Jeudi dernier, jeudi noir pour la Tunisie avec trois attentats, dont deux à Tunis, et l'hospitalisation urgente de Béji Caïd Essebsi. L'attentat à Tunis n'est pas une première. C'est la troisième fois qu'un kamikaze se fait sauter sur ou autour de l'artère principale de la capitale, l'avenue Habib Bourguiba, là où siège même le ministère de l'Intérieur. Nous avons eu 13 morts parmi la garde présidentielle dans l'attaque-kamikaze du 24 novembre 2015 ; neuf blessés et zéro mort dans l'attaque kamikaze du 29 octobre 2018 et puis un mort et quelques blessés jeudi dernier. Si l'on ajoute à ces attentats survenus tous à et autour de l'avenue Habib Bourguiba, les attentats kamikaze de Sousse et du Bardo, il est grand temps de tirer la sonnette d'alarme et de pointer du doigt la responsabilité du ministère de l'Intérieur et des ministres qui s'y sont succédé. On peut dire longtemps, devant les médias étrangers, que la Tunisie n'est pas la seule à subir ces attentats, que Tunis n'est pas moins sécurisée que Paris, Madrid, Londres ou Bruxelles, toutes victimes d'attentats aux bilans encore plus lourds, on peut nous rassurer comme on peut pour dire que nous sommes comme les autres, mais une autocritique ne nous fera pas de mal, non plus, car notre ministère de l'Intérieur a également sa part de responsabilité dans ce qui est arrivé.
A cause de nos traditions et de notre « éducation au bâton », la critique du ministère de l'Intérieur est un exercice encore difficile. Totalement inimaginable il y a à peine dix ans, à cause des différents despotes et tortionnaires passés à la tête de ce département, il y a comme un reflexe de Pavlov qui s'installe chez les critiques et leaders d'opinion quand il s'agit de forces de l'ordre et de leur ministre. La même chose est d'ailleurs valable pour les magistrats et les agents du fisc. Il faut pourtant que cela cesse pour que la Tunisie puisse avancer. Il y a eu suffisamment de morts, ça suffit ! Depuis la révolution, les Tunisiens sont devenus experts en tout. Plusieurs de nos lecteurs (et ceux des autres médias) connaissent le journalisme mieux que nous. Plusieurs parmi les justiciables connaissent le Droit mieux que leurs avocats. Plusieurs parmi les patients connaissent la médecine mieux que leur praticien. On adore donner des leçons, on se prend pour le nombril du monde et on regarde tout le monde tout haut, juste parce que ces différents professionnels ne font pas leur boulot comme on pense qu'ils devraient le faire. Comment alors jouer à cet exercice de critique du ministère de l'Intérieur sans tomber dans le « donnage » de leçons et paraitre plus expert que ceux qui ont fait de la sûreté leur métier ? De par nos fonctions, un bon nombre de journalistes et la grande majorité des rédacteurs en chef ont visité du pays. Certains ont fait le tour du monde plus d'une fois. Ces voyages nous ont permis de voir la sécurité établie dans différentes villes du monde, dans et autour de leurs grandes institutions, centres névralgiques et bâtiments sensibles. Comparer ce que nous avons vu à l'étranger à ce que l'on voit chez nous pourrait être utile à notre ministère de l'Intérieur.
Ainsi, il ne faudrait pas être un expert pour constater que l'accès à l'aéroport Tunis-Carthage et aux grands centres commerciaux est plus sécurisé que l'accès aux aéroports parisiens d'Orly ou Roissy-Charles-de-Gaulle. Chez nous, l'accès se fait systématiquement sous un portique et après scanner des bagages contrairement à ce que l'on voit en France. Mais il ne faudrait pas non plus être expert pour constater la facilité pour enjamber le mur de l'aéroport Tunis-Carthage (notamment à la Soukra) ce qui est inimaginable à Paris. Une longue échelle suffit ! Il ne faudrait pas être expert non plus pour constater l'amateurisme et la nonchalance de notre police des frontières. Ça commence à la porte de dehors avec des agents les mains dans les poches et sans casquette jusqu'aux box intérieurs où les agents portent rarement, voire jamais, leur uniforme. Qui parmi nos voyageurs n'a pas remarqué, au moins une fois, que l'agent chargé de visionner l'écran du scanner avait la tête ailleurs, était perturbé par un collègue bavard ou bien surveillait son entourage afin de pouvoir fumer en cachette dans l'enceinte même de l'aérogare ?
Loin de l'aéroport, regardons l'irrespect au code même de la route de nos forces de l'ordre (y compris la Police de circulation) avec des voitures garées (y compris les leurs) au beau milieu des ronds-points. Regardez les policiers-motards qui roulent toujours sans casque ! Regardez les agents chargés de surveiller les ambassades, les résidences, les ministères, les synagogues et certains médias. Vous les verrez souvent assis à l'ombre en train de pianoter sur leur smartphone ou de bavarder avec quelqu'un. J'en ai personnellement parlé à un ancien chef du gouvernement dont la sécurité était bien vacillante (j'ai pu arriver à son bureau, un cartable dans la main sans aucun contrôle d'identité ou de sécurité après avoir juste dit bonjour à un agent ‘'hitiste''), il a haussé les épaules ! Quand on voit tout cet amateurisme dans la tenue et le comportement, on a le droit d'extrapoler et de dire que la sécurité est également chancelante comme le reste.
Depuis jeudi, on a multiplié les barrages de sécurité, ce qui crée des embouteillages monstres, aux entrées principales des cités et des villes, mais ces barrages vont disparaitre dans les jours à venir, jusqu'au prochain attentat ! A quoi servent-ils ? Le ministère de l'Intérieur nous répondra qu'il en sait certainement mieux que nous, sauf que l'on ne voit pas ça ailleurs, y compris dans les grandes villes européennes où ont eu lieu des attentats. Le cas particulier de l'attentat de l'avenue de France, jeudi dernier, similaire dans sa technique à ceux de 2015 et 2018 est intéressant à observer et étudier pour les experts (s'il y en a). Un terroriste s'approche d'un fourgon ou bus de police et se fait exploser dedans ou juste devant. Tous nos globe-trotters passés par les grandes villes européennes et américaines vous diront que ce genre d'attentat-kamikaze est impossible chez eux. Pourquoi ? Parce qu'ils ne font pas de leurs forces de l'ordre des CIBLES IMMOBILES pour les terroristes ! Il y a rarement un fourgon de police stationné sur un trottoir au milieu des passants. Quand il y en a, ce qui est très rare, ce fourgon est souvent protégé par des barrières de sécurité rendant l'approche difficile. Les agents victimes de l'attentat de jeudi dernier sont toujours postés là. Il y en a qui y sont pour la sécurité, mais leur majorité y figure pour contrer les vendeurs ambulants. Sachant qu'à 50 mètres de là, il y a le plus grand trafic de devises de Tunis et on les laisse bien tranquilles ces contrebandiers. Pourquoi donc faut-il mettre un fourgon de police au coin d'une rue marchande pour empêcher des vendeurs à la sauvette de gagner quelques sous ? Protéger l'économie nationale ? Faux ! En témoignent les contrebandiers de devise qui agissent en toute impunité ! La sécurité ? Faux ! En témoigne l'inefficacité de la chose puisque ce fourgon censé assurer notre sécurité n'était pas lui-même en sécurité. Ce fourgon, tout comme ceux de 2015 et de 2018, est devenu une cible immobile pour les terroristes. C'était un cadeau sur un plateau que nous avons offert aux terroristes !! A Rome et à Madrid, les agents de la police municipale roulent en moto (type 125 cc) sur les trottoirs pour « chasser » les vendeurs ambulants. A Londres et à Dublin, les policiers circulent en voiture banalisée équipée d'une tablette dans laquelle ils peuvent taper l'immatriculation de tout véhicule suspect et consulter à qui appartient ce véhicule, la validité du permis de conduire de son propriétaire, l'assurance, la taxe de circulation et la visite technique du véhicule. S'il y a un souci, ils le poursuivent et lui ordonnent de s'arrêter. Un peu partout en Europe et en Amérique du Nord (et certainement ailleurs), on ne voit plus d'agents aux croisements pour interpeller à l'aveugle les véhicules. Plusieurs de nos citoyennes (notamment parmi les belles dames) souffrent énormément de la multiplication de ce type d'interpellations où l'on ne parle pas que de simple contrôle de papiers et d'identité. Drague et amabilités déplacées, voire vulgaires, sont souvent au menu. A Pékin, dans cette Chine pas très démocratique et regardante sur les données personnelles, on en est carrément à la reconnaissance faciale des citoyens par ordinateur.
La faute au ministère de l'Intérieur et nos différents ministres, c'est qu'ils maintiennent des méthodes archaïques pour assurer la sécurité avec des rafles et des barrages. Quitte à le répéter une troisième fois, ils font de nos agents des forces de l'ordre des cibles immobiles ! Or, il est évident qu'il nous coûtera moins cher en ressources humaines et en finances (sur le moyen-terme) si le ministère de l'Intérieur modernise ses méthodes en remplaçant ces barrages par des rondes mobiles en moto (pour la police municipale et les interventions d'urgence) et par l'investissement dans les caméras. Les mêmes agents, plutôt que de rester sur un carrefour sous le soleil et la pluie, seront formés pour superviser des caméras qu'on installera partout. Pour le moment, seules quelques caméras sont installées dans les grands carrefours et il n'y en a quasiment pas dans les rues et les boulevards, contrairement à ce que l'on peut constater dans plusieurs grandes villes européennes et américaines. Là bas, on peut quasiment suivre à la trace tout suspect pendant des kilomètres et c'est très utile pour les pickpockets et autres. Ce genre d'équipements et de surveillance existe à l'intérieur des bâtiments, il est temps d'élargir la chose à toute la ville ! Si la responsabilité des différents ministres de l'Intérieur est engagée dans les actes terroristes, c'est par leur faute d'avoir maintenu nos agents là où ils sont en usant de ces méthodes anachroniques. Plutôt que de signer des accords pour recevoir des dons de véhicules et équipements, que notre ministre de l'Intérieur (et ses successeurs) signent des accords pour faire appel à des experts internationaux en matière de sécurité des villes et modernisent leur méthodes de travail pour être plus efficaces tout en étant moins chers !
N.B : Prompt rétablissement Béji Caïd Essebsi, reviens vite ! Nous serons là pour compléter ce que tu as commencé et ce que tu as le plus défendu depuis ton accession au pouvoir, ton respect pour la démocratie naissante et de la Constitution nouvelle.