Un mois et demi qu'on l'attendait ce gouvernement. Trois mois depuis les élections législatives. Enfin. Soulagement. Ou pas. C'est selon le prisme par lequel on voit et décortique la chose. Habib Jamli se délestera bientôt de sa qualité de désigné pour celle de maître, absolu, de la Kasbah. Quoique, une dernière étape l'en sépare. Le passage par le parlement pour le vote de confiance sera déterminant. Quoique, encore une fois, il n'a pas à trop s'en faire. Son gouvernement sera investi, à moins d'un coup de théâtre inattendu. L'idée d'un gouvernement du président ou d'élections anticipées ne réjouit pas grand monde. Comme le dit l'adage tunisien « شد مشومك لا يجيك ما أشوم », qu'on pourrait traduire approximativement par « tiens-toi au pire, si tu ne veux pas te coltiner pire encore ».
Enfin donc, nous avons découvert le super génial gouvernement « de compétences nationales-indépendantes-apolitiques ». Que de suspens ces dernières semaines, que de tergiversations et de négociations avortées, que de rebondissements et de manœuvres ourdies dans les antichambres sombres (le jargon complotiste est à la mode pourquoi s'en priver). Que de sentiments de honte nous avions ressenti face à l'amateurisme et les enfantillages de la journée du 1er janvier. Et quel n'a été le résultat au final. 42 nouveaux ministres et secrétaires d'Etat, triés sur le volet selon Habib Jamli, et dont les qualités premières sont la compétence et l'indépendance. De compétences, on peut en dénombrer quelques-unes, mais elles se comptent sur les doigts d'une main. D'indépendance, toute ressemblance avec la réalité est à exclure et ceci n'est ni fortuit, ni involontaire. Bon, quelques-uns semblent être sans appartenance précise, mais, critère indispensable, ils sont Ennahdha friendly.
Après l'échec des négociations avec les partis, en l'occurrence Attayar, Echâab et Tahya Tounes, le gouvernement dit « révolutionnaire », qu'Ennahdha nous vendait, est mort dans l'œuf. Qu'à cela ne tienne, Habib Jamli a endossé son costume de super héros pour taper sur toute la bande d'irresponsables qui a poussé à l'échec de l'entreprise. Il annonce en grande pompe qu'il se désolidarise de tous les partis, même Ennahdha, et qu'il formera, lui-même, tout seul comme un grand, sa propre équipe de technocrates. Cette belle envolée lyrique de Jamli s'est soldée par une équipe estampillée de la colombe nahdhaouie et voguant, ici et là, sur les rugissements du lion de Qalb Tounes. Plusieurs ministres sont clairement nahdhaouis et on assiste au retour de membres des gouvernements de la Troïka. Ils n'ont pas de carte d'adhérent dans le mouvement islamiste ou ils ont omis de la renouveler à dessein, mais ils sont le frère d'un député, le cousin lointain d'un membre du conseil de la choura, l'ami fidèle ou la sympathique connaissance.
Ce gouvernement est tout autant indépendant que son chef Habib Jamli. A son tour, il nous est présenté dans un packaging qui se donne pour ambition de brouiller les pistes, sans les brouiller vraiment au final. C'est l'évidence même, Tunis est petit et tout le monde se connait. Mais bien essayé quand même. En tant que vainqueur des élections législatives, Ennahdha a la latitude de choisir et d'imposer les couleurs politiques du gouvernement. Sauf qu'en virtuose de l'entourloupe, le parti islamiste a préféré se la jouer sous-marin. Bien évidemment, plusieurs facteurs entrent en jeu. S'allier ouvertement avec Qalb Tounes n'est pas de circonstance. Vis-à-vis de ses bases en premier lieu, et puis il y a le paysage parlementaire éclaté. Il fallait s'assurer un soutien même timide, même relatif de certains blocs. Et puis aussi, le passage par le pouvoir est « éreintant » et il faut toujours anticiper en vue des prochaines échéances. Jeter dans la gueule du loup un gouvernement pseudo-indépendant, ce n'est pas bête. S'il venait à échouer, Ennahdha ne serait pas éclaboussé, du moins pas trop.