignifiant ; dans les crises les plus graves comme dans les périodes de prospérité, nous n'avons vu des prestataires de service augmenter leurs honoraires du tiers en une seule fois. Dans un communiqué rendu public vendredi dernier, la chambre syndicale des cliniques privées a annoncé l'augmentation des tarifs des interventions chirurgicales dans les cliniques privées de 30 pour cent et ce à partir du 1er mai prochain. Le communiqué justifie cette hausse des tarifs décidée d'une manière unilatérale par les pertes accumulées des cliniques privées, la stagnation des tarifs contractuels avec la CNAM depuis 2007, l'augmentation des prix des équipements et des produits ainsi que la dévaluation du dinar tunisien. Le communiqué avoue enfin que cette augmentation sera supportée par les seuls patients. Pour toute réaction, la CNAM et son département de tutelle, le ministère des affaires sociales, ont annoncé dans un communiqué lapidaire publié samedi, que la décision unilatérale émanant de la chambre syndicale nationale des cliniques privées d'augmenter les tarifs contractuels des interventions chirurgicales de 30% est « contraire à la convention, à la loi et aux engagements » et nuit « aux relations contractuelles basées sur le partenariat responsable ».
Bref, un communiqué minimaliste qui ne dégage aucune position et dénude même le désarmement de l'Etat et son impuissance en pareilles circonstances. En effet, il faut avouer que les cliniques privées sont dans leur droit de chercher à sauvegarder leurs investissements, générer un profit et garantir la pérennité de leurs entreprises. Le secteur privé n'a pas la même vocation, ni les mêmes obligations que le secteur public. Il offre des prestations, de qualité si c'est possible, en échange d'honoraires conséquents. C'est la logique implacable de la loi du marché ; et c'est partant de cette logique que la décision de la chambre syndicale nationale des cliniques privées est compréhensible et justifiable.
Par contre, ce qu'on pourrait reprocher aux cliniques privées, c'est le côté anti commercial de cette hausse qui ne manquera pas de rendre les patients, ou du moins une partie d'entre eux, par réaction ou par manque de moyens, plus récalcitrants et réfléchir à deux fois avant de choisir d'aller dans une clinique privée. Ce que l'on reproche aussi aux cliniques privées, c'est d'avoir largement profité de la manne financière et des liquidités que leur offrait la CNAM depuis sa création en 2004 jusqu'aux dernières années. Aujourd'hui, sachant que les difficultés de la CNAM sont désormais structurelles, la poule aux œufs d'or est devenue un boulet que les cliniques privées voudraient bien s'en débarrasser.
On pourrait aussi reprocher à ces cliniques privées un tas d'autres griefs à commencer par les chèques de garantie, la qualité des services et de l'hébergement, la surfacturation des soins, sans parler des autres pratiques frauduleuses dans certaines cliniques, comme les notes d'honoraires des médecins non conformes et l'exigence du paiement en cash.
Maintenant que le mal est fait et que la résiliation de la convention entre la CNAM et les cliniques privées s'est faite d'une manière unilatérale, il serait peut-être temps de penser à la mise à niveau du secteur public de la santé. Rappelons qu'au début des années 2000, l'Etat avait assuré qu'il allait rénover les hôpitaux, les équiper et les doter des moyens financiers et humains pour les rendre compétitifs avec les cliniques privées. Nous savons maintenant que l'Etat a arnaqué les Tunisiens et que la création de la CNAM a profité surtout au secteur privé. Il est peut-être temps que la CNAM retrouve sa vocation sociale et se concentre sur le secteur public exclusivement. Les Tunisiens qui préfèrent aller dans des cliniques privées pourraient se faire rembourser par les assurances privées qui proposent toujours leurs services dans ce domaine.