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Complexité économique et développement en Tunisie
Publié dans Business News le 10 - 06 - 2020

L'économie de croissance et de développement s'intéresse au gap entre les pays riches et les pays pauvres qui souvent s'avère énorme. Selon l'économiste Daron Acemoglu, en 1820 le PIB annuel moyen par habitant en Europe occidentale et aux Etats-Unis était d'environ 1,200$ face à environ 400$ en Afrique (US dollars, 2000). En 2000, le PIB annuel moyen par habitant est d'environ 22,000$ en Europe occidentale et aux Etats-Unis face à 1,200$ en Afrique. Ainsi, l'écart de richesse entre le ‘Nord' et le ‘Sud' a été multiplié par six au cours des deux siècles derniers. Ceci témoigne de la défaillance organisationnelle des pays pauvres, empêchant, ainsi, l'accumulation du savoir et la production d'outils innovants et complexes, ce qui constitue un frein de développement.

La complexité économique comme moteur de développement
Durant les deux siècles derniers, le savoir humain a explosé. En mettant de côté les grandes réalisations à l'instar des premiers pas sur la lune, l'Homme a mis en place toute sorte d'outils qui ont facilité notre existence et amélioré nos standards de vie. On peut énumérer le téléphone, les vaccins ou les antibiotiques, internet et les réseaux sociaux qui ont révolutionné le politique, le marketing et le commerce, et ont donné naissance à de nouvelles sciences, comme les sciences comportementales. Les individus des sociétés qui ont mené ces inventions, ne possèdent pas des capacités cognitives extraordinaires. Toutefois, ces sociétés sont dotées d'une plus grande intelligence collective qui sert à accumuler le savoir en le mettant au service de l'innovation grâce à des organisations efficientes et à des marchés dynamiques et ouverts. Ainsi, ces sociétés accumulent le savoir-faire en s'appuyant sur la diversité humaine et technologique pour créer des produits plus intelligents, plus complexes et plus sophistiqués. C'est ce qu'on appelle la complexité économique, mesurée par l'indice de complexité économique (ICE). Les pays qui ont pris ce chemin ont développé des standards de vie en amélioration continue, tandis que les autres cherchent encore leur entrée aux siècles des lumières.

Simple définition de l'indice de la complexité économique
L'ICE se calcule sur la base des produits exportés par chaque pays en se basant sur le réseau international du commerce. Chaque produit exporté possède un indice de complexité, qui reflète combien d'autres pays exportent ce même produit. Ainsi, la complexité d'un produit décroit avec l'augmentation du nombre des pays exportateurs (la formule contient d'autres spécificités non décrites dans cet article). A titre d'exemple, la Tunisie exporte l'huile d'olive avec beaucoup d'autres pays (Espagne, Grèce, France, Maroc, etc.) ce qui donne un ICE bas à ce produit vu qu'il ne requière pas un savoir-faire technologique complexe. La technologie de communication de pointe 5G mise en place par quelques entreprises chinoise, est au cœur de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. En effet, le fait que la Chine maitrise cette technologie donne à la 5G un haut indice de complexité, lui procurant un avantage concurrentiel conséquent dans le secteur des TICs (technologie d'information et de communication).
La valeur de l'ICE est relative et non-normalisée. Ainsi, le plus haut ICE enregistré depuis 1964 est celui du Japon en 1996 qui s'élevé à 2.62 alors que le plus faible ICE revient à l'Angola en 2012 (-2.79). Généralement, un ICE négatif témoigne d'une économie ayant un tissu industriel précaire ; un ICE entre 0 et 1 montre des perspectives de développement relativement fragiles ; un ICE supérieur à 1 reflète une économie sur un chemin robuste de développement ; et un ICE supérieur à 2 concerne les économies possédant une industrie hautement complexe. Toutefois, l'ICE ne sert pas uniquement à classifier la performance industrielle des pays. Durant la dernière décennie, des modèles économiques de prévision se basant sur l'ICE ont démontré une meilleure capacité de prédire la croissance économique que celle des modèles classiques.

L'évolution de la complexité économique en Tunisie
La figure 1 montre l'évolution de l'ICE en Tunisie entre 1964 et 2017. En moyenne l'indice évolue à -0.11, avec quelques disparités, où la valeur minimale est de -0.52 en 1997 et la valeur maximale est de 0.29 en 2012. En somme, le moteur de développement en Tunisie s'appuie sur une industrie précaire et fragile. Sur certaines périodes, il y a eu quelques lueurs d'espoir de développement qui ne sont ni robustes ni durables. Toutefois, selon la figure 1, il est clair que la Tunisie a eu trois phases de développement.



Figure 1: Indice de complexité économique en Tunisie, 1964-2017

Développement postcolonial – La première République
A la veille de l'indépendance, le défi était de passer d'une économie agraire et paysanne archaïque, qui assure un emploi précaire à 75% de la population, à une économie industrielle qui génère une croissance durable nettement supérieure à la croissance démographique (2,1% en 1961). L'objectif était d'atteindre un taux de croissance annuel de 6% face à une croissance de 3% en moyenne réalisée depuis l'indépendance.
Le gouvernement du président Habib Bourguiba avait entamé un plan de développement entre 1962 et 1971 qui s'appuie sur quatre piliers : i) la décolonisation économique; ii) le développement humain ; iii) la réforme structurelle et administrative ; iv) l'indépendance économique.
Un travail avait déjà commencé depuis 1956, avec la mise en place du code de statut personnel, la promotion des droits de la femme, la généralisation de l'éducation dans tout le pays et l'inauguration de la République et de la première constitution. Avec une administration qui commençait l'air de la modernité, la première phase du plan de développement, entre 1962 et 1964, visait concrètement à : i) développer les moyens de production agricole ; ii) implémenter l'industrie qui est extrêmement embryonnaire; iii) et promouvoir le tourisme qui comptait à peine 50,000 visiteurs par an en 1960.
La politique de l'Etat entre 1962 et 1980 a été marquée par une navigation incertaine entre des périodes de socialisme, d'interventionnisme étatique, et du libéralisme progressif, séparés par des périodes de récessions et d'augmentation de la dette non-productive. Toutefois, cette période a su lancer un début de développement à travers : i) la consolidation de l'industrie agroalimentaire qui a donné trois des cinq plus importants groupes industriels en Tunisie (SFBT, Poulina et Mabrouk) ; ii) l'émergence d'une agriculture plus modernes; iii) et la hausse du tourisme illustrée par la création de la Société hôtelière touristique et de transport.

Sur la figure 1, l'ICE s'envole entre 1964 et 1988 avant de sombrer de nouveau sur une décennie. Cette dynamique reflète, dans un premier temps, le résultat des plans de développement qui ont vu le jour à l'aube de 1960, et, en deuxième temps la crise économique vécue entre 1982 et 1986 qui a mené au renversement du pouvoir. La crise économique de 1982 puise ses racines dans l'inaboutissement du plan de développement à une économie complexe de haute valeur ajoutée. Ainsi, l'industrie s'est arrêtée principalement au stade de l'agroalimentaire, du textile et du groupe chimique, bénéficiant dans les années 70 du prix élevé du phosphate et des matières premières. La faible valeur ajoutée technologique de cette industrie est reflétée par le faible ICE. Avec la guerre Irako-iranienne (1980-1988) et la baisse drastique des revenus des matières premières fossiles, la Tunisie faisait face à d'importantes sécheresses aux débuts des années 80. Ainsi, l'économie basée sur une industrie à faible complexité ne trouvait plus ses équilibres financiers menant à l'explosion de la dette non-productive, l'appauvrissement sociétal, l'hyperinflation et le chômage. Les conséquences sont considérables et ont mené à l'effondrement de la première république et au renversement du leader de l'indépendance.
Restructuration et ouverture – la deuxième République
La deuxième république sous la présidence de Ben Ali est marquée par deux phases, comme le montre la figure 1. La première phase (1987-1995) est celle de la restructuration économique sous la tutelle d'un programme soutenu par la banque mondiale et le FMI. La deuxième phase (1995-2010) est celle de l'ouverture et de la modernisation économique.
Durant la première phase, l'économie faiblement complexe instaurée depuis l'indépendance n'a pas pu maintenir un niveau de compétitivité soutenu. C'est une économie rentière, basée sur une élite restreinte, et une industrie peu diversifiée. Ainsi, le plan de restructuration économique avait trois objectifs principaux : i) stabiliser les indicateurs macroéconomiques ; ii) libéraliser l'économie et bâtir les structures du marché ; iii) diminuer la dépendance aux revenus pétroliers. Cette première phase était couronnée par la signature de l'accord de libre-échange entre la Tunisie et la zone Euro.
Cet accord constitua l'axe de la politique économique de Ben Ali, avec une ouverture économique progressive durant 12 ans, soutenue par des budgets européens au début des années 2000 pour le programme de la modernisation industrielle (2003-2008). Cette politique ne s'est pas orientée vers l'amélioration de la complexité de l'industrie tunisienne, mais elle a ciblé la proximité géographique pour attirer les investissements directs étrangers et la délocalisation des entreprises européennes voulant tirer profit d'une main d'œuvre qualifiée et bon marché. Cette politique a permis au gouvernement : i) d'absorber 4% du taux de chômage pour se situer autour des 13% en 2005 ; ii) de booster l'exportation en bénéficiant de nombre important des entreprises européennes produisant en Tunisie.
Sous le népotisme du régime, la corruption et le favoritisme d'une élite restreinte, l'économie tunisienne s'est, certes, ouverte pour les fonds et les investissements étrangers, mais elle est restée fermée pour les tentatives d'innovations internes. Ainsi, l'état est devenu support d'une économie de rente qui protégeait les privilèges d'une minorité (généralement proche du pouvoir) au détriment de l'innovation et l'efficience économique.
En absence d'une économie complexe et sophistiquée, la crise financière de 2007-2008 a fait émerger de nouveau les faiblisses du modèles de développement, qui dans son fond n'a pas évolué par rapport à celui des années 80. La croissance économique de 5% proclamée fièrement par le régime s'est vue diviser par deux, et le taux de chômage s'est vu grimper de 6% en deux ans avoisinant ainsi les 19% en 2011 (plus haut qu'en 1995).
La politique économique de Ben Ali voulait apporter des solutions non-structurelles à des problèmes endémiques. Elle s'est soldée par un renversement politique (la révolution de 2011), cette fois plus violent que son prédécesseur (1987) et mené par une jeunesse désespérée.

La naissance de la démocratie
La phase 2011-2018 de la figure 1 nous rappelle la phase 1987-1995. Cette fois, la chute des exportations de produits complexes est due principalement à la diminution des investissements directs étrangers et à la relocalisation de beaucoup d'entreprises étrangères (principalement vers le Maroc) à cause de l'instabilité sociale depuis 2011.
Aujourd'hui encore, les plans de développement du (des) gouvernement (s) ne sont pas clairs. Les réformes structurelles tardent à venir. Cette période de transition est acheminée encore une fois par des plans de restructuration économique du FMI, par des politiques d'austérités et par un retard important pour s'attaquer à la réforme fiscale afin que l'état puisse dégager les revenus nécessaires à la refonte de secteurs stratégiques et vitaux.
Les présidents Bourguiba et Ben Ali n'ont pas attaqué les réformes économiques de fond. Ceci a laissé le pays fragile à tous les évènements externes. Les difficultés climatiques des années 80 et la crise financière de 2008 ont, les deux, marqué la fin de ces régimes suivant le même acheminement : choc exogène, crise économique, explosion du chômage et de l'inflation, contestation populaire, renversement du régime politique.

Dans sa forme, la démocratie est élection. Dans son fond, la démocratie est opportunités égales pour tous. Rester au niveau de la forme ne fera que reproduire l'histoire avec un gout plus amère, une teinte plus sombre et une violence plus prononcée. Personne, y compris les bénéficiaires, n'a intérêt à garder un système qui protège depuis les années 60 une élite minoritaire en sacrifiant une majorité citoyenne. La crise de 2008 a soufflé le vent de la démocratie. Qui saurait quel vent soufflera suite à la prochaine crise, dans un pays aussi fragile que le nôtre ?

* Dr. Hazem Krichene Chercheur - Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique


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